Infundibulum Scientific

DIEU, L’ARGENT : QUEL PASTEUR POUR L’AFRIQUE MODERNE ?

God, money: which pastor for modern Africa?

Dios, dinero: ¿qué pastor para África?

Koko Marie-Madeleine SÉKA
Enseignante-Chercheure
INSAAC (Institut National Supérieur des Arts et de l’Action Culturelle)
Côte d’Ivoire

Mots-clés, Keywords, Palabras clave

Aliénation, argent, aujourd’hui, Pasteur, religion,
Alienation, money, Pastor, religion, today,
Alienacion, dinero, pastor, religión, hoy,

TEXTE INTÉGRAL

          Introduction

          Philosophe allemand, Ludwig Feuerbach Andréas est l’auteur de L’Essence du christianisme son œuvre maîtresse.  En effet, dans celle-ci,  Feuerbach s’attache à définir ce qu’est l’objet religieux proprement dit, à savoir, par quel processus l’homme image un être transcendant, Dieu. Avec lui, on est au cœur de l’athéisme moderne car il est le précurseur de toute la critique moderne de la religion.  Il a, de ce point de vue, influencé directement Marx (1818-1883), Freud (1856-1939), Nietzsche (1844-1900) et a provoqué les théologies de la sécularisation qui sont des manières de relever le défi feuerbachien. Feuerbach devient le prophète d’un nouvel humanisme et le dit clairement :

Je nie Dieu, cela signifie pour moi, je nie la négation de l’homme, je mets à la place de la position illusoire, fantastique céleste de l’homme, qui dans la vie réelle amène nécessairement la négation de l’homme, la position sensible, réelle par suite nécessairement aussi politique et sociale de l’homme.  La question de l’existence ou de la non-existence de Dieu est seulement chez moi la question de l’existence ou de  la non-existence de l’homme (1977, p.66).

        

                  À y voir de près, le père de l’athéisme moderne, n’aurait pas tort de le penser. De fait d’après R. Marshall-Fratani (2001, pp. 24-44) :

Sa croissance remarquable a redoublé depuis la fin des années 80 et c’est dans cette dernière décennie que l’on a assisté à d’importants changements dans l’image, le style de vie, le prestige public et le pouvoir du pasteur. (…). Jusqu’au milieu des années 80 encore, l’image du pasteur pentecôtiste était associée à la pauvreté, au sacrifice, au rejet du prestige social et des biens matériels. (…). Mais aujourd’hui, l’opinion publique associe la vocation de pasteur, du prêtre, à la réussite sociale, à la richesse et souvent à l’escroquerie religieuse. Pour un œil critique, la conversion passe d’abord  pour un moyen d’assurer sa mobilité sociale, et fonder une église peut être considérée avant tout comme une façon de se faire de l’argent.

       

          L’attitude des hommes de Dieu en Afrique nous laisse sans voix. Est-ce Dieu qui aliène les hommes, ou les hommes dit de Dieu, les pasteurs qui en font un mauvais usage ? La critique de Feuerbach n’est-elle pas avérée du fait de l’instrumentalisation de Dieu en Afrique ? Peut-on servir à la fois le Dieu Amour et le Dieu Argent ? Car il est écrit dans la Sainte Bible dans l’évangile Saint Luc (16, 13): qu’« aucun serviteur ne peut servir deux maitres. Ou bien, il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien, il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir Dieu et Mammon ».   

         Cette parole est aujourd’hui d’une actualité étonnante. L’Argent doit-il remplacer Dieu dans nos églises ? Où se situe le comportement de valeur de nos prédicateurs, pasteurs et prêtres ? Dieu est-il contre l’argent ? Quel est donc le véritable rôle des pasteurs face à l’enseignement de l’argent, des biens-matériels ? L’objectif de cet article est de montrer le véritable rôle des pasteurs  face à une Afrique qui dessine chaque jour de nouveaux visages des biens matériels.           

         Pour y arriver, la méthode analytique basée sur les recherches documentaires nous ont permis d’établir le plan suivant.  Dans une première partie, montrer ce qu’est un pasteur selon la Bible  « le vrai prophète aujourd’hui se caractérise d’abord par une franche solidarité avec la société des hommes sans pour autant compromettre son image d’homme de Dieu ».  La deuxième partie se chargera de montrer ce que représente l’argent dans la Bible et comment l’appréhender. Ce qui pourra certainement interpeller non seulement ces nouveaux hommes de Dieu, mais aussi, la communauté chrétienne pour un meilleur monde.

