Infundibulum Scientific

LA PROBLÉMATIQUE DE LA RELANCE DE L’ACTIVITE TOURISTIQUE DANS LE VILLAGE DES DESSINATEURS SUR TOILE DE FAKAHA (NORD DE LA CÔTE D’IVOIRE)

La cuestión de la recuperación de la actividad turística en Fakaha; pueblo de dibujantes sobre lienzo (norte de Costa de Marfil)

The problem of the resumption of tourist activity in the village of drawers on canvas of fakaha (north of Ivory Coast)

Kouamé Fulgence N’GORAN
Enseignant-Chercheur
Université Alassane Ouattara de Bouaké
Département de Géographie

Mots-clés, Keywords, Palabras clave

Côte d’Ivoire, Korhogo, Fakaha, Relance, Tourisme,
Costa de Marfil, Korhogo, Fakaha, Recuperación, Turismo, Ivory Coast, Korhogo, Fakaha, Relaunch, Tourism,

TEXTE INTÉGRAL

Introduction

Plus de dix années, après la fin de la rébellion armée, la Côte d’Ivoire a su redonner du souffle à son secteur touristique. Longtemps sinistré par la partition du pays en deux, entre septembre 2002 et avril 2011, le tourisme ivoirien enregistre, aujourd’hui, des performances qui feraient pâlir certains pays de la région restés stables durant cette période. Soutenu par le programme Sublime Côte d’Ivoire, un plan de relance et de développement touristique piloté par le Ministère du tourisme ivoirien d’un montant global de 3 200 milliards de FCFA, soit environ 5 milliards d’euro, le secteur touristique ivoirien enregistre des arrivées touristiques remarquables. Entre 2011 et 2019, le nombre de touristes enregistrés en Côte d’Ivoire a connu un bond spectaculaire  de 1 417,45 %. Ces touristes qui étaient de 269 000 en 2011 ont vu leur nombre passer à 4 081 943 en 2019 (Ministère du tourisme, 2020, p. 2). Cette embellie des arrivées touristiques contribue à accroitre les recettes générées par cette activité. Ainsi, en 2019, les recettes du secteur du tourisme se sont élevées à 1 174 milliards de FCFA, soit un peu plus de 2 milliards d’euro, faisant passer, de facto, la contribution du tourisme au PIB de 0,6 % en 2011 à 7,1 % en 2019 (Ministère du tourisme, 2022). Ces efforts du secteur public ont été aussi soutenu par le secteur privé qui a également consenti des investissements entre 2012 et 2014 d’un coût global de 140 milliards, soit environ 241 millions d’euro. Ces efforts combinés ont contribué à accroitre la capacité hôtelière qui est passée de 1 770 hôtels en 2013 à  3 320 hôtels avec 49 536 chambres en 2019 (Ministère du tourisme, 2020, p. 2).

À l’instar du dynamisme du secteur hôtelier sur le plan national, le département de Korhogo enregistre également une croissance de sa capacité hôtelière, depuis 2012. Ainsi, le nombre d’hôtels susceptibles d’accueillir des touristes est passé de 22 hôtels à 38 hôtels, entre 2012 et 2019 (K. F. N’goran  2019, pp. 92). Ce qui représente un bond de 42,10 %. La progression de l’effectif du nombre d’hôtels au sein de ce département est une réponse à la forte croissance du nombre d’arrivées de touristes dans cette partie du pays, depuis 2012, date du redéploiement de l’administration dans les anciennes zones occupées par la rébellion armée entre 2002 et 2011. Ainsi, avec une augmentation moyenne de 6 242 clients entre 2012 et 2016, le nombre de clients enregistrés par les hôtels au sein du département de Korhogo est passé de 9 038 en 2012 à 32 703 en 2016. Conformément à cette croissance moyenne, les arrivées au sein des hôtels pourraient se chiffrer à 63 913 clients en 2020 (K. F. N’goran  2019, pp. 162). À  partir de ces chiffres, on constate donc que l’activité touristique au sein du département de Korhogo enregistre des performances qui semblent confirmer sa sortie de sa longue léthargie. Toutefois, cette redynamisation de l’activité touristique est diversement ressentie sur l’ensemble du territoire départemental, notamment dans le monde rural et plus particulièrement dans le village de Fakaha (Figure 1). En effet, plus de dix années après la fin de la rébellion armée et malgré l’embellie touristique que connait le département de Korhogo, l’activité touristique au sein du village de Fakaha peine encore à sortir de sa léthargie. Qu’est-ce qui pourrait expliquer la situation actuelle du tourisme à Fakaha, après la mise en place d’un plan de relance touristique ? L’analyse du contexte de la mise en place de ce plan de relance nous a permis de trouver de trouver des éléments de réponse à cette interrogation.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Figure 1 : Localisation du village de Fakaha

