Infundibulum Scientific

PERCEPTION SOCIALE DE LA NUMÉRISATION DES ORIENTATIONS DES BACHELIERS À L’UNIVERSITÉ NAZI BONI DE BOBO-DIOULASSO (BURKINA FASO)

Social perception of the digitization of bachelor’s courses at the Nazi Boni University of BoboDioulasso (Burkina Faso)

Percepción social de la digitalización de las orientaciones de los bachilleres en la Universidad Nazi Boni de Bobo-Dioulasso (Burkina Faso)

Belo ADIOLA
Doctorant
Université Joseph KI-ZERBO (Burkina Faso)

Tionyélé FAYAMA
Chargé de Recherche en socio-anthropologie du développement,
Inst itut de l’Environnement et de Recherches agricoles (Burkina Faso)

Bowendson Claudine Valérie ROUAMBA/OUEDRAOGO
Enseignante-Chercheure
Université Joseph KI-ZERBO (Burkina Faso)

Mots-clés, Keywords, Palabras clave

Orientation en ligne, Campus Faso, Innovation, Numérisation, Université Nazi BONI.
Online orientation, Campus Faso, Innovation, Digitization, Nazi BONI University.
Orientación línea, Campus Faso, Innovación, numerización, Universidad Nazi BONI

TEXTE INTÉGRAL

Introduction

L’orientation scolaire et professionnelle constitue un fait social total au sens de M. Mauss, (1925) car touchant à presque toutes les dimensions de la société. Toutefois, il faut reconnaitre que la dimension politique a un enjeu particulier dans ce processus. C’est ce qui fait dire à B. C. V. Rouamba/Ouédraogo (2015), que la question de l’orientation universitaire est une problématique qui relève en premier lieu du politique Cet enjeu est lié au fait que c’est le politique qui détermine les priorités et les besoins de formation. En outre, c’est à lui qu’incombe l’élaboration des nouvelles opportunités de formations et l’encadrement du domaine de l’orientation universitaire qui passe par la prise en compte des capacités des structures d’accueil existantes.

C’est en vue de jouer leur rôle régalien que le ministère en charge de l’enseignement supérieur au Burkina Faso a décidé d’adopter une plateforme d’orientation en ligne appelée Campus Faso. L’adoption de ladite plateforme fait suite d’une part aux recommandations du Comité Ad hoc de Réflexion sur l’Université du Burkina Faso (CAR, 2012) et de l’atelier d’évaluation du degré de mise en œuvre du système LMD (MESS, 2015). D’autre part, l’adoption de cette innovation se fonde sur la nécessité d’intégrer les outils numériques (d’aucuns parlent d’Intelligence Artificielle) dans les différents axes du système éducatif.

C’est fort de cette nécessité et des recommandations formulées que les autorités décident d’orienter en ligne les nouveaux bacheliers à travers la plateforme Campus Faso pour compter de la rentrée académique 2018-2019. En rappel, Campus Faso s’inspire de l’exemple sénégalais (Campusen) mis en œuvre depuis 2013. Selon L. Tianhoun (2018), cette plateforme offre la possibilité aux bacheliers de ne plus se rendre dans les universités pour les inscriptions afin d’être orienté. L’innovation permet également le paiement des frais de scolarité, une fois l’étudiant orienté. Pour J. Kienou (2018), cette application prône la transparence en ce sens qu’elle donne la même chance à toutes les couches de la société. Elle permettra en outre à l’administration de disposer d’un répertoire complet des étudiants du pays. La plateforme mettra par contre fin à la pratique qui consiste pour certains nouveaux bacheliers de s’inscrire à la fois au public et au privé (J. Kienou, 2018).

La plateforme telle que décrite constitue à tout point de vue, une innovation qui va atténuer les difficultés de tous ordres que rencontraient les nouveaux bacheliers pendant les périodes de dépôt des dossiers dans les universités. Cependant, après quatre années de mise en œuvre, il importe de saisir les perceptions des bénéficiaires de cette innovation. D’où l’intérêt de la présente recherche portant sur la perception sociale de la numérisation des orientations des bacheliers à l’Université Nazi BONI de Bobo-Dioulasso. La suite du texte est subdivisée en deux parties. La première partie traite des aspects théoriques et méthodologiques de la recherche. Quant à la seconde partie, il y est question de l’analyse des résultats et de leur discussion.

  1. Postures théorique et méthodologique

1.1. Modèle théorique

Le modèle théorique adopté pour la présente recherche est celui de l’approche dialectique. En effet, le concept de « dialectique » veut dire « lire à travers ». L’approche dialectique est une perspective qui est utilisée dans plusieurs disciplines scientifiques. En effet, elle se retrouve dans les réflexions des auteurs et penseurs tels que Platon, Kant, Hegel, Marx, Weber, Freitag, Gurvicth… (O ; Clain, 1983 ; M. Bischoff, 2008).

C’est une approche théorique d’analyse qui consiste à repérer les contradictions des notions, des phénomènes, des actions… Selon M. Catana (2003, p. 1) : 

 Souvent, nous sommes amenés à ne voir qu’un aspect d’un objet parce que notre capacité à observer le réel se fait d’une certaine façon. Or, dans cette approche [dialectique], il s’agit de saisir le tissu de significations d’une notion en cherchant ses contradictions. C’est, selon nous la meilleure approche en méthodologie de la recherche.

L’auteur souligne en outre que l’approche dialectique constitue une ébauche d’explication des faits sociaux et pouvant couvrir la totalité du fait social en question. Selon G. Rocher (2002), la dialectique est la voie de la recherche des fondements psychologiques des représentations sociales. Les divergences de perceptions qui se dégagent se complètent les unes aux autres. Et il est nécessaire de recourir à l’ensemble pour faire une recherche empirique.