  1. Qui est le Pasteur ?

            Littéralement, le pasteur c’est celui qui fait paître les troupeaux et en prend soin. C’est un berger, un gardien, un pâtre. C’est une personne qui vit de l’élevage du bétail. Le pasteur est alors un agriculteur, un chasseur, un pêcheur et parfois un nomade.  En ce qui nous concerne, le Pasteur est celui qui, possédant une autorité reconnue sur un groupe de personnes, a la charge de les diriger. « Nous sommes Les dynastes d’Argos et les pasteurs des hommes » dira  Charles-Marie (1886,  p.231).  Renchérira Marrou  en parlant des grands hommes d’État en ces termes, ce sont : «  les véritables pasteurs de peuple, qu’ils s’appellent Périclès ou Churchill », (1954, p. 201). C’est donc celui qui a la charge de guider la spiritualité d’un ensemble de personnes. Le pasteur est celui qui retrouve et sauve la brebis égarée à l’exemple du Christ lui-même selon l’évangile du Bon Pasteur.  Comme disait V. Larbaud Barnabooth, (1913, p.254) : «  Il est considéré dans le soin qu’il doit prendre des fidèles confiés à sa charge ».

          En effet, l’Église a longtemps prôné l’idéal de pauvreté pour ses ministres. Pourtant, on entend parler aujourd’hui de pasteurs qui ont bâti une véritable fortune. Cependant, le Seigneur a mis en garde ses disciples contre les possessions en disant « Vous ne pouvez servir Dieu et Mamon » (Mt 6.24). Ce qui signifie que nous ne devons, en serviteurs de la Parole, nous croire immunisés contre le pouvoir qu’exerce l’argent. La sanctification passe donc alors par un recentrage dans ce domaine. Et nous avons à l’esprit cette prière si pertinente de l’Écriture en Proverbe 30.8b-9: « Ne me donne ni pauvreté ni richesse ; accorde-moi seulement ce qui m’est nécessaire pour vivre, car dans l’abondance, je pourrais te renier et dire : « Qui est l’Éternel » ? Ou bien, pressé par la misère, je pourrais me mettre à voler et déshonorer ainsi mon Dieu ». Quelle est donc l’attitude du pasteur en tant que responsable de la communauté chrétienne et conséquemment qu’est-il appelé à faire et enseigner dans le cadre de cette  communauté ? Quels sont à cet effet, ses devoirs et responsabilités en tant que croyant mais encore guide d’une communauté ?

            Si comme le soutient E. Lhermenault  (2015, p. 3): « l’intégrité est le caractère, la qualité d’une personne intègre, incorruptible, dont la conduite et les actes sont irréprochables», cela signifie que c’est une vertu indispensable pour celui ou celle qui exerce un ministère dans l’Église. L’apôtre Pierre, disciple de Jésus en l’exigeant des anciens donne déjà une idée de ce qu’est un pasteur et le dit : « soyez les modèles du troupeau » et  prenez soin de lui « non comme si vous y étiez forcés, mais de plein gré comme Dieu le désire,… non pour un profit matériel, mais par dévouement». Si l’on s’en tient à la question de l’argent, cela devrait se traduire de la manière suivante : montrer l’exemple : même si c’est parfois lourd à porter, le pasteur doit rester conscient de son rôle de modèle et donc faire ce qu’il dit et enseigne. Cela vaut pour trois choses liées entre elles : la consécration en matière d’offrande, La générosité en matière d’hospitalité et d’entraide, la rigueur en matière de gestion de ses propres affaires. 

             Envisageons d’établir sans aucune tentation d’hérésie une raisonnable comparaison entre Dieu et l’Argent, entre le sujet et l’objet, entre celui qu’on sert et celui dont on se sert. Le pasteur sert Dieu,  et le pasteur  se sert de l’argent. Alors,  quel est le rôle du Pasteur ? Où se situe ici le comportement de valeur qu’il doit adopter? Cette interrogation nous fait percevoir en définitive que c’est Dieu ou le pasteur. En réalité, si Ce « moi du pasteur », est son confort,  et la recherche de l’argent, le souci de la nourriture et du vêtement et que ce moi veut  veux être le seul maître chez lui, il est clair que le Pasteur passera en dehors de sa véritable mission. Or, le pasteur doit d’abord servir Dieu. En réalité, le mot « servir » a profondément ici un sens religieux. De fait, la Bible nous enseigne inlassablement, dans l’Ancien Testament comme dans le Nouveau Testament, que la seule personne, le seul sujet de notre service, c’est bien Dieu. Servir Dieu, c’est l’aimer, et l’aimer, c’est le servir. Et à travers lui, servir le prochain.

           En effet,  nous sommes au cœur d’une Afrique qui nous propose chaque jour de nouvelles valeurs à vivre, un monde qui dessine chaque jour de nouveaux visages culturels. Au cœur de cette Afrique qui traverse une conjoncture économique sans précèdent,  la tentation est grande de nous faire des idoles parce que selon L’Abbé J.B Tiémélé (2018, n°11, p.15): « Le monde est plongé dans une profonde misère. Une misère économique manifestée par des inégalités criardes dans la répartition des richesses ». C’est pourquoi, le pasteur doit veiller à ce que ses brebis comprennent la véritable signification des biens matériels et de l’argent. Ainsi, il  ne doit pas se faire des idoles car toute idolâtrie fait de nous des esclaves. Et à bien des égards, l’argent peut devenir une idole, surtout en ce siècle où le matériel et le plaisir sont si souvent mis en relief. Bref, le contexte social est particulièrement préoccupant sur le continent noir ; les nombreuses disparités socio-économiques suscitent dans bien des secteurs, rancœurs, jalousies, envoûtements…

          Par conséquent, Dieu et le prochain ne sont plus pour nous des priorités. Le pasteur doit donc rester extrêmement vigilant par rapport aux biens, afin d’éviter d’être possédés par ce que nous possédons. «Vous ne pouvez pas servir Dieu et l’argent» (Mt 6, 24), nous répète Jésus. Les personnes les plus démunies sont les victimes du culte de l’argent. Et pourtant, les ressources de la terre sont surabondantes! Ce qui constitue une des grandes pauvretés de notre humanité africaine en ce siècle est partage inéquitable des biens et des ressources planétaires. La culture de l’individualisme de plus en plus croissante, le réflexe de satisfaire d’abord le « moi » font reculer les frontières de la solidarité agissante. Et malheureusement, nous le voyons à travers ces « inégalités qui s’expriment  à travers la stratification sociale qui présente une classe de personnes immensément riches et une autre de personnes extrêmement pauvres » selon l’Abbé J.B Tiémélé , (2018,  p.15).

         Ce nouveau type de comportement crée un profond déséquilibre dans les relations entre les peuples et même entre les individus. La recherche effrénée du gain par les nations les plus fortes et les plus puissantes introduit malheureusement toutes sortes de conflits dans les pays pauvres et les livre ainsi au pillage et à la destruction des ressources dont ils sont pourvus.                             

          Face à cette réalité, le pasteur doit se présenter comme une force d’interpellation, avoir une parole rigoureuse et vigoureuse. Ce qui signifie qu’il a l’obligation de faire comprendre à son auditoire la véritable attitude à tenir face à un tel monde. Il doit pour cela montrer ce que signifie véritablement la richesse et l’utilité  de l’argent. De fait, l’argent est et demeure certainement un bien très utile pour nous procurer ce dont nous avons besoin. Mais il sera toujours un mauvais maître. On ne peut pas se le procurer à n’importe quel prix, surtout pas au prix de la violence. Plusieurs personnes pensent qu’avec beaucoup d’argent, elles s’ouvrent les portes du bonheur. C’est pourquoi, notre société ne se gêne pas pour attiser ce désir, jusqu’à la frénésie. Selon Schopenhauer la réalisation d’un désir : « c’est comme l’aumône que l’on jette à un mendiant, elle lui sauve aujourd’hui la vie pour prolonger sa misère jusqu’à demain ».

              En effet, l’homme étant un être de désir permanent la satisfaction d’aucun souhait ne peut procurer de contentement durable et inaltérable. C’est pourquoi,  certains problèmes matériels seront peut-être résolus, mais l’argent ne peut à lui seul nous assurer l’avenir, ni le vrai bonheur. Les biens de consommation que nous accumulons nous laissent toujours insatisfaits, parce que nous sommes des êtres de désir. D’autre part, un jour viendra où il nous faudra tout laisser  parce que selon K. Rahner : « la mort est ce qu’il y a de plus commun et chacun de proclamer qu’il est naturel de mourir, que cela va de soi. Et pourtant en chacun s’élève une protestation sécrète », (1963, p.14). C’est bien sûr l’allusion faite à notre mort, à la mort de chacun et de chacune d’entre nous. Jésus veut simplement nous faire comprendre qu’à un moment donné, l’argent ne nous sera plus d’aucune utilité.

           Ainsi, le pasteur par son enseignement doit montrer que Dieu vient  rappeler la relation intrinsèque de chaque homme avec Dieu. Il doit montrer la véritable nature de Dieu en tant qu’un Père qui aime  tous ses enfants et qui veut leur bonheur car dit-il dans la Bible « regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent, et ils n’amassent rien dans des greniers, et votre père céleste les nourrit. Ne valez-vous pas beaucoup plus qu’eux ? » (Mathieu 6 :26).  

                 Le pasteur doit donc amener à l’exemple de Jésus, les fidèles à comprendre l’utilité réelle de l’argent et à cesser de se prosterner devant leur coffre-fort et de regarder les  billets de banque comme des images pieuses. Ne vous faites pas tant de souci : « cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par-dessus », (Mattieu 6, 33). Cela démontre que le pasteur qui s’attèle à enseigner la parole de Dieu annonce une vie paisible et riche à ses fidèles. Ce n’est pas une invitation à l’indolence ou à l’insouciance parce que les croyants ne sont ni des oiseaux ni des fleurs. Ils ont un cerveau et des bras pour dominer la terre et l’organiser en vue de notre bien et celui du monde. C’était d’ailleurs l’invitation de Feuerbach qui a conduit le monde à un progrès si grandiose de nos jours. Cependant, comme le disaient T. Adorno et M. Horkheimer (1974, p.21): « De tout temps, l’Aufklarüng au sens le plus large de penser en progrès, a eu pour but de libérer les hommes de la peur et de les rendre souverains. Mais, la terre entièrement éclairée, resplendit sous le signe des calamités triomphant partout ».

                    Aujourd’hui, l’idée de progrès de l’humanité rime avec sa répression, sa déshumanisation dans la mesure où selon M. Horkheimer (1974, p.142-161): « Le développement aveugle de la technologie renforce l’oppression et l’exploitation sociale, menace à chaque stade de transformer le progrès en son contraire, la barbarie totale. La doctrine du progrès (…) oublie l’homme (…) l’idolâtrie du progrès mène à l’opposé du progrès ». 

          La violence et la barbarie sont les traits distinctifs de ce siècle. Ces misères tant morales, spirituelles sont caractérisées par un rejet de Dieu au nom d’une certaine liberté. Alors, la grande priorité ne serait pas notre vocation d’être à l’image de Dieu ? Et c’est justement  cela le rôle du pasteur dans la bible. Selon celle-ci, le pasteur doit sans cesse le faire réentendre aux chrétiens et s’en imprégner. Devant l’évolution technologique spectaculaire que ce monde présent nous présente, le danger nous guette de perdre de vue l’essentiel, de nous détourner du vrai chemin pour emprunter les sentiers qui ne mènent pas à la vraie vie mais vers des impasses. Malheureusement, il ne s’agit plus de l’évolution de l’homme, mais bien de sa disparition, parce que le cerveau de l’homme est aujourd’hui plus qu’une organisation de neurones dont la puissance sera dépassée par les ordinateurs parce que selon J. F Truong (2001, p. 49) : « il n’est plus possible de trouver désirable un futur à visage humain. Qu’après l’homme se soit encore l’homme, voilà en vérité le comble du désespoir ».

           En clair,  nous sommes à un virage tel que la nature même de l’homme est en danger. Il y a des visions chatoyantes  comme le transhumanisme qui ne sont que des mirages. C’est pourquoi, face à cette réalité, l’homme de Dieu, le pasteur doit montrer l’importance de la réalité humaine en insistant sur la recherche effrénée des biens matériels aujourd’hui. Qu’il ne cesse de les appeler à s’ajuster à Christ comme le souhaite Daniel Marguerat lorsqu’elle dit que les chrétiens :

 Sont appelés à profaner Mamon en introduisant dans cette société qui lui est asservie la sphère du don et de la gratuité : reçu comme un don de Dieu, l’argent n’est plus destiné à être l’oasis de nos peurs, mais un signe de gratuité, créateur de vie et d’amitié de telle sorte que l’emploi de nos biens illustre, non plus le caractère illimité de nos convoitises, mais l’amour donateur de Dieu  (2006, p. 41).