MÉTHODE ET MATÉRIELS

La réalisation de cette étude s’est fondée sur deux techniques : la recherche bibliographique et l’enquête de terrain.

La première technique a consisté à la collecte de données secondaires en rapport avec notre objet d’étude. Ce qui s’est axé sur des documents traitant du tourisme en général, mais plus particulièrement des stratégies de relance de l’activité touristique post-crise.

Quant à la phase technique, elle s’est faite en deux étapes : l’observation et l’entretien. L’observation a permis de nous imprégner des conditions de la pratique du tourisme au sein du village de Fakaha ainsi que de l’état des lieux du matériels de supports touristiques après la période de crise de 2002 à 2012. Quant aux entretiens, ils ont consisté en des échanges avec les différents acteurs intervenant directement ou indirectement dans la promotion du tourisme à Korhogo, Napié et Fakaha. Dans la ville de Korhogo, nous avons eu des entretiens avec le Préfet de Région, Préfet du département de Korhogo, le Président du Conseil Régional, le Directeur Régional du tourisme ainsi que le Président de l’UGAN (l’Union Générale des Artisans du Nord). Dans la localité de Napié, nous avons eu un entretien avec Madame la sous-préfète. Cet entretien a porté sur l’organisation générale de sa circonscription administrative, les potentialités socioéconomiques dont elle regorge ainsi que des efforts de relance de l’activité touristique au sein du village de Fakaha. Dans ce dit village, nous avons eu des échanges avec les artisans. Ces échanges ont porté sur la situation de ces artisans avant, pendant et après la période de crise, leurs capacités de résilience ainsi que leurs attentes.

RÉSULTATS ET DISCUSSION

1- RÉSULTATS

  • Promotion du tourisme à Fakaha, une activité prometteuse confrontée à une succession de crises

          Dans sa stratégie de positionnement touristique de l’ensemble de la région du Poro et conformément aux attraits socioculturels remarquables de cette partie du pays, l’État de Côte d’Ivoire y a mis en place des initiatives de promotion du tourisme de découverte. Dans ce cadre, se fiant à son riche patrimoine artisanal, des investissements ont été effectués dans le village de Fakaha, afin de mettre en relief l’art artisanal traditionnel senoufo, notamment le dessin sur toile, spécificité des artisans dudit village.

 

  • Une activité touristique en plein essor dans un contexte de valorisation des spécificités socioculturelles du pays sénoufo

Dans le but de matérialiser la volonté de l’État de faire du village de Fakaha un important centre artistique et touristique, des initiatives de valorisation de l’art artisanal du pays senoufo ont été entreprises. Il y a donc été construit un centre artisanal, cadre de production, d’exposition et de vente des produits réalisés par les dessinateurs sur toile dudit village. L’émulation crée autour de cette activité a contribué à la mise en place d’une coopérative regroupant soixante-dix artisans spécialisés dans le dessin sur toile au sein de ce village. Également, un site d’hébergement d’une capacité de trois chambres et un bureau y a été construit pour répondre aux besoins croissants des touristes désireux de séjourner à Fakaha, afin de mieux s’imprégner des techniques de dessins sur toile. Selon Monsieur Soro Navaga N°1, l’un des artisans de ce village, ce site d’hébergement recevait des touristes européens soucieux de mieux s’imprégner des techniques de ces dessinateurs sur toiles. Hormis ces derniers, ce centre d’hébergement servait, aussi, de lieu d’accueil des étudiants ivoiriens en séjour dans le village pour parfaire leurs apprentissages.