Nous nous inscrivons dans la théorie dialectique pour l’appliquer au domaine de l’orientation. L’ambition est de cerner d’une part que les différentes perceptions et les contradictions que la numérisation des orientations universitaires peut avoir chez les nouveaux bacheliers.

D’autre part, il s’agit de faire ressortir que même si l’orientation a une prédominance psychologique, les théories sociologiques ont leur part explicative dans le processus. C’est d’ailleurs au vu de cette complémentarité que J. Guichard (1993) s’est inspiré de la théorie de l’habitus social de P. Bourdieu (1972) pour forger au niveau de l’orientation scolaire et professionnelle, la théorie de l’habitus scolaire.

 

 

1.2. Démarche méthodologique

I.2.1. Historique et présentation de l’Université Nazi BONI

L’Université Nazi BONI était anciennement appelée Centre universitaire polytechnique de Bobo-Dioulasso (CUPB). Il a vu le jour en septembre 1995 à travers le décret n° 95-340/PRES/MESSRS. Dans l’optique de répondre à la politique de décentralisation au niveau de l’enseignement supérieur, le CUPB fut transformé en université polytechnique de Bobo-Dioulasso (UPB) le 16 mai 1997 (décret n° 97-254/PRES/PM/MESSRS).

Depuis le 29 juillet 2002, l’UPB est devenue un établissement public de l’État à caractère scientifique, culturel et technique (EPSCT) chargé d’enseignement supérieur et de recherche scientifique (décret n°2002-288/PRES/PM/ MESSRS/MFB). En 2017, l’UPB est renommée Université Nazi BONI (UNB), en hommage à Nazi BONI. L’UNB est une université publique du Burkina Faso en Afrique de l’Ouest. Elle est située dans le village de Nasso, une localité distante d’une quinzaine de kilomètres de Bobo-Dioulasso, dans la région des Hauts-Bassins. L’UNB est composée de trois (3) instituts, de trois (3) UFR, d’une (1) école et de trois (3) centres de recherche.

1.2.2. Échantillonnage

Dans le cadre de cette recherche, la méthode qualitative a été adoptée. Cette méthode passe par une enquête qualitative où : « les sujets sélectionnés par le chercheur sont invités à s’exprimer de façon libre et approfondie sur des expériences vécues, sur des phénomènes les concernant ; ils subissent des entretiens ou interviews » (P. N’da, 2015, p. 136).

En ce qui concerne l’échantillonnage, nous avons opté pour la technique raisonnée, basée sur les critères ci-après : le sexe, le lieu de provenance, le respect ou non du premier choix filière exprimé par l’étudiant. Le total de l’échantillon est de vingt-huit (30) entretiens individuels dont 28 avec les étudiants et 02 avec les personnes ressources. En sus, un focus group regroupant huit étudiants en Lettres Modernes a été réalisé. Les participants à ce focus group sont tous des étudiants burkinabè orienté à l’UNB mais venus de la Côte d’Ivoire.

  1. Résultats

2.1.1. La disparition des rangs, un avantage certes mais pas assez

Le premier avantage de Campus Faso qui ressort dans la majorité des personnes interrogées est celui de la disparition des longues files d’attente lorsque les dépôts de dossiers d’orientation se faisaient physiquement. En effet, selon une étudiante en Histoire : 

Bon, je ne connais pas trop pour les temps (années) précédents, mais nos prédécesseurs (ainés) ont dit qu’apparemment qu’avant, eux, ils souffraient beaucoup parce qu’ils prenaient le rang pour aller déposer les dossiers ainsi de suite. Mais pour nous, c’était plus facile, on ne va pas se fatiguer pour aller s’aligner, se bousculer tout et tout. Donc, tout cela est un grand avantage (Étudiante en Histoire et archéologie, Baccalauréat, 2019, Série A).

Un autre étudiant donne plus de détails sur cet avantage. Pour lui, l’application est bénéfique car si elle n’existait pas, les nouveaux bacheliers allaient faire un rang. Cet étudiant signale en outre que cela pouvait prendre des semaines. De même certains nouveaux bacheliers, confie cet enquêté, à défaut d’aller très tôt, dorment au lieu du dépôt pour accomplir leur dépôt. Dans la même lancée, un autre enquêté soutient :

Bon, les avantages, il faut dire beaucoup d’avantages hein. Bon avant, les gens… comme je n’étais pas au campus, j’aurais appris que pour pouvoir faire les inscriptions, ce n’était pas facile. Il fallait faire un long rang. Imaginer ceux qui sont au village comme ça, ils n’ont pas de tuteur en ville, s’ils doivent se déplacer venir veiller… pourtant ce n’est pas le début des cours, venir faire l’inscription et se retourner. Ce n’est pas simple. Donc, ça évite les longs rangs et puis ça évite de faire beaucoup de courses aussi. Parce que faire les papiers ce n’est pas simple. Si tout était en ligne ça allait être bien (Étudiant en Médecine, ressortissant de Dédougou).

La disparition des longues files pour le dépôt des dossiers est bien perçue comme avantage car elle rend la tâche facile aux nouveaux bacheliers. C’est pourquoi, un des enquêtés soutient qu’il suffit d’avoir dix (10) mégas et rester chez soi pour faire son dépôt en ligne. Néanmoins, certains enquêtés déplorent le fait que le processus se limite au dépôt des dossiers uniquement. De ce fait, c’est comme si rien n’avait changé. C’est ce qu’il faut comprendre dans les propos de cet enquêté : 

Donc, même si on avait dit que Campus Faso allait réduire les retards, au niveau des inscriptions pédagogiques nous constatons que cela n’a rien changé, les étudiants continuent de prendre les rangs pour s’inscrire. Parce qu’après les inscriptions sur Campus Faso qui est une étape préliminaire, il y a d’autres inscriptions pour pouvoir enregistrer l’étudiant dans son UFR, tout cela entraine des retards. Quand nous nous sommes rentrés en 2018, il a fallu attendre jusqu’en Juin Juillet pratiquement en Octobre pour qu’on puisse avoir la liste définitive de notre promotion (Étudiant en Sciences Biologique (SB), ressortissant de Bobo Dioulasso).