 

Dans ce cas, pouvons-nous penser que Dieu serait-il contre l’argent ?

  1. Dieu et l’argent

     Selon Lhermenault dans sa communication (2015, n°96) :

       Profaner ou renverser Mamon, c’est d’abord oser parler d’argent dans l’Église. Les banques le font, c’est leur métier ; les commerces s’y emploient, c’est leur gagne-pain ; et quelques associations se sont lancées dans la collecte de sommes considérables pour défendre des causes charitables. Pourquoi l’Église serait-elle seule à se taire sur le sujet, laissant à d’autres, moins bien inspirés, le monopole du discours sur cette réalité quotidienne ? 

           Les richesses et la foi ne semblent donc pas faire bon ménage. Or,  l’argent pourrait être dans la Bible d’abord un signe de la bienveillance de Dieu En effet, si l’argent n’est pas au cœur de la vie d’Église, il y joue malgré tout un rôle important comme l’édification d’un lieu de culte, la rémunération d’un pasteur ou  le soutien d’un projet missionnaire. Le pasteur doit secouer et rompre le silence pour ôter à Mamon le pouvoir occulte de ces choses que l’on ne nomme jamais mais auxquelles on pense toujours. Selon le Professeur P. Debergé (1999, p.1) :

   Dans l’Ancien Testament, la richesse est un signe positif, une marque de la bénédiction de Dieu. La première grande figure de la Bible, Abraham, est présentée comme un personnage très riche. Comme le sont chacun des patriarches et des rois, propriétaires de grands troupeaux ou pâturages. Leur richesse ne se limite ni ne se confond avec l’argent, puisqu’elle comprend aussi leur intégrité et leurs valeurs morales.

             Job lui-même est « le plus fortuné de tous les fils de l’Orient » (Job 1, 4)1-3). Mais les prophètes constatent les limites d’un système : des hommes riches ne sont pas honnêtes et qu’ils ne respectent pas la Thora. Alors se pose la question : peut-on dire de tout homme riche qu’il est béni de Dieu ? Les prophètes répondent en dénonçant les richesses qui sont contraires au projet de Dieu. Ils brisent le lien que l’on avait établi entre comportement moral et situation économique. Au cœur du prophétisme, s’inscrit la conviction qu’il n’y a de justes richesses que celles qui contribuent à la construction d’un monde fraternel et juste.

           Dans le nouveau testament, avec les quatre évangiles[1], on change de registre. Jésus semble rejeter non seulement certaines pratiques ou déviances des riches, mais l’argent lui-même. D’abord, dans les récits d’enfance, « les mages apportent la myrrhe, l’or et l’encens » (Matthieu 1 :24) ensuite  quelques jours avant son arrestation, une femme dépense l’équivalent de trois cents jours de travail pour oindre ses pieds de parfum. Enfin, L’évangile de Luc ne dit pas le contraire lorsqu’il nous parle de ces femmes de la bonne société qui accompagnent Jésus et l’aident. En réalité, Jésus n’a pas fréquenté que des pauvres. Par conséquent, il faut sortir de cette vision que l’on a d’un Évangile qui séparerait les bons pauvres des méchants riches. Jésus choisi une vie  qui le rapproche des pauvres. Mais il n’exclut pas les riches, pour autant, avec l’exemple  du jeune homme riche qui ne peut suivre Jésus car il se sent incapable de se débarrasser de ce qu’il possède (Marc 10, 17-22).

        De fait, la nouveauté, dans les Évangiles, c’est que des hommes sont appelés par Jésus à laisser tous leurs biens. D’autres sont appelés à gérer autrement leurs biens, à assumer autrement leurs responsabilités.  Jésus ne demande pas à Zachée de tout laisser mais de pratiquer autrement la justice (Luc 19, 1-10). Cela signifie qu’il y a des vocations différentes, et donc que certains sont appelés au dénuement, d’autres à la gestion responsable.

         En revanche, si Jésus s’en prend avec constance au caractère trompeur de l’argent c’est parce qu’il possède une capacité particulière à troubler notre propre discernement. Jésus explique cela notamment avec la parabole de l’homme qui empile, dans son grenier, les excédents de sa récolte. Or l’heureux paysan ne se doute pas qu’il va mourir la nuit même (Luc 12, 16-21). L’argent peut nous tromper sur le sens véritable d’une vie, devenir un moyen de sécurité, d’apaisement de nos angoisses.

       Par ailleurs, Jésus dénonce un second danger : « Il y avait un homme riche, vêtu de pourpre et de lin fin qui faisait chaque jour des festins joyeux. Devant son portail gisait un pauvre nommé Lazare, qui était couvert d’ulcères. Il aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche » (Luc 16, 19-21).

         Mais dans les deux paraboles, Jésus ne dit pas que le riche est un mauvais riche. Jésus ne nie pas les désirs de sécurité qui habitent les hommes, mais il les réoriente vers celui qui peut les apaiser et les combler. La pointe des récits évangéliques est de dire que la grande question de l’argent se situe au niveau de la foi et non pas de l’éthique. L’Évangile ne propose pas une éthique de l’argent cependant la phrase clé de Jésus est : « Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent » (Luc 16, 13). En ce sens que l’un et l’autre nous guident dans des logiques opposées. On peut donc déduire que : la logique de Dieu est la dépossession, la confiance et la fraternité or  celle de l’argent est l’appropriation et l’insatisfaction. Il y a deux manières de penser son rapport à l’argent. La première est de l’accumuler pour soi. L’autre, est de s’enrichir auprès de Dieu, c’est-à-dire de prendre l’argent pour ce qu’il est : un instrument au service de son épanouissement. Un épanouissement qui ne fait pas l’impasse sur le souci des autres.

      Le pasteur, le prêtre ou l’homme de Dieu a un travail de déculpabilisation à faire. Il impose d’arrêter de diaboliser la richesse et de spiritualiser la pauvreté. Dieu ne veut pas de la pauvreté. Il n’y a jamais dans la Bible d’idéalisation de la pauvreté. En revanche, il y a dans l’Ancien Testament l’idée que des hommes vivant dans une situation de misère peuvent trouver, malgré tout, leur richesse auprès de Dieu. La Bible dit que l’on peut faire l’expérience d’un Dieu proche dans une vie de misère à travers les Béatitudes (Matthieu 5 : 3-12). Il ne fait pas une apologie de la misère et de  l’indigence. Mais c’est une invitation à contester un modèle qui se construit aux dépens des pauvres. Jésus conteste un monde qui socialement, économiquement, ne prend pas en compte les pauvres.

        Dans notre société africaine, il est important que les hommes de Dieu qui ont choisi d’annoncer l’Évangile fassent le choix de la pauvreté évangélique, pour manifester la tendresse particulière de Dieu pour les laissés-pour-compte et pour tous les hommes. Pour contester un monde qui ne se construit qu’à partir des critères économiques, de rentabilité et d’efficacité. Pour dire aussi cette liberté intérieure à laquelle nous sommes tous appelés au lieu de prêcher à contre-courant de la parole de Dieu. Ainsi, les hommes de Dieu doivent viser la simplicité. Il s’agit  de viser à la fois dans l’Église et dans nos vies un idéal de simplicité en rapport avec cette parole de Paul qui dit à Timothée (1 Timothée 6-12) :(1 Timothée 6, 7-10)

  Certes, la foi en Dieu est une grande richesse, si l’on se contente de ce que l’on a. En effet, nous n’avons rien apporté dans ce monde, et nous n’en pouvons rien emporter. Par conséquent, si nous avons la nourriture et les vêtements, cela doit nous suffire. Mais ceux qui veulent s’enrichir tombent dans la tentation, ils sont pris au piège par de nombreux désirs insensés et néfastes, qui plongent les hommes dans la ruine et provoquent leur perte. Car l’amour de l’argent est la racine de toutes sortes de maux(…).

Et à R. Saillens (2013, n°159, p.18) d’ajouter :

 L’Évangile est pour les simples. L’amour de l’argent, du luxe, des formes esthétiques dans le culte ont été les grands scandales du pauvre peuple, et ont motivé son éloignement de la maison de Dieu (…). Ceux qui portent la Parole de Dieu devraient toujours avoir devant les yeux de leur esprit les enfants et les ignorants. En parlant pour ceux-ci, on atteint les autres aussi pourvu qu’ils soient humbles.

En clair, ce qui est vrai pour le message l’est aussi pour le messager. À rebours d’un évangile qui vise la prospérité du croyant et plus encore celle du prédicateur, le pasteur est appelé à éviter la ruse et refuser de profiter de la psychose, ces déséquilibres moraux qu’on observe dans la société africaine. « Pour l’avenir de la société et pour le développement d’une saine démocratie, suggère le Pape, il est donc urgent de redécouvrir l’existence des valeurs humaines et morales essentielles et originelles, qui découlent de la vérité même de l’être humain et expriment et protègent la dignité de la personne » disait L. F. Lébry (1989, p.3).         

                              

          Conclusion

        Cette étude sur : Dieu et l’argent en ce 21ème siècle: Quel Prophète pour L’Afrique moderne, montre que  Dieu, l’argent et le Pasteur sont aujourd’hui dans une rivalité  étonnante. Pour y arriver, nous avons dans une première partie, montré l’essence du pasteur, de l’homme de Dieu. Ce qui nous a permis d’élever toute équivoque quant à ces nouveaux pasteurs et hommes de Dieu qui se profilent partout en Afrique. La deuxième partie, quant à elle, nous a permis de comprendre que ce n’est pas l’usage de l’argent que Jésus condamne. Voilà deux maîtres entre lesquels il nous faut choisir. Ce qui n’est pas  facile face à ce monde, à cette Afrique qui traverse depuis des décennies des crises interminables et qui nous conditionne dans la matérialité des biens. Et pourtant, la parole de Jésus est ferme et claire, qui oblige à un choix vrai et conséquent.

        Il est et demeure certainement un bien très utile pour nous procurer ce dont nous avons besoin. Mais il sera toujours un mauvais maître. On ne peut pas se le procurer à n’importe quel prix. Jésus veut simplement nous faire comprendre qu’à un moment donné, l’argent ne nous sera plus d’aucune utilité. D’où l’occasion d’expérimenter la noble démarche qu’est la foi de l’abandon.

           Cependant, ce n’est pas une invitation à l’indolence ou à l’insouciance. Nous ne sommes ni des oiseaux ni des fleurs. Nous avons un cerveau et des bras pour dominer la terre et l’organiser pour notre bien et celui du monde. C’est pourquoi, les gouvernants de nos nations africaines doivent ouvrir un peu plus les yeux sur ces nouvelles religiosités porteuses ou symptomatiques d’un drame certain pour éviter le pire à notre Afrique qui s’enlise déjà.

 Bibliographie

BLOCHER Jacques (2013). « Sur la simplicité évangélique », Les Cahiers de l’Institut Biblique de Nogent, n°159, p.18.

GORCE Bernard, (1999). « Arrêtons de diaboliser la richesse », La croix.

 MARSHALL-FRATANI Ruth (2001). « Prospérité miraculeuse, les pasteurs pentecôtistes et  l’argent de Dieu au Nigeria », dans Politique africaine, n°82, 24-44.

NEUSCH Marcel,  (1977). Aux sources de l’athéisme contemporain, cent ans de débat sur  Dieu, Centurion : Paris.

LECONTE Charles-Marie de Lisle, (1886).  Poèmes tragiques, Paris.

LEBRY Léon Francis, (1989). Dans sa rubrique’ « Entre parenthèse »  in Fraternité Matin, quotidien, national ivoirien. .

LHERMENAULT Etienne (2015). « Le pasteur et l’argent : éléments d’une déontologie, Les cahiers de l’école pastorale », n°96, 2ème trimestre 2.

MAROU Henri-Irénée (1954). De la connaissance historique, Seuil : Paris.

SCHOPENHAEUR Arthur (1885). Le monde comme volonté et comme représentation, Librairie Félix Alcan, Paris.

RAHNER Karl (1963). Le chrétien et la mort, Desclée de Brouwer : Paris.

MARGUERAT Daniel (2006). « Entre Dieu et Mamon », Parlons argent, Labor et

Fides : Genève.

TRUONG Jean-François (2001). Totalement inhumaine, les empêcheurs de tourner en rond, Seuil : Paris.

[1] Évangile selon saint Luc, saint Matthieu, saint Marc et saint Jean.

Mots-clés