Infundibulum Scientific

GUINÉE ÉQUATORIALE. LES DESSOUS D’UNE INDÉPENDANCE SANS SUCCÈS

Guinea Ecuatorial. Las razones de una independencia sin éxito

Equatorial Guinea. Reasons for unsuccessful independence

PALE Miré Germain
Enseignant-Chercheur
Université Alassane Ouattara
palemire@yahoo.fr

Résumé

Mots-clés, Keywords, Palabras clave

Guinée Équatoriale, luttes indépendantistes, intentions inavouées, intentions séparatistes, crises postcoloniales.
Guinea Ecuatorial, luchas independentistas, intenciones inconfesadas, intenciones separatistas, crisis postcoloniales.
Equatorial Guinea, independence struggles, unconfessed intentions, separatist intentions, post-colonial crises.

TEXTE INTÉGRAL

Introduction

Parmi les processus historiques les plus marquants de l’Afrique contemporaine se trouve celui du passage de la colonisation à l’indépendance des territoires jadis occupés sur le continent par des puissances impérialistes.

Ce processus à visée transitoire est rendu possible grâce aux luttes indépendantistes qui, dans la forme paraissaient concordantes. En effet, différents mouvements nationalistes et protestataires ont été créés, quoique dans la diversité ethnique, avec le même objectif : libérer les territoires africains du joug colonial. Ayant donc le même objet et des ennemis en commun[1], les intellectuels du continent ont fait converger leurs efforts parlant vraisemblablement d’une même voix. Le résultat est la concession massive d’indépendance peu avant et en début de la décennie 1960 ; et cela, avec ou contre le gré[2] de la métropole. Dans le cas de la Guinée espagnole, l’indépendance sollicitée depuis 1947, par les populations fatiguées de subir les affres de la métropole, n’a été effective qu’en 1968, soit environ une décennie après les indépendances populaires africaines.

Dans le fond, dans les colonies, principalement en Guinée Équatoriale, derrière l’engagement politique de chaque groupe ethnique pour la cause commune, se trouvent enfouies des velléités d’une indépendance séparée des régions les unes des autres, fondées sur une certaine appartenance ethnique ou régionale. Dans la Guinée espagnole, peu avant 1968, deux groupes ethniques avaient déjà exprimé clairement leurs désirs de voir naître différents États, en se basant, soit sur des liens ethniques soit sur l’appartenance territoriale.  En effet, le groupe ethnique fang revendique la création d’un État Fang regroupant tous les fang de la région (Gabon, Cameroun, Guinée espagnole et autres). Quant aux Bubi, groupe ethnique habitant la partie insulaire, ils revendiquent l’indépendance de leur territoire, séparé de la partie continentale.

Avec ces deux revendications provenant de deux différents groupes ethniques, on voit clairement qu’en filigrane de cette bataille dans laquelle sont engagés tous ces groupes ethniques, il se profile entre eux des intentions séparatistes. À l’approche de l’indépendance, vu les circonstances, l’on est en droit de se demander si la responsabilité de la métropole ne peut être citée dans cette discordance des voix des indépendantistes. La puissance coloniale, se sentant dans l’obligation du fait de la pression des indépendantistes et de l’ONU, accorde la souveraineté à sa colonie d’Afrique centrale. La concession de l’indépendance n’est donc véritablement pas volontaire.

La colonie étant une importante source d’approvisionnement pour l’Espagne qui n’entend pas la perdre avec l’avènement de l’indépendance, il faut réinventer ce que nous appelons une ‘‘colonisation acceptée’’ ; c’est-à-dire créer des relations postcoloniales permettant de continuer à contrôler le nouveau pays. Les autorités métropolitaines se mettent, à cet effet, dans une prédisposition à renforcer les germes d’une Guinée équatoriale indépendante formellement avec des Guinéens divisés afin de continuer l’action coloniale, en application de la maxime ‘’diviser pour mieux régner’’.

Quelle est la conséquence des effets cumulés des projets indépendantistes ethnico-régionalistes et la volonté de maintien de la domination de la métropole malgré l’indépendance de la Guinée Équatoriale ?  L’objectif de cette réflexion est d’exposer les causes des crises politiques et les projets à visée séparatiste qui mettent à mal l’unité nationale de l’ancienne colonie espagnole. À partir d’une approche historique, l’étude aborde cette question en trois points : (i) des luttes concordantes à la révélation des intentions cachées ; (ii) la puissance colonisatrice, entre concession d’indépendance et volonté de maintien de la domination et (ii) crise politique et projets ethnico-régionalistes.