À travers les propos de cet étudiant, il faut retenir tout simplement que Campus Faso a certes un avantage considérable, cependant elle ne constitue qu’une épine de moins des longues files que les nouveaux bacheliers sont amenés à faire. C’est dans cette dynamique qu’un des enquêtés suggère l’élargissement du processus : « Voyez vous-même pour l’établissement de la carte magnétique pour le restaurant universitaire s’il y avait une application pareille, ça allait être plus bénéfique ».

Cliché 01 : Une file d’étudiants en rang pour leur inscription à l’Université Joseph KI-ZERBO.

2.1.2. La réduction des dépenses liées au dépôt de dossiers des nouveaux bacheliers, un avantage mitigé

Le deuxième avantage lié à l’utilisation de Campus Faso concerne la réduction des charges financières du nouveau bachelier. En effet, la plateforme Campus Faso comporte un gain économique à plus d’un titre selon les personnes interrogées. Ce gain économique est intimement lié à la question des frais de transport et/ou de déplacement pour se rendre dans la (les) ville (s) où se trouve (nt) l’(les) université (s) dans l’optique de procéder au dépôt de dossier (physique). Certains enquêtés trouvent alors que l’application est une meilleure option. Puisqu’avec elle, il n’y a plus de déplacement. Cela permet d’économiser. À titre illustratif, selon un étudiant en Mathématiques Physique Informatique (MPI) : « Bon, les avantages, ça permet de réduire les coûts parce que si c’était dépôt physique, tu étais obligé de venir à Bobo pour le faire, le transport aller-retour ça vaut les 15000f ». Dans le même ordre d’idées, un autre enquêté renchérit :

Le premier avantage, c’est que ça permet de faire l’inscription sur place, ça évite les longs déplacements. Pour quelqu’un qui doit se rendre à près de 500km pour faire son inscription, cela augmente les dépenses. Mais je pense qu’avec cette application, tu recharges seulement, ton forfait internet et puis tu fais ton inscription chez toi (Étudiant en médecine, ressortissant de Dano).

Au niveau du focus group, un des participants signale le gain économique en ces termes : « Moi, c’est pour signaler le transport pour ceux qui ne sont pas à Abidjan. Moi, je suis de Daloa, donc je ne paie plus le transport pour venir à Abidjan, ou au consulat et autres pour les dépôts » (focus réalisé sur le site du 22 de l’Université Nazi Boni). En effet, avant la mise en place de Campus Faso les bacheliers burkinabè, titulaires du baccalauréat ivoirien déposaient les dossiers au consulat du Burina Faso en Côte d’Ivoire afin d’être orientés dans une université. C’est de cet état de fait que l’enquêté cité ci-dessus fait allusion.

  Cependant, il faut noter que l’avantage économique lié à la mise en place de Campus Faso pour les dépôts et orientations des nouveaux bacheliers ne semble pas être partagé par tous. D’aucuns trouvent que cette nouvelle mesure ne réduit pas fondamentalement les charges financières des nouveaux bacheliers. Pour cet enquêté en Sciences Biologiques (SB): 

Bon, moi je vois que c’est la même chose. Ça n’a pas changé parce que je prends l’exemple de Ouaga il y a des étudiants effectivement qui ont fait le dépôt en étant à Bobo. Mais quand les inscriptions pédagogiques sont venues, ils étaient obligés de faire le déplacement pour faire l’inscription pédagogique alors que la rentrée n’était pas encore prévue. Ils sont revenus encore attendre la rentrée et repartir. N’est-ce pas la même chose ? C’est la même chose, il n’y a pas de différence (Étudiant en SB, Baccalauréat 2018, Série D).

Cet enquêté poursuit ses propos en arguant qu’ils ont même constaté une augmentation des frais de scolarité. Les frais de scolarité qui selon lui étaient à 15000f dans les universités publiques du Burkina Faso s’élèvent à 16500f avec l’avènement de Campus Faso. Aux yeux de ce dernier, Campus Faso est venue augmenter les charges des nouveaux bacheliers. L’attention de cet enquêté a été attiré sur le fait que lors des dépôts physiques, il y avait une pochette qu’il fallait se procurer contre la somme de 1000 FCFA et c’est cette pochette qui coûte actuellement 1500 FCFA. Ce qui fait que le tout équivaut à 16500 FCFA.

II.1.3. Campus Faso, une application rapide et fiable non admise par tous

La fiabilité et la rapidité constituent le troisième avantage que les interviewés perçoivent dans l’usage de Campus Faso. En ce qui concerne la rapidité, les enquêtés trouvent qu’il ne se passe pas trop de temps entre la période de dépôt des dossiers en ligne et la publication des résultats d’orientation. Du coup, cela permet d’éviter les retards. S’agissant de la fiabilité, un des participants au focus group relève que cet outil permet d’éviter les erreurs qui sont l’œuvre des hommes. Selon lui : « … c’est une application qui est fiable parce que ce n’est pas de façon ancienne où il peut avoir des erreurs. Comme c’est un truc informatique, il n’y aura pas d’erreur ». En lien étroit avec la fiabilité, un enquêté souligne l’aspect sécurisant de la plateforme Campus Faso. Pour lui :

Concernant aussi leur payement sur ladite plateforme, au moins là-bas la sécurité était garantie parce que si tu faisais ton virement et que tu n’arrivais pas à mettre le code à temps, on te renvoyait ton argent instantanément dans ton compte. Donc, à ce niveau la plateforme était sécurisante. L’autre avantage c’est d’avoir permis de modifier les choix avant la date de clôture des dépôts de dossiers (Étudiant en médecine, ressortissant de Houndé).