Les efforts consentis ont fait de l’activité touristique la principale activité économique des habitants de Fakaha, loin devant l’agriculture. Ce dynamisme du secteur du tourisme à Fakaha a contribué à la mise en place d’initiatives de développement socioéconomique du village, piloté par la coopérative des dessinateurs sur toile dudit village. Ainsi, l’unique accès d’eau potable du village a été réalisé grâce aux bénéfices générés par l’activité touristique. En effet, pour le bon fonctionnement des activités de cette coopérative, chaque artisan a obligation de reverser 10% de ses ventes à la coopérative. Avant décembre 1999, le chiffre d’affaire moyen annuel de la coopérative était de 45 000 000 FCFA, selon le Responsable de ladite coopérative.

Au-delà des retombées économiques, cette activité touristique a permis à ces artisans d’assurer l’équilibre social de leurs familles et de contribuer à la pérennisation de techniques artisanales ancestrales. Aussi, ces artisans contribuent à promouvoir les valeurs socioculturelles du peuple senoufo (Photo 1).

Source : N’GORAN K.F., 2021

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Photo 1 : Mise en valeur d’une toile de Fakaha à l’hôtel Prefoll à Napié

L’activité touristique, à Fakaha, permet de valoriser les richesses culturelles et artisanales du pays senoufo mais aussi à accroitre l’influence des dessinateurs sur toile de Fakaha dans la promotion du tourisme de découverte au sein du département de Korhogo. Cependant, ce dynamisme des activités touristiques au sein de ce village va connaitre des turbulences, à partir de décembre 1999 jusqu’à la cessation des activités touristiques entre 2002 et 2012.

 

  • Une activité touristique sinistrée par dix années de crises

L’activité touristique, au nord du pays, a rencontré des turbulences entre 1999 et 2012, du fait de la succession de crises sociopolitiques et militaires durant cette période. Ce qui a fortement impacté, aussi bien les acteurs locaux intervenant dans ce secteur, tout comme les différentes infrastructures de support touristique. Dans le village de Fakaha, les acteurs locaux ont, difficilement, ressenti le poids de la rébellion armée de 2002 à 2012. En effet, confronté à une érosion des arrivées internationales, principales clientèles des artisans de ce village, les activités socioéconomiques liées au tourisme ont été interrompues dans ledit village. Face à cette situation, certains artisans ont interrompu leurs activités. D’autres, par contre, ont du se reconvertir dans divers secteurs d’activités. Ce qui a eu des incidences négatives sur l’état des infrastructures dédiées à la pratique artisanale ainsi qu’à la promotion de l’activité touristique dans le village de Fakaha. En effet, les équipements du centre artisanal du village de Fakaha ont été détériorés, entre 2002 et 2012. Le hangar servant de lieux de production et d’exposition de ces artisans s’est retrouvé dans un état de délabrement avancé (photo 2). Ce qui va contribuer à la colonisation de cet espace par la végétation.

 

Source : N’GORAN K.F., 2021

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Photo 2 : Le premier centre d’exposition de Fakaha hors d’usage

 

Il en est de même pour le site d’hébergement du centre artisanal du village de Fakaha (photo 3). Ce bâtiment qui disposait d’un bureau pour le Responsable de la coopérative des artisans du village et de  de trois chambres d’hôtes est dans un état de dégradation avancée.

Source : N’GORAN K.F., 2021

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Photo 3 : le site d’hébergement de Fakaha hors d’usage

 

 

 

L’état dans lequel se sont trouvées ces infrastructures de support touristique, entre 2002 et 2014, est révélateur leur manque d’entretien. Ce qui est consécutif aux déficits de moyens des artisans du village du Fakaha, eu égard à l’interruption de leurs activités. Également, l’absence des structures d’encadrement de l’État dans les localités occupées par la rébellion armée, notamment dans le département de Korhogo, n’a pas contribué a mettre en place des stratégies de préservation de ce patrimoine de promotion touristique dans le village de Fakaha, entre 2002 et 2004. Ce qui a contribué à l’accélération de la dégradation des équipements du centre artisanal de Fakaha. Cette situation témoigne du sinistre dans lequel se sont trouvés l’activité touristique au sein du village de Fakaha ainsi que ses animateurs durant cette période. Aussi, la suspension des activités touristiques a représenté une perte d’activité et de revenus des artisans dessinateurs sur toile de Fakaha. La coopérative a ainsi perdu près de 50% de ses membres passant de 70 artisans, avant 2002, à 38 aujourd’hui. Cependant, pour faire face à la cessation de leurs activités, ces 38 artisans ont été obligés de se reconvertir en agriculteurs durant cette période, afin de faire face aux contraintes familiales. Ce qui a été contraignant pour des personnes n’étant pas habituées à l’activité agricole, souligne l’un des responsables de ladite coopérative.