 

  1. Des luttes concordantes à la révélation des intentions cachées

Les luttes pour l’indépendance de la Guinée espagnole se sont présentées au départ comme étant des mouvements connexes quoique leurs acteurs soient issus de différents groupes ethniques. Mais quand ces luttes ont pris leur assise, force a été de constater que chaque groupe avait son projet caché.

 

1.1. Des facteurs de l’éveil du nationalisme aux ‘‘luttes à visée commune’’

L’action coloniale, faut-il le rappeler, a été un acte chargé de domination et d’injustices. Dans les colonies, les Africains ont été réduits à des moins que rien. Une sorte d’esclavage sous les ordres du colon qui, après avoir fait asseoir sa domination par la force, victorieuse de la résistance des autochtones, exploite le bras valide africain et pille ses richesses.

Avec le temps et surtout grâce à l’école, certains Africains atteindront un certain niveau d’instruction, de savoir être et savoir-faire à l’européen. Avec la qualification ‘‘d’évolués’’, ceux-ci bénéficient d’un certain privilège auprès de l’administration coloniale. Il s’agissait, en fait, de donner un statut spécial à cette classe d’hommes considérés comme des personnes qui ont acquis un niveau de langue et dépossédées des pratiques dites sauvages (M. De Castro et D. Ndongo, 1998, p. 154). C’est-à-dire des indigènes avec une culture proche du citoyen métropolitain. À eux la possibilité était donnée de travailler, de vivre dans le même cadre que le colon, de voyager en Espagne.

Dans l’éducation classique, il était permis aux enfants des colonisés d’aller dans les mêmes écoles que ceux des colons espagnols. Et cela est brandi par le colonisateur comme une preuve d’effacement des différences entre colon et colonisé. Mais à ce niveau encore, les inégalités sont nettes et perceptibles en ce sens qu’il existait deux types d’enseignement : un pour les indigènes et un autre pour les espagnols (M. N. Owono-Okomo, 2014, p. 68). Le petit noir, une fois ses études secondaires terminées par exemple, n’avait pas la possibilité de les poursuivre en Espagne, dans les mêmes universités que le petit blanc.

Dans la fabrique ou dans la plantation, l’ouvrier guinéen ne bénéficie pas du même traitement ni dans le travail ni dans le salaire que l’ouvrier espagnol, pour le même travail accompli. Soit ils exécutent des tâches différentes (les plus durs labeurs étant réservés au guinéens) soit les mêmes tâches mais avec un traitement salarial différent (dans ce cas l’ouvrier espagnol était le mieux payé). Il en sera ainsi jusqu’à ce que les Équato-Guinéens prennent conscience des peines et les injustices que leur fait subir, sur leur propre territoire, le colon espagnol.

La prise de conscience entraine à partir de 1947, des sentiments de révolte. Mais les intellectuels Guinéens n’avaient pas inscrit la violence au nombre des démarches à entreprendre pour faire aboutir leur lutte. Les premières actions de ceux-ci seront des protestions ouvertes, des dénonciations. Des manifestes seront donc adressés dans un premier temps au gouverneur colonial sur place et aux autorités espagnoles en visite dans la colonie. Subséquemment à ces déclarations de protestations publiques, naîtront des mouvements de lutte de libération du territoire.

Ne l’oublions pas, les colonies sont en réalité un conglomérat d’ethnies qui, au départ vivaient séparées c’est-à-dire que chaque groupe ethnique occupait un territoire bien déterminé. Ainsi regroupées dans l’espace-colonie, issu du découpage de l’Afrique, les différents groupes ethniques ne devaient, à partir de ce moment, se considérer que comme étant une seule entité sociale. Ce à quoi celles-ci étaient effectivement tenues. On assistera, à cet effet, à la création de plusieurs mouvements nationalistes, portant parfois des emprunts ethniques, dont l’objectif est de libérer le territoire du joug colonial. De près, ce sont des mouvements de libération, mais dans le fond, tous ces mouvements avaient une origine différente, donc des ambitions différentes.

Aux premières heures, la coloration ethnique n’était pas visible car les leaders des mouvements indépendantistes, bien qu’issus de différents groupes sociaux, faisaient des déclarations publiques enflammées contre le colonialisme qui reste l’ennemi commun. Parmi les figures de proue, en première ligne des contestations se trouvent : Enrique Gori Molubela (Bubi), Ropo Uri (Fernandino), Atanasio Ndongo Miyone (Fang), Macias Nguema (Fang), Edmundo Bosio Dioco (Bubi), Bonifasio Ondo Edu (Fang), etc. Tous se prononçaient d’une même voix pour un même destin historique. 