Allant dans le même sens de la rapidité et de la fiabilité, le point focal de Campus Faso à l’UNB trouve que l’avantage de la plateforme est qu’il permet d’avoir le nombre exact ainsi qu’une traçabilité sur l’ensemble des étudiants à travers leur Identifiant National d’Étudiant (INE). Cet avantage procure selon le point focal Campus Faso à l’UNB une vision globale aux autorités et leur permet de mieux orienter et planifier les actions dans l’enseignement supérieur.

Si la rapidité de la plateforme n’est pas sujette à débat, sa fiabilité quant à elle mérite d’être relativisée. Car bien qu’étant un outil informatique, il ne faut pas perdre de vue que la conception et la programmation de ces outils découlent de l’action humaine. En effet, des cas d’erreurs d’orientation émanant de la plateforme ont été constatés çà et là. C’est pourquoi, selon un enquêté : « Parmi les douze choix, il arrive que l’étudiant ne soit pas orienté dans une de ces filières. On le met dans une autre filière qui ne figure pas dans ses choix. Ça c’est déjà un problème. Il y en a en Mathématique Physique Information (MPI) et en Sciences Biologiques (SB) ». Les cas dont parlent cet enquêté sont des bacheliers de l’année 2018, première année d’utilisation de Campus Faso comme outil d’orientation.

Les avantages de la plateforme étant ainsi perçus quelles difficultés peut-on déceler quant à l’utilisation de cette innovation ?

2.2. Difficultés rencontrées par les nouveaux bacheliers sur Campus Faso

Dans ce point-ci, les interviewés peuvent être répartis en deux (2) classes. Il y a d’une part la classe de ceux qui affirment ne pas avoir rencontré de difficultés lors des différentes étapes de l’orientation à travers Campus Faso. À titre d’exemple, un enquêté soutient qu’à son niveau : « …il n’y a pas eu de difficultés. Nous avons fait une première inscription et après j’ai demandé à ce qu’on modifie. Ces modifications ont été faites et cela n’a pas posé de problème ». Une enquêtée abonde dans le même sens en ces termes : « Je n’ai pas rencontré de difficulté. Ça s’est bien passé. En tout cas, j’ai trouvé que c’était accessible ». Cette situation s’explique par le fait que de nombreux nouveaux bacheliers ont eu recours à des tiers (proche, parent, ami) pour le dépôt de leurs dossiers. Suivant cette logique, il parait évident qu’ils soutiennent n’avoir pas rencontré de problèmes durant tout le processus. Les propos d’un enquêté entre en droite ligne de cette analyse lorsqu’il soutient que : « Bon, selon moi, c’est au niveau des paiements. Bon moi en tout cas, j’ai été aidé par un ami qui a fait mon paiement. Mais, j’ai des amis qui n’ont pas pu faire leurs paiements. D’autres ont fait mais n’ont pas reçu de récépissé ». D’autre part, il y a la classe composée essentiellement par les enquêtés ayant rencontré un certain nombre de soucis divers. Ces problèmes font l’objet d’analyse dans les points suivants.

2.2.1. Les difficultés d’ordre technique

Les premières difficultés sont d’ordre technique. Certains propos attestent cette réalité. Selon, un enquêté : « Je dirai que premièrement le dossier a été déposé et c’est rester en attente jusqu’à ce que tous les autres ont eu leurs résultats. Donc, il a fallu attendre encore la session de rattrapage pour redéposer le dossier à nouveau et là ça été traité ». De même, lors du focus group une participante disait ce qui suit : 

Quand moi j’essayais, pour faire ça moi-même, c’était bizarre. Je n’ai pas pu faire. L’inscription était bizarre. Je ne comprenais rien. Quand on me demande de mettre telle chose, je mets et puis après on affiche que ce n’est pas valide. Donc, c’était bizarre, je ne comprenais pas, donc j’ai laissé … (Étudiante en Lettres Modernes, venue de la Côte d’Ivoire).

Loin de vouloir justifier ce qu’évoquent ces enquêtées, nous pensons que ces différents soucis mentionnés sont dus à la qualité moindre de la connexion internet utilisée par ces derniers. A ce sujet, les propos d’un enquêté en disent long :

Bon, la principale difficulté qu’on a rencontrée, c’était le réseau. Parce qu’on est parti ce jour-là au cyber aux environs de 11h jusqu’à 15h 16h, ce n’était pas toujours envoyé. On est reparti même à la maison, c’est plus tard vers 18h, le gérant nous a appelé pour nous faire savoir qu’il a pu envoyer ça (Étudiant en Médecine, ressortissant de Dano).

Ces soucis rencontrés découlent en outre, dans une certaine mesure, du temps mis par Campus Faso pour vérifier la qualité et la fiabilité de ces documents. Dans cette perspective, les propos de cet étudiant en MPI venu de la Côte d’Ivoire semblent assez pertinents : 

Bon, la première difficulté que je vois, c’est qu’au premier jour où je suis allé pour le dépôt, on demandait le bulletin de troisième trimestre des classes de seconde, première et terminale. Or, le bulletin de troisième trimestre de terminale je n’avais pas ça. J’ai été obligé d’aller au Lycée pour récupérer. Et quand, on a voulu faire le dépôt, le réseau balançait. C’est quatre jours après que le dépôt a pu être effectué (Étudiant en MPI, Baccalauréat 2019, Série D).

Selon les propos du gestionnaire de Campus Faso, les critères et procédure d’orientation des Baccalauréats obtenus à l’étrangers sont différents des Baccalauréats nationaux. Au niveau du Baccalauréat étranger, c’est le nouveau bachelier qui indique quel type de Baccalauréat il a et choisit en même temps ses filières de préférences. Les Baccalauréats étrangers ne sont pas orientés automatiquement au même titre que les Baccalauréat nationaux (c’est-à-dire directement par la plateforme). En effet, selon le technicien Campus Faso (deuxième personne ressource), ils (les titulaires de baccalauréat obtenu à l’étranger) font uniquement le dépôt en ligne. Par la suite, une commission est mise en place dans chaque université pour procéder à leurs orientations.