 

 

  • Une relance difficile du tourisme à Fakaha

Soucieux de redynamiser l’activité touristique dans le village de Fakaha, les pouvoirs publics avec le soutien de partenaires privés ont initié des actions visant à relancer l’activité touristique dans ledit village.

 

1.2.1- Des efforts de relance de l’activité touristique dans le village de Fakaha

Pour donner des chances à une reprise effective de l’activité touristique au nord de la Côte d’Ivoire, notamment dans le village de Fakaha, l’État ivoirien, dans le cadre du Programme de Développement Économique en Milieu Rural (PRODEMIR) a initié des actions au sein dudit village. Dans ce cadre, en 2014, avec l’appui du GTZ, une organisation de coopération allemande, le village de Fakaha à bénéficié de la reconstruction de son centre artisanal. Huit nouveaux hangars de production et d’exposition y ont été construits (Photo 4).

 

Source : N’GORAN K.F., 2021

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Photo 4 : Le nouveau centre artisanal de Fakaha

 

Cette initiative a contribué à l’augmentation de la surface de travail des artisans ainsi que celle relative à l’exposition de leurs œuvres. En effet, le centre artisanal du village de Fakaha disposait, initialement, d’un seul hangar qui a servi, à la fois, de lieu de travail et d’espace d’exposition. Cet accroissement important du nombre de local de production et d’exposition est très ambitieux pour les pouvoirs publics, dans un contexte de désillusion des artisans, marqué par un nombre conséquent de reconversion de ces derniers, au sein du village de Fakaha. Cette orientation de l’État à contre courant des contraintes socioéconomiques, est un indicateur de la volonté des pouvoirs publics à croire en la capacité de relance des activités touristiques dans le village de Fakaha et, de facto, dans l’ensemble des localités du nord du pays. Cette action de l’État et de ses partenaires au développement a contribué à une reprise timide des activités artisanales au sein du village de Fakaha. Certains artisans, ont ainsi repris leurs activités en s’appropriant, à nouveau, de l’espace dédié à la pratique artisanale. Ce qui se traduit par l’exposition de leurs œuvres dans les hangars d’exposition qui leur sont dédiés (Photo 5).

 

Source : N’GORAN K.F., 2021

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Photo 5 : Exposition de toiles au centre artisanal de Fakaha

 

Toutefois, malgré la reprise des activités des artisans de ce village, on constate un manque d’engouement de ces derniers, consécutif au fait que les touristes peinent à reprendre le chemin de Fakaha. Ce qui joue négativement sur les profits générés par ces dessinateurs sur toile. Selon ces derniers, les ventes cumulées mensuelles atteignent, aujourd’hui, difficilement 100 000 FCFA, alors qu’ils oscillaient entre 200 000 FCFA et 500 000 FCFA par artisan, avant 2002. Ces derniers justifient la fonte de leurs revenus par l’absence ou la baisse des arrivées de touristes dans leurs localités. En effet, avant 2002, ce village recevait, en moyenne, 20 touristes par jour contre moins de 10 par mois, entre 2014 et 2021, selon Monsieur SORO Navaga N°1, l’un des rares artisans ayant repris les activités dans le village de Fakaha. Ce contexte difficile, accentué par le fait que la vente des toiles s’effectue, désormais, principalement, au centre d’exposition des artisans du nord situé dans le quartier Koko à Korhogo, sont des facteurs qui ne motivent pas les artisans à une reprise véritable de leurs activités dans le village de Fakaha. Ainsi, en dépit de la réhabilitation du centre artisanal du village de Fakaha par l’État, on constate un désintérêt de ces derniers pour cette activité essentielle à la pratique du tourisme dans ledit village. Plusieurs facteurs pourraient expliquer ce manque d’engouement de ces acteurs locaux.