 

1.2. Une lutte indépendantiste aux agendas secrets

En Guinée espagnole, la lutte pour l’indépendance s’est présentée au départ comme une lutte commune, parce qu’on a vu les différents mouvements joindre leurs efforts pour aller contre le colonisateur. Mais en réalité cette communauté d’actions n’était que conjoncturelle. À la vérité, les nationalistes se sentaient dans l’obligation de converger leurs actions afin de se défaire du joug colonial qui n’a fait que trop durer.  Dans ce sens M. Liniger-Goumaz (1980) dira « Il n’y eut jamais de front uni des Mouvements pour l’indépendance de la Guinée Équatoriale ; leur seul point commun était l’opposition à l’Espagne » (p. 256). L’essentiel en ce moment était de pouvoir atteindre l’objectif commun; celui de se libérer du colon, même si les divisions devraient surgir après. De l’extérieur, on ne pouvait deviner un quelconque repli ethnique une fois l’indépendance acquise. La vérité est que les leaders des mouvements indépendantistes qui semblaient lutter pour la même cause, étaient en réalité des égoïstes, des assoiffés -chacun- de pouvoir.

Quelle est la véritable situation ? Il y a une lutte qui se mène avec plusieurs leaders nationalistes issus de différents groupes ethniques. Ce sont des groupes qui n’ont accepté de cohabiter que par les contraintes liées à la tracée des frontières de l’Afrique et à l’action coloniale. Ils étaient ainsi sommés de s’accepter et de vivre ensemble étant sous la domination coloniale quoique différents les uns des autres à tout point de vue. C’était donc une acceptation mutuelle empreinte d’hypocrisie.

Une réalité à laquelle les historiens de l’époque n’avaient pas pensé suffisamment est le contrôle de l’État postcolonial. Vers la fin de la décolonisation, la colonie avait déjà pris la forme des États actuels. Il y avait un gouverneur général, ses adjoints et toute une administration coloniale. Ces entités étaient chargées de la gestion de la colonie. Qu’est-ce à dire? Le départ de ces dirigeants coloniaux après la proclamation de l’indépendance suppose la montée aux affaires des dirigeants locaux. Or ceux qui ont lutté pour l’indépendance sont d’origines ethniques différentes. Chacun, sans le manifester ouvertement, menait des actions pouvant le prédestiner à gérer le futur État et les nombreuses richesses que regorge le pays. Il se pose alors la question des futurs dirigeants ; hommes-forts du futur État, car il faut être fort pour pouvoir diriger un pays multiculturel.

Pour cette raison évoquée supra, on assistera à des velléités de replis identitaires et ethniques au lendemain de l’indépendance. Ce qui déroute le nationalisme manifesté pour mettre fin au colonialisme ; puisque l’union durant les luttes anticoloniales, n’était qu’une union circonstancielle. Dans le fond, étant dans la pleine lutte, ni les nationalistes eux-mêmes ni les observateurs externes n’étaient conscients des volontés régionalistes et ‘ethnicistes’ qui s’exprimaient déjà dans la création des mouvements de luttes anticolonialistes. Pour illustration, quelques mois avant l’indépendance, les Fangs ont énoncé sans ambages leur souhait de créer un État fang qui devrait réunir tous les Fangs de la région (Fang du Caméroun, du Gabon, de la Guinée Équatoriale). Les Bubi pour un État bubi, le groupe de Bosio Dioco militait pour une indépendance séparée du Rio Muni (c’est-à-dire un État de la partie insulaire et un autre de la partie continentale), pendant que le groupe de Macias Nguema était pour une indépendance unitaire du pays.

Ces intentions séparatistes n’ont pas été exprimées uniquement par les nationalistes Equato-Guinéens. Presque partout en Afrique, à un moment donné des luttes, plusieurs groupes ont voulu des indépendances séparées. C’est le cas du Katanga en RDC, du Biafra au Nigéria, etc. C’est certainement ce qui a créé ou renforcé plusieurs conflits politiques et militaires déjà existants sur notre continent (S. Sangaré, 2016, p. 169). On peut voir que l’élan de solidarité qui a habité les différents groupes lors des luttes était déjà en perte de vitesse. C’est en cela que pour P. Decraene (1968, p. 9) « Les très longues négociations qui ont précédé la décision des Cortès d’accorder l’indépendance au pays ont souligné combien les désaccords étaient profonds entre les différents leaders nationalistes Guinéens et combien les autorités espagnoles cherchaient à exploiter ces désaccords ». Ce qui va favoriser la division des Equato-Guinéens sous l’impulsion subtile de la puissance colonisatrice qui souhaite continuer d’avoir une mainmise sur son ancienne colonie.

 

  1. La puissance colonisatrice, entre concession d’indépendance et volonté de maintien de la domination

Face à la décolonisation générale de l’Afrique, l’Espagne se trouve dans l’obligation de concéder l’indépendance à la Guinée Équatoriale, pratiquement le seul dans la région à ne pas être encore indépendant. Mais dans le fond, elle a voulu que cette souveraineté soit partielle pour qu’elle puisse continuer à y avoir un droit de regard.

 

2.1. Une concession d’indépendance sous pression

La Guinée Équatoriale, quoi qu’on pense, n’a pas bénéficié d’un même processus d’indépendance que les autres colonies d’Afrique noire. Elle reste l’une des colonies dont la décolonisation n’a pas été volontaire du point de vue du colonisateur. Autrement dit, l’administration coloniale n’était aucunement dans une dynamique de décolonisation de sa colonie du Golfe de guinée. Comme le dit P. Decraene (1968, p. 9) « L’Espagne s’est résignée à une décolonisation réalisée sous la pression constante de certains organismes spécialisés de l’ONU et de la plupart des nations indépendantes d’Afrique ». Dès l’entame des luttes nationalistes africaines, l’Espagne, la puissance colonisatrice de cette partie de l’Afrique a initié une politique dite de ‘‘non contagion’’. C’est une stratégie de l’Espagne qui consistait à éloigner son territoire des autres colonies d’Afrique, surtout celles de la France dans lesquelles les mouvements nationalistes étaient déjà en vogue.

Nous le savons, l’éveil du nationalisme a été comme un vent qui a soufflé et entrainé le feu rageur de la fin du colonialisme (en général dans les colonies françaises et anglaises) vers toutes les contrées de l’Afrique noire. Il embrase, affecte et tue le système colonial. Pour empêcher donc ce feu idéologique d’atteindre la Guinée espagnole, l’administration coloniale espagnole refusait tout contact des autres colonies avec la sienne, vu qu’elle est entourée de plusieurs colonies françaises et anglaises.

La colonie restera ainsi durant les premières années de luttes indépendantistes générales africaines sans de véritables actions efficaces. Mais un incendie déclenché dans une forêt au cours d’une sécheresse ne met pas trop de temps pour visiter d’autres forêts. En dépit de la politique espagnole d’isolement, les intellectuels guinéens (partis pour étudier) à la métropole reviendront avec des idées reçues de leurs pairs dans d’autres pays de l’Europe. C’est ainsi que Ropo Uri, diplômé commercial, sera le premier à exprimer à l’administration coloniale des exigences pour l’indépendance de son pays (M. Liniger-Goumaz, 1980, p. 426).

À partir de cet acte de bravoure de Ropo Uri, les actions de protestations vont se multiplier. Face à l’intensification de la lutte, l’administration coloniale mènera une politique d’intimidation parfois violente qui va contraindre à l’exil, certains leaders et coûter la vie à d’autres. Acasio Mañe par exemple, resté sur place parce qu’il considérait qu’on ne peut lutter efficacement que de l’intérieur, fut assassiné 20 novembre 1958 par la Garde Coloniale (R. D. Mendizábal Allende, 2018, p. 66).  Les pays d’accueil de ces leaders sont principalement le Gabon et le Cameroun voisins. On peut comprendre que la décolonisation de la Guinée Équatoriale n’a pas été un processus volontaire de l’Espagne, mais plutôt l’aboutissement d’une difficile et déterminée lutte d’un peuple assailli dont la liberté avait été confisquée.