Dans cette partie, il ressort que les difficultés techniques ont conduit certains nouveaux bacheliers au découragement et au renoncement dans leur vaine tentative pour s’inscrire sur la plateforme. Ils ont par conséquent développé une autre stratégie afin de pouvoir faire le dépôt de leur dossier. Par contre face à ces difficultés techniques, d’autres ont tenu bon et insisté pour avoir gain de cause. Cependant, les difficultés techniques constituent-elles la seule difficulté soulevée par les enquêtés ?

2.2.2. L’impossibilité de réorientation, une difficulté majeure

Au nombre des difficultés que les personnes interrogées trouvent inacceptables figurent en bonne place l’impossibilité de procéder à une réorientation si d’aventure le nouveau bachelier n’est pas satisfait de son orientation. En effet, selon un étudiant en Sciences Biologiques (SB) : 

D’abord la première et grande difficulté, c’est la difficulté de réorientation. On fait les orientations de façon arbitraire, ça ne tient pas compte donc du choix des étudiants… une fois orienté, vous n’avez pas la possibilité de demander une réorientation (au cas où la filière ne vous convient pas). On se dit que les orientations sont faites maintenant en fonction des humeurs et non pas en tenant compte des capacités des nouveaux bacheliers alors cela de mon point de vue, ça peut jouer sur le cursus universitaire du nouveau bachelier, qui en tout cas n’a pas décidé de faire MPI et puis on l’envoie en MPI.

Ayant constaté le non-respect des choix opérés par certains nouveaux bacheliers l’année passée (en 2018), cet enquêté affirme que des démarches ont été entamées auprès des autorités universitaires pour résoudre cette question. Il précise en substance que :

à l’époque on nous avait fait comprendre que la chose n’était pas aisée avec des figures de style tentant de nous faire comprendre que la réorientation n’est pas possible. Mais, face à la détermination de ces étudiants, les autorités universitaires ont été contraintes à un moment donné de permettre à ces étudiants de pouvoir s’orienter dans les filières de leur choix. Cette année, la problématique a été posée d’autant plus qu’il y a certains qui n’ont pas été orientés dans les 12 choix. Par exemple en MPI il y a deux ou trois étudiants qui sont dans la problématique…

Selon les personnes ressources interrogées, il est très difficile que l’on n’oriente pas un nouveau bachelier dans au moins l’un des douze choix. Le technicien Campus Faso signale qu’il a été demandé à ceux qui disent qu’ils n’ont pas été orientés dans les choix opérés sur la plateforme de prendre attache avec les techniciens de Campus Faso. Cependant, ils n’ont enregistré aucune requête dans ce sens.  Le point focal ajoute pour sa part que le seul cas d’anomalie qu’il a constaté, concernait un bachelier de la diaspora. Selon le point focal de Campus Faso, l’erreur vient du bachelier lui-même. En effet, ce bachelier a obtenu un Baccalauréat série A2 (baccalauréat ivoirien), mais il a inscrit sur la plateforme qu’il a un Baccalauréat série D. Pour une de nos personnes ressources (point focal Campus Faso UNB), cette situation est due au fait qu’au niveau des Baccalauréat étrangers, c’est le nouveau bachelier qui précise la série de son Baccalauréat. Pour éviter de telles situations, il faudrait travailler à intégrer les données des nouveaux bacheliers de la diaspora sur Campus Faso. L’impossibilité de réorientation est une contrainte majeure que vivent les nouveaux bacheliers. C’est dans cet élan que lors du focus group, un des participants posait cette préoccupation : 

Bon, est ce qu’il aura une troisième phase pour ceux qui ne sont pas satisfait de leur orientation parce que j’ai un ami qui a été orienté en Histoire et Archéologie, vu que chaque pays étudie son histoire et il est à Ouaga actuellement il a trop de difficulté pour pouvoir s’adapter. Il m’appelle à tout moment pour me dire qu’il va repartir en Côte d’Ivoire… Pour ceux qui ne sont pas satisfaits est-ce qu’on peut trouver une solution pour eux (Étudiant en Lettres Modernes, Baccalauréat 2019, Série A).

Sur cette préoccupation, le point focal signale que si l’on en vient à permettre les réorientations ou permutations, c’est l’esprit même de Campus Faso qui sera faussé. Pour lui étant donné qu’il y a des critères assez objectifs incorporés sur Campus Faso, il faut plutôt diffuser et mettre à la disposition des nouveaux bacheliers lesdits critères. Hormis les difficultés d’ordre technique et celles liées à l’impossibilité de procéder à la réorientation, le nombre de choix à opérer sur Campus Faso peut-il être perçu comme une difficulté ?

2.2.3. Le nombre élevé de choix à faire sur Campus Faso est vu comme une difficulté

L’une des contraintes que soulève Campus Faso, c’est bien entendu le nombre élevé de choix qu’il faut opérer sur la plateforme. En effet, certains enquêtés ont affirmé qu’ils opéreraient certains choix de filières afin d’atteindre l’effectif de choix exigés. Le nombre de choix étant fixé à douze (12) pour cette année 2019, un des enquêtés trouve ce nombre trop élevé. Car selon lui : 

[…] le choix d’un nouveau bachelier ne peut pas dépasser trois choix. On ne peut pas vouloir faire plus tard quatre fonctionnalités à la fois. Il ne peut exister selon nous qu’un seul ou deux tout au plus de choix. Mais demander à quelqu’un de faire 12 choix, je pense que c’est trop, il faudra peut-être travailler à réduire ce nombre pour pouvoir améliorer la qualité de Campus Faso. Sinon, en réalité à l’heure actuelle il y a des difficultés parce que déjà plusieurs étudiants nous approchent pour ces cas de réorientations (Étudiant en Sciences Biologiques, Baccalauréat 2019, Série D).

Parallèlement aux propos ci-dessus, un enquêté abonde dans le même sens en exposant sa propre expérience :

Le problème que j’ai eu, c’est que quand j’ai débuté premièrement j’ai eu des problèmes au niveau du choix des filières parce que là-bas il fallait faire jusqu’à 12 choix. Et je pense qu’avant même le Baccalauréat, on avait des informations sur des filières et c’est les trois premiers choix qu’on veut réellement. Maintenant, les 09 autres choix qui suivent, vraiment, si on te met dans une de ces filières-là, on dira que tu as choisi mais tu n’avais pas le choix, tu voulais compléter les 12 là seulement. Sinon, jusqu’à 12 choix, on va te mettre dans une filière, toi même tu ne seras pas content quoi. À mon niveau ça été difficile de faire les 12 choix (Étudiant en médecine, ressortissant de Houndé).

À côté de la difficulté liée au nombre de choix de filière, se rattache une autre difficulté similaire qui découle de la précédente. Celle-ci est liée au classement des choix de filières. Vu le nombre élevé de choix à opérer, certains nouveaux bacheliers éprouvent d’énormes difficultés de classement. À ce propos, un des enquêtés dit : « Bon l’autre difficulté c’est comment faire le classement des filières et des universités si tu n’as aucunes informations afin de pouvoir les classer » (Étudiant en Histoire, ressortissant de Bobo-Dioulasso).

Par rapport au nombre de choix élevé de filière, il faut souligner que ce nombre n’est pas aussi élevé comme le pensent les étudiants. En effet, même si la plateforme exige douze choix de filière, il ressort que le nouveau bachelier a la possibilité de faire le choix d’une même filière dans plusieurs universités du pays. C’est pourquoi, les filières Lettres Modernes, Mathématiques Physiques Informatique (ou Mathématiques Physiques Chimie Informatique dans certaines universités du pays) et Sciences Biologiques (ou Sciences de la Vie et de la Terre dans certaines universités du pays) existent dans cinq universités et/ou centres universitaires publics. La Médecine, l’économie (Sciences Économiques et de Gestion), l’Histoire et archéologie, le Droit, la sociologie (anthropologie) existent dans trois universités publiques. La Pharmacie se trouve uniquement dans deux universités publiques. Ainsi, il convient plutôt de parler du nombre élevé de choix de ville universitaire que de choix de filière. En dehors des difficultés explicitées plus haut, on peut mentionner une dernière qui est liée au décalage de la période de dépôt entre les nouveaux bacheliers.

2.2.4. Décalage de la période de dépôt entre les nouveaux bacheliers nationaux et ceux de la diaspora

Cette difficulté est ressortie à la faveur du focus group qui a regroupé huit étudiants en Lettres Modernes dont trois filles et cinq garçons, tous venus de la Côte d’Ivoire. L’avantage de ce focus group est qu’il a permis d’apprécier dans une même situation les divergences d’information des participants. Ainsi, selon une participante au focus group:

Bon, je vois que les résultats du Baccalauréat ici au Burkina Faso sortent avant les résultats de la Côte d’Ivoire. Donc, quand les résultats sortent au Burkina, eux ils ont tendance à lancer la date des inscriptions sans que nous (de la Côte d’Ivoire) ne soyons informés, sans qu’on ait nos résultats aussi. Quand c’est comme cela nous n’avons pas d’information, Comment on fait ? (Étudiante en Lettres Modernes, Baccalauréat 2019, Série A).

Une autre participante rétorque en réponse à la précédente que :

C’est que tu n’étais pas bien renseigné parce que le Baccalauréat national, leur date d’inscription est différente du Baccalauréat étranger. Je prends le cas de l’inscription comme cela eux ils ont commencé avant nous. Mais quand nous nos résultats du Baccalauréat sont sortis, un mois après ils ont lancé pour nous. Et en ce qui concerne les résultats les Baccalauréats nationaux ont reçu leurs résultats deux semaines avant les baccalauréats étrangers.

Un des participants trouve que cette façon de procéder est à revoir. La préoccupation qu’il soulève est qu’on privilégie une catégorie au détriment d’une autre. En réalité, celui-ci a laissé entendre que les bacheliers burkinabè s’accapareraient de meilleures places à l’Université et eux ils seront orientés dans des filières qu’ils ne veulent pas ou dans les filières restantes. Dans sa logique à lui, il trouve qu’il serait de bon ton d’uniformiser les périodes de dépôts des dossiers.

La perspective dialectique que nous avons adoptée a permis de faire ressortir dans cette partie les contradictions, les oppositions et les ambivalences quant à la numérisation de l’orientation des nouveaux bacheliers à travers ceux de l’université Nazi BONI. Dans la partie ci-dessous, cette approche dialectique est toujours de mise avec cette fois la confrontation de nos résultats et ceux existant dans les réflexions et écrits antérieurs.

Discussion

Il ressort que l’outil d’orientation Campus Faso procure de nombreux avantages aux nouveaux bacheliers. Ces avantages se situent en premier lieu au niveau de la disparition des longues files d’attente pour le dépôt des dossiers physiques. En deuxième lieu, il y a la réduction des dépenses au dépôt de dossier d’orientation. La rapidité et la fiabilité constituent en troisième lieu les autres avantages de Campus Faso.

En ce qui concerne le premier avantage, il est à noter qu’avant l’avènement de Campus Faso, la période de dépôt occasionnait des longues files d’attente au sein des universités. Cette situation était jugée trop pénible et fatigante pour les nouveaux bacheliers (J. Kienou, 2018 ; L. Tianhoun, 2018 et Z. Ouédraogo, 2018). J. Kienou (2018, p. 2) pour sa part écrit, avec l’avènement de Campus Faso, ce qui suit : 

Fini le calvaire des longues files d’attentes sous le chaud soleil pour les inscriptions à l’université. En effet, une solution dénommée « Campus Faso » permettant de s’inscrire en ligne va être disponible à partir de l’année académique 2018-2019 en vue de soulager les étudiants.

Dans le même ordre d’idée, O. Ouédraogo et M. Bayala (2018, p. 2) affirment que :

Ce système informatique dénommé Campus Faso, présente des avantages pour les nouveaux bacheliers car, ce système permettra aux étudiants de disposer d’un portail unique d’information des étudiants et de mettre fin à la longue files d’attente devant les guichets dans la mesure où les inscriptions pourront se faire partout au Burkina Faso.

Ces différentes assertions vont en droite ligne des résultats de la présente recherche en ce sens les personnes interviewées ont mentionné la disparition des longues files d’attente comme avantages de la plateforme. Toutefois, les enquêtés déplorent le fait que la plateforme ne prend en compte que les orientations. Ils sollicitent donc l’élargissement de Campus Faso à d’autres œuvres universitaires. Aussi, cela va permettre aux étudiants de la diaspora de s’inscrire sans avoir besoin de se déplacer.

Pour ce qui est du deuxième avantage qui porte sur la réduction des frais liés au dépôt des dossiers d’orientation, nos résultats montrent que cet avantage participe à la bonne perception de l’innovation que constitue Campus Faso. Ainsi, on peut affirmer que le critère économique (réduction des charges) joue un rôle fondamental dans la perception que les enquêtés ont de ce support d’orientation. En effet, plus le gain économique est bien perçu, plus favorable est la perception sur cette innovation. Cette analyse est corroborée par T. Fayama (2018, p. 45) en ce qui concerne l’adoption ou non d’une innovation technologique en ces termes : « Le critère économique représente donc un facteur déterminant dans le processus d’adoption ou de non-adoption des innovations techniques ». La réduction des frais liés au dépôt des dossiers d’orientation découle du fait que le nouveau bachelier ne se déplace plus et ne légalise plus des documents en lien avec l’orientation. Cette situation implique une rupture spatio-temporelle par rapport à l’orientation avant l’adoption de Campus Faso. L’avènement de la numérisation des orientations à l’Université Nazi BONI fait donc disparaitre la notion temps/espace du processus d’orientation. C’est cet état de fait que K. Konan (2021) démontre lorsqu’il se réfère à K. Schwab (2017). En effet, selon ce dernier l’innovation technologique « gomme les frontières entre les sphères physique, numérique et biologique » (K. Schwab, 2017 cité par K. Konan, 2021, p. 806).

Au demeurant, il convient de relever que l’augmentation des frais de dépôt de dossier de 15000 FCFA à 16500 FCFA avec la plateforme Campus Faso crée des résistances et frustration du fait du manque de communication. En effet, aucune explication n’a été fournie pour justifier cet état de fait. Or, pour que toute innovation soit bien perçue, il lui faut un plan de communication efficace (T. Fayama, 2018). Par conséquent, il serait bienséant que les concepteurs de Campus Faso développent un plan communicationnel pour mettre tous les acteurs au même niveau d’information.

Tous ces avantages perçus par les enquêtés rejoignent les attributs de la « bonne » perception d’une innovation comme énoncés par E. M. Rogers (1983). Ces attributs sont entre autres le bénéfice relatif que procure l’innovation, sa compatibilité avec les attentes des bénéficiaires, sa complexité, son aptitude à être essayé et sa pertinence. Néanmoins, notons que tous ces éléments ne sont pas perçus comme avantage par l’ensemble des enquêtés. Certains pensent que l’innovation crée plus de problèmes qu’elle n’en résout. Cela laisse entrevoir que la plateforme Campus Faso, tout comme toute innovation n’est pas exempte d’insuffisances, de difficultés. La diversité de perception des acteurs par rapport à la plateforme est un processus normal si l’on s’en tient R. Rocher (2002, p. 87) : « On observe en effet qu’une même réforme donne lieu à des représentations sociales variées, plus ou moins convergentes et divergentes, selon le statut et le rôle des agents et acteurs qui les portent ». Pour lui, cette dialectique entre dans la dynamique de jeu d’intérêts et détermine le succès, l’échec, les réajustements d’une réforme (innovation).

Au titre des difficultés, les résultats de la présente étude ont fait ressortir entre autres les difficultés d’ordre technique, l’impossibilité de réorientation, le nombre élevé de choix et le décalage de la période de dépôt (entre bacheliers nationaux et ceux de la diaspora). En ce qui concerne la difficulté liée à l’impossibilité de réorientation au cas où le bachelier n’est pas satisfait, il faut signaler que cet état de fait met certains bacheliers dans une situation d’« orientation subie » (B. C. V. Rouamba/Ouédraogo et I. Ouattara, 2016). Laquelle « orientation subie » qui n’est pas que préjudiciable uniquement pour le bachelier mais pour la société elle-même dans la mesure où ce dernier constitue d’une manière ou d’une autre la relève. Ainsi donc, c’est toute la société qui pâtit de cette situation. C’est sous cette vision qu’il faut comprendre l’Organisation pour la Coopération et le Développement Économique (OCDE) lorsqu’elle affirme l’assertion suivante : « Les erreurs dans le choix de carrière coûtent chers, à la fois aux étudiants et à la société » (OCDE, 2010, p. 93).

S’agissant de la difficulté relevant du nombre élevé de choix à faire, tout comme l’a montré cette étude, cela a été relevé par K. A. Diabouga (2019) à travers les propos de certains de ses enquêtés. Notons qu’au titre de l’année académique 2018-2019, les bacheliers devraient opérer dix-huit (18) choix de filières. En comparaison à l’année académique en cours, on constate qu’il y a une diminution notable même si ce nombre parait toujours élevé du point de vue des enquêtés.

Par ailleurs, on peut retenir que tout le problème de la plateforme se résume au fait qu’elle constitue un nouvel outil. Par conséquent, les acteurs du système universitaire développent une certaine réticence pour embrasser la nouveauté. De ce fait, les usagers ont besoin d’être rassurés sur l’utilisation de leurs données personnelles, notamment la sécurité de celles-ci. Cette peur est inhérente à toute innovation, toute nouveauté. C’est dans ce sens que des auteurs tels que E. M. Rogers (1983) et T. Fayama (2018) sont arrivés à la conclusion selon laquelle les réticences face à l’innovation proviennent de l’attachement des individus aux pratiques traditionnelles. Ils manifestent par conséquent une certaine résistance face au changement sans pour autant y être réfractaires. Da la même lancée, B-M. Graham, (2017, p. 3) affirme qu’ :

À travers l’histoire, les gens ont souvent eu une certaine ambivalence pour les progrès technologiques. Les inquiétudes se résument généralement par trois catégories : le remplacement d’ouvriers par des machines pour améliorer la productivité et réduire les coûts, les conséquences morales du progrès et le ralentissement du progrès qui entraîne la stagnation.

En ce concerne les conséquences morales, on note que selon K. Konan (2021) l’apparition du phénomène de « broutage » est liée au développement du numérique en Côte d’Ivoire. Pour lui, le broutage est : « une sorte d’immoralité et de criminalité, qui rentre en compétition avec les effets désirés de l’informatique. Cette activité sociale se manifeste entre autres par la falsification de documents administratifs, de diplômes, du gain illicite d’argent, etc ».  Mais, au-delà du broutage, il convient de signaler que l’informatisation (la numérisation) des données à travers Campus Faso engendre la peur des utilisateurs dans la mesure où les données informatisées peuvent faire l’objet de cyberattaques, puis de cybercriminalités. J. P. Nacoulma (2018) détaille cette situation dans son étude. Pour lui, l’utilisation d’internet occasionne un certain nombre d’infractions pénales. Ces infractions liées aux réseaux de télécommunications sont entre autres : 

Les atteintes au système de traitement automatisé de données, les traitements non autorisés de données personnelles, les chiffrements non autorisés ou non déclarés ou encore les interceptions (…), les atteintes aux personnes privées et aux personnages publics, les atteintes aux biens. Les escroqueries en ligne… (J. P. Nacoulma 2018, p. 51).

C’est donc dire que tous les acteurs intervenant dans l’orientation, notamment les bacheliers doivent être rassurés quant à la sécurité des informations personnelles qu’ils introduisent sur la plateforme Campus Faso.

Conclusion

La plateforme Campus Faso constitue une innovation technologique mise en place par les autorités burkinabè pour l’orientation en ligne des nouveaux bacheliers depuis la rentrée académique 2018-2019. L’objectif du présent travail était d’analyser la perception sociale de la numérisation des orientations des bacheliers à l’Université Nazi BONI de Bobo-Dioulasso. Pour ce faire, nous dégagé les changements induits par cette innovation dans la vision et dans les habitudes des nouveaux bacheliers. Cela a fait ressortir les avantages ainsi que les difficultés perçus de cette innovation par les étudiants de l’Université Nazi BONI. Ainsi, on peut dire que l’innovation a, dans une certaine mesure, impacté positivement les habitudes qui existaient dans le processus d’inscription et d’orientation des nouveaux bacheliers au Burkina Faso. C’est pourquoi, certains enquêtés souhaitent son élargissement à d’autres niveaux tel que l’inscription pédagogique, la confection des cartes d’étudiants, des cartes du « Centre National des Œuvres Universitaires » (CENOU) et des cartes du Restaurant Universitaire (RU).

Toutefois, il convient de signaler que malgré les différents avantages de Campus Faso, d’autres enquêtés se basant sur les difficultés qu’ils ont rencontrées lancent des appels pour plus de perfectionnement de la plateforme. Ces appels concernent la réduction du nombre élevé de choix à faire, l’indisponibilité des techniciens de la plateforme, l’uniformisation de la période de dépôt des dossiers (bacheliers nationaux et étrangers) et la possibilité d’une réorientation.

Par ailleurs, ce qu’il faut retenir de ces difficultés soulevées par Campus Faso selon un enquêté, c’est que les choses n’ont fondamentalement pas changé. Il trouve même que l’application est venue aggraver la situation sur les orientations au sein des universités. En effet, pour lui au moment où l’on procédait au dépôt physique de dossier, l’orientation se faisait du tic au tac. Lorsqu’on orientait un bachelier dans une filière et qu’il n’en était pas satisfait, il y avait une session à laquelle on permettait à ceux qui désirent changer de filière de pouvoir le faire. Cet enquêté constate qu’avec l’avènement de Campus Faso, on est en train de mettre fin à la réorientation.

En tout état de cause, il convient de reconnaitre que la plateforme a contribué à rompre avec les méthodes traditionnelles associées aux orientations au Burkina Faso, comme indiqué plus haut. Il s’agit notamment de la disparition des longues files d’attente pour le dépôt des dossiers physiques, de la réduction des dépenses au dépôt de dossier d’orientation, de la rapidité et fiabilité permettant de juguler un tant soit peu les retards de rentrée académiques au Burkina Faso. Cependant, des efforts restent à faire au vu des imperfections constatées dont la principale concerne la non réorientation. Cela amène nombre de nouveaux bacheliers à abandonner l’orientation dans le public pour s’inscrire à leurs propres frais dans les instituts et universités privés. Cette problématique pourrait faire l’objet d’une recherche ultérieure.

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