 

1.2.2- De nouveaux acteurs à prendre en compte pour la relance durable du tourisme dans le village de Fakaha

La partition du pays entre 2002 et 2011 a contribué à la redéfinition de l’image touristique du nord de la Côte d’Ivoire. Autrefois prisé des visiteurs internationaux, le nord du pays, notamment le département de Korhogo, souffre d’une image peu rassurante auprès des visiteurs internationaux. Sa longue présence en zone rebelle, ainsi que l’insécurité sur les routes font que les touristes internationaux ont déserté cette zone et n’y vont essentiellement que pour des affaires ou des actions humanitaires.  Cette situation a contribué à accroitre la part des nationaux dans les arrivées au sein de ce département, contrairement aux arrivées de touristes internationaux. Ainsi, même si les hôtels du département enregistrent un bond spectaculaire du nombre de clients et de nuitées, la part des touristes internationaux restent négligeables (Tableau I), alors que ce sont ces derniers qui visitaient le plus le centre artisanal du village de Fakaha.

 

Tableau I : Répartition de la clientèle hôtelière par nationalité dans le département de

Korhogo en 2016

 

Nationalité

Nombre de clients

Proportion (%) par pays

Total clients par zone

Proportion (%) par zone

Zones géographiques

 

Afrique

CI

28657

87,6

 

31745

 

97,11

BF

1560

4,76

Autres

1528

4,75

 

Europe

France

315

0,96

 

525

 

1,60

Autres

210

0,64

 

 

Asie

Inde

132

0,4

 

 

360

 

 

1,07

Chine

104

0,3

Liban

33

0,1

Autres

91

0,27

Amérique

64

0,20

64

0,20

Océanie

9

0,02

9

0,02

Source : Nos enquêtes, 2017

Source : Nos enquêtes, 2017

 

 

 

 En effet, sur l’ensemble de l’année 2016, les arrivées de touristes hors zone Afrique dans le département de Korhogo n’a été que de 958 touristes, soit 2,89 % de l’effectif total de ces arrivées. Pendant ce temps, avec 28 657 arrivées, les nationaux ont représenté 87,6 % de l’effectif total des arrivées enregistrées dans les hôtels en 2016. Cette forte proportion des arrivées des nationaux au sein du département de Korhogo n’impacte pas le monde rural, mais reste concentrée plutôt dans le chef-lieu de département qui n’est autre que Korhogo. Les principales raisons des visites des nationaux dans ce département sont axées, principalement, autour d’activités liées au tourisme de travail et d’affaires ainsi qu’au tourisme affinitaire, plutôt qu’au tourisme d’agrément (K. F. N’goran  2019, pp. 195-197).  En outre, le  peu de temps que ces touristes passent au sein du département de Korhogo (Tableau II) ne contribue pas à stimuler l’activité touristique dans les localités éloignées de la ville de Korhogo.

 

Tableau II : Nombre moyen de nuitées par nationalité en 2016

Nationalité

Nombre de clients

Nombre de nuitées

Ratio nuitées/clients par pays

Ratio nuitées/clients par zone

Zones géographiques

 

Afrique

CI

28657

40775

1,42

 

1,57

BF

1560

2040

1,30

Autres

1528

2387

1,56

 

Europe

France

315

644

2

 

2

Autres

210

460

2

 

 

Asie

Inde

132

181

1,37

 

 

1,29

Chine

104

139

1,33

Liban

33

38

1,15

Autres

91

119

1,30

Amérique

64

158

2,46

2,46

Océanie

9

9

1

1

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Source : Nos enquêtes, 2017

 

 

 

En effet, l’ensemble des touristes visitant ce département y passe moins de 3 nuitées. Ainsi, les nationaux qui représentent la plus forte proportion de visiteurs dans le département de Korhogo y passent moins d’un jour et demi. Quant aux européens, ils y passent en moyenne 2 nuitées. Sur l’ensemble des touristes internationaux, seuls les ressortissants américains passent en moyenne un peu plus de 2 nuitées au sein du département de Korhogo. Ce qui représente un ratio de 2,46.

En dehors de ces raisons, il est primordial de noter que des aspects techniques freinent, également, la relance de l’activité touristique au sein du village de Fakaha. En fait, les efforts de relance de l’activité se sont concentrés uniquement sur la reconstruction du centre artisanal, sans tenir compte du réseau routier, de la redéfinition de l’image touristique impliquant une forte proportion des nationaux dans les arrivées ainsi que des aspirations des artisans de ce village. Il est, en effet, quasi impossible à un véhicule ordinaire de faire le trajet entre Napié et Fakaha et entre Fakaha et la commune de Komborodougou. La dégradation avancée des voies d’accès, surtout entre le village de Fakaha et la commune de Komborodougou ne contribue pas à la mise en place d’un circuit touristique Korhogo-Napié-Fakaha-Komborodougou-Karakaoro-Korhogo. La mise en place d’un tel circuit aurait permis de redynamiser durablement l’activité touristique à Fakaha et de contribuer, de facto, à faire connaitre les spécificités touristiques des autres localités visitées. Aussi, la mise en place de ce type de circuit serait adaptée aux nationaux, car moins contraignant financièrement.

En outre, la relance de l’activité au sein de ce petit village aurait dû tenir compte de l’état psychologique et social des artisans, longtemps éprouvés par une période difficile et éprouvante. La mise en place d’un plan durable de prise en charge de ces derniers devrait être prise en compte dans toute stratégie de relance des activités touristiques dans le village de Fakaha. Ce qui aurait contribué à créer, à nouveau l’émulation au sein de cette population d’artisan et leur adhésion, à nouveau, à une activité qui ne parait plus attractive et stable, pour eux.

2- DISCUSSION

L’analyse de la problématique de la relance de l’activité touristique dans le village de Fakaha révèle un disfonctionnement de la politique de développement touristique initiée dans l’ensemble de la partie nord de la Côte d’Ivoire. Selon HAUHOUOT Antoine Asseypo (2008, p.122) les objectifs de développement touristique du pays senoufo n’ont pas été en phase avec les investissements consentis. Malgré des perspectives prometteuses, le riche potentiel naturel et culturel n’a pas été suffisamment valorisé, afin de soutenir durablement une activité touristique. Selon lui, « le pays senoufo avait ainsi donné au tourisme ivoirien l’occasion de réaliser l’une de ses ambitions : l’union de la culture et de la nature ; elle a été manquée ». Partant de ce constat, il importe donc de retenir que le rôle des pouvoirs publics est très déterminant dans l’essor de toute activité touristique, car « les orientations politiques adoptées par les pouvoirs publics sont très déterminantes dans l’essor du tourisme » (A. Buccianti et al, 1991, p. 7). Cependant, toutes les actions de promotion touristique initiées par l’État doivent tenir compte des aspirations des populations locales. En effet, pour Z. M. Rakhmatova (2021, p.1) :

 l’activité touristique pour être pérenne doit contribuer à l’autonomisation des communautés locales au moyen de leur participation aussi bien au niveau de la prise de décision que dans le processus de développement ; elles ne sont alors plus considérées comme des acteurs passifs du tourisme. Cela leur permet de contribuer à déterminer leur propre développement en se nourrissant de leurs pratiques et de leur imaginaire.

Toutefois, malgré la prise en compte de tous ces paramètres, le tourisme a besoin d’un environnement apaisé pour amorcer son développement. C’est ce que soutien S. Achi et W. Chibane (2015) dans leur analyse du secteur du tourisme dans le monde arabe. Selon eux, « le monde arabe a vécu des événement et des crises graves (…). Ces crises avaient des impacts négatifs (…) parce que le tourisme n’existe qu’avec la sécurité » (S. Achi et W. Chibane, 2015, p. 40). Ces différentes crises, qu’elles soient endogènes ou exogènes au pays, ont des incidences sur le secteur touristique local ainsi que sur les arrivées internationaux.  C’est ce qui font remarquer S. Achi et W. Chibane (2015, p. 41) quand ils affirment que « le déclenchement de la guerre du Golfe en 1990 (…) a entrainé une baisse du nombre de touristes d’un taux de 14,8% par rapport au passé, en Egypte ». Au-delà de la baisse de la clientèle internationale, les diverses crises ont aussi des impacts négatifs sur la qualité des infrastructures de supports touristiques. C’est ce que soutient K. P. Koffi (2008, p. 19) quand il affirme que « la crise de ces dernières années a, en effet, entrainé la dégradation de plusieurs sites et la fermeture des centres artisanaux de la zone CNO ». K. P. Koffi (2008) confirme donc que le tourisme dans les zones CNO (Centre, Nord, Ouest), territoires occupées par la rébellion armée, entre 2002 et 2011, a été fortement impacté par la situation de crise sociopolitique et militaire. Ce qui a eu des incidences négatives sur l’état des équipements de supports touristiques de ces territoires, notamment dans le village de Fakaha. Pour relancer le secteur du tourisme dans ces zones et de façon générale sur l’ensemble du territoire, il importe de mener des actions se rapportant « aux infrastructures qui doivent être remises à niveau pour améliorer la compétitivité » (K. P. Koffi, 2008, p. 15). Dans ce même sens, B. Moudoud et A. Ezaidi (2005), soutiennent que la qualité des infrastructures, notamment routières, est très indispensable pour l’essor du tourisme interne. Pour eux, l’une des contraintes majeures à la promotion du tourisme interne au Maroc demeure l’état des routes ; car les « infrastructures routières actuelles (…) ne répondent pas à la demande des départs en vacance. Les risques d’accidents, dus à l’état des routes (…) rebutent un grand nombre de personnes à prendre ces voies » (B. Moudoud et A. Ezaidi, 2005). Hormis cet aspect, le BIT (2012) souligne l’importance de la prise en compte du capital territorial dans toute stratégie de relance post-conflit. En effet, pour le BIT (2012, p. 50), la prise en compte des composantes de ce capital territorial représente « la liste des capacités, biens, produits, et ressources devant être reconstitués ou réactivés pour fonctionner normalement afin de stimuler la relance économique ». D’où, la relance durable des activités socioéconomiques, notamment en matière de tourisme, ne peut se limiter qu’à la réhabilitation d’équipements de supports touristiques dans un territoire ayant subies les effets de la guerre.  Une meilleure prise en compte du capital territorial dans toutes les initiatives de relance de l’activité touristique à Fakaha est donc indispensable. C’est à ce titre qu’une véritable stratégie de relance de l’activité touristique dans cette localité sinistrée pourrait avoir des chances de succès. Outre la prise en compte de cet aspect au niveau local, l’ensemble de la population ivoirienne devrait être associée aux initiatives de développement touristique, même si « en Côte d’Ivoire, comme dans bien d’autres pays africains, il n’existe pas de traditions touristiques ». (A. A. Hauhouot, 2008, p. 76).

 

Conclusion

Cette étude a permis d’analyser la problématique de la relance des activités touristiques dans le village des dessinateurs sur toile de Fakaha. Il résulte de cette analyse que malgré des initiatives de relance de l’activité touristique, son essor se fait attendre, plus de dix ans après la fin de la rébellion armée. Cette situation peut s’expliquer par des disfonctionnement dans la stratégie de promotion touristique initiée, bien avant 2002, au nord du pays. Le monde rural qui devrait bénéficier d’investissements conséquents, dans cette politique de promotion du tourisme de découverte, a été délaissé au profit de la commune de Korhogo, chef-lieu de la région du Poro. Dans ces conditions, l’activité touristique n’a pas pu avoir des fondements solides, en milieu rural, pour une relance rapide de cette activité post-crise. Il importe donc de redéfinir la stratégie de développement touristique du monde rural senoufo en tenant compte, à la fois de la crainte des populations à s’impliquer durablement dans une activité susceptible de s’effondrer à la moindre turbulence et surtout de la très forte proportion des nationaux dans les arrivées touristiques au sein du département de Korhogo.

 

Références bibliographiques

  1. MOUDOUD et A. EZAIDI (2005). « Le tourisme national au Maroc : opportunités et limites de développement », Téoros [En ligne], 24-1 | 2005, mis en ligne le 01 octobre 2011, consulté le 20 mars 2022. URL : http://journals.openedition.org/teoros/1506

BIT (2012). Relèvement économique local en situation post-conflit : directives. OIT/CRISE : Genève.

BUCCIANTI Alexandre et al (1991). « Les dividendes du conflit en Égypte : l’afflux d’aide étrangère pour un allié précieux est une manne pour l’État mais la chute du tourisme affecte des milliers de familles ». Le Monde, N°14335, 27 Février 1991, p.7

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