Cette lutte au prix de l’exil et de la vie a également reçu l’appui important du comité de décolonisation de l’ONU. Toujours dans sa logique de maintenir sa suprématie sur les peuples de Guinée, l’administration espagnole a plusieurs fois tenté d’esquiver l’idée d’indépendance en procédant à une provincialisation de la colonie. Elle prétend procéder à une provincialisation qui, du reste est dénouée de toute assimilation. En principe, une telle politique devrait être caractérisée par l’égalité entre le citoyen de la colonie et de celui de la métropole. Le statut de province ne satisfait pas aux revendications des nationalistes qui demandent encore plus de réformes, car leur objectif principal reste l’indépendance totale. En s’appuyant sur la résolution 1514, le comité de décolonisation de l’ONU demande au gouvernement de Madrid d’entreprendre des réformes administratives en vue d’accorder l’indépendance de la Guinée espagnole (S. Donates Teulade, 2009, p. 36). Pilotées par l’Amiral espagnol Faustino Ruiz Gonzalez[3], ces reformes aboutissent au statut d’autonomie de la Guinée espagnole. Toutes ces tractations témoignent de la volonté de l’Espagne à continuer d’avoir la mainmise sur ce territoire.

 En 1967, des membres de certains mouvements nationalistes dont principalement ceux du MONALIGE[4] se rendent à New York. Au cours de cette mission, ils menacent de passer à une lutte armée si l’indépendance n’était pas effective avant fin 1967. Un ultimatum que le comité de décolonisation redoute, vue la détermination du peuple de Guinée espagnole à obtenir sa souveraineté. La pression monte sur l’Espagne surtout avec les résolutions 2077 et 2230 dudit comité qui insistent que l’indépendance soit effective.

Les effets conjugués des actions des intellectuels Équato-Guinéens, déterminés à obtenir leur liberté et la pression exercée par les Nations Unies ne laissent pas de marge de manœuvres à l’Espagne qui voulait continuer de maintenir ce territoire sous sa domination. Comme on peut le remarquer, les autorités coloniales espagnoles n’ont, à aucun moment lâché prise quant à continuer l’action coloniale en Guinée espagnole, même après l’indépendance de celle-ci.

 

2.2. Une ex puissance colonisatrice très présente après l’indépendance

L’une des illusions liées à la décolonisation de l’Afrique était une libération des territoires assortie d’une indépendance totale au niveau politique et économique. Les nationalistes Équato-Guinéens croyaient fermement à une décolonisation leur permettant de prendre en main le contrôle intégral de leur territoire et leur destinée en tant qu’État souverain. Ainsi, chaque Équato-Guinéen, épris de liberté et de paix, rêvait d’une indépendance qui viendrait mettre fin à plusieurs décennies de colonisation caractérisées par la privation de liberté, de toute sorte d’humiliation et de deshumanisation de la part du colon. Pendant ce temps, le colonisateur qui profite des richesses de la colonie n’entendait pas concéder de façon totale et définitive, l’indépendance et la souveraineté de ce territoire, malgré les pressions intérieure et extérieure. Autrement dit, l’indépendance que le colon concède n’était qu’une farce puisqu’il se met dans une posture prônant un pacte colonial qui, à la longue lui permet de continuer d’avoir un droit de regard sur les aspects politique et économique.

Il en est de même au niveau culturel, il est fait en sorte que la culture du colonisateur ne disparaisse pas. Et mieux encore, ils ont pu obtenir des coopérations culturelles dans lesquelles la langue et la culture de l’ex colonisateur restent les références ; avec des langues officielles et non une langue nationale.

Du point de vue politique, malgré des décennies d’indépendance, les Espagnols continuent de s’arroger le rôle de gardiens de la démocratie occidentale et de contrôleurs de la culture de celle-ci dans le nouvel État. Le faisant, ils sortent de la colonie sans véritablement la libérer ; cela avec parfois le laxisme de certains dirigeants du continent. Et c’est le triste constat partout en Afrique noire. À ce propos, P. Vakunta (2006, sp) dira « Il y a une ingérence étrangère dans les affaires internes des États-nations africains. Quarante-quatre ans après l’indépendance, la plupart des dirigeants africains continuent de se comporter comme des écoliers au service de leurs anciens maîtres coloniaux ».

En ce qui concerne cette volonté de contrôle des ex-colonies, le cas de la Guinée Équatoriale est très patent, avec les manœuvres qui ont eu lieu avant l’indépendance du pays. Les tractations qui ont prévalu avant la conférence constitutionnelle et les premières élections présidentielles posaient déjà les jalons d’une Guinée Équatoriale socialement et politiquement divisée. D’abord on se retrouve à la veille d’une conférence constitutionnelle (1967-68) avec une Espagne qui a des intentions manifestes qui optent pour l’un des futurs candidats à l’élection présidentielle du futur État.

L’administration coloniale ira plus loin en finançant la campagne du groupe Ondo Edu et Atanasio Ndongo Miyone (A. García-Trevijano, 1977, p. 16). La puissance colonisatrice se voyait dans un futur proche, exclue purement et simplement avec un leader nationaliste comme Macías Nguema au pouvoir ; car celui-ci avait toujours lutté pour une indépendance intégrale. Il ne voulait pas de relations fortes avec la métropole. Contrairement à lui, des nationalistes comme Gori Molubela, Bosio Dioco, Bonifasio Ondo Edu, Atanasio Ndongo Miyone préconisaient une indépendance maintenant des liens étroits avec l’Espagne (M. Liniger-Goumaz, 1980, p. 242). Ainsi Macías, considéré comme un pro nationaliste tombe en disgrâce même s’il finit par être le choix du peuple.

L’Espagne qui craint la perte totale de sa colonie apporta son soutien aux groupes de nationalistes qu’on pourrait qualifier de modérés. Le peuple qui comprenaient ces actions aux intentions affichées, refusent de collaborer. Dans ce sens R. Pelissier (sd, sp) écrit :

Jusqu’à l’indépendance, la présidence du Conseil à Madrid et singulièrement l’amiral Carrero Blanco manipulaient et achetaient tous ceux qui en Guinée passaient pour des leaders. Cette perpétuation de la tutelle de Madrid dans cette couveuse politique irritait nombre de Fang du Río Muni qui, aux élections de 1968, donnèrent leurs voix au plus extrémiste des leurs, un fonctionnaire falot vouant aux Espagnols une haine inexpiable, fondée sur un complexe d’infériorité vis-à-vis de tout ce qui pouvait passer pour de l’intellectualisme.

 

Ainsi, en dépit de l’appui accordé aux mouvements indépendantistes modérés, Macías et les dissidents desdits mouvements remportent les premières élections de 1968. En principe, avec Macías Nguema au pouvoir, on pouvait croire à une véritable indépendance puisqu’il a été considéré comme le pro nationaliste que l’ex-colonisateur ne pouvait contrôler. Et l’Espagne l’a certainement bien compris et n’a point accepté de tirer sa révérence coloniale de sitôt. Les actions qu’elle mène par la suite entraineront la crise politique de 1969 et les projets ethnico-régionalistes.

 

  1. Crise politique et projets ethnico-régionalistes persistant

            L’élan national au moment des luttes nationalistes s’est effondré après l’indépendance. D’abord par la répression politique de la décennie 1969-1979, puis par la résurgence des intentions séparatistes latentes. En fin de compte, nous avons une Guinée Équatoriale qui peine à se constituer en nation unitaire.

 

3.1. La décennie 1969-1979 et l’effondrement de l’élan de développement

La date du 12 octobre 1968, consacre officiellement l’indépendance de la Guinée espagnole qui devient la République de la Guinée Équatoriale ; avec un nouveau président démocratiquement élu : Francisco Macías Nguema. Il remporte la première élection présidentielle grâce à sa vision politique. Il a voulu, on le rappelle, d’une indépendance caractérisée par la liberté du peuple à faire face à son destin, penser son développement et construire son pays. Pour cela, son arrivée au pouvoir ne pouvait pas qu’être dans le viseur de l’Espagne qui voulait continuer à être présente même après avoir concédé l’indépendance. Macías Nguema sera donc perturbé dans sa gestion du pouvoir par des indépendantistes modérés comme Atanasio Ndongo Miyone (opposé à Macías durant la campagne pour la présidentielle). Grâce à la politique d’ouverture voulue par le tout nouveau président de la République de Guinée Équatoriale, Atanasio Ndongo Miyone intègre le gouvernement et y occupe le portefeuille des affaires étrangères.

  1. Droz (2003, p. 9) l’a écrit :

Les mille et un problèmes qui assaillent l’Afrique subsaharienne depuis une trentaine d’années – instabilité, sous-développement, corruption et violence, guerres intestines et interétatiques, interventions étrangères, migrations forcées, épidémies… – renvoient inévitablement aux conditions et aux modalités de son indépendance.

 

Dans le cas de la Guinée Équatoriale, les conséquences de ce refus de Macías de lécher les bottes de l’ex puissance colonisatrice ne se sont pas fait attendre. Seulement cinq mois (05 mars 1969) après son ascension à la présidence du pays, le président essuie le premier coup d’État.

Cette tentative de destitution attribuée à Atanasio Ndongo sous impulsion des autorités espagnoles, à tort ou à raison, ne pouvait être pris comme telle. Pour cause, le putschiste était déjà au palais présidentiel et croyait avoir réussi son coup. Il communique sur son succès. Il reçoit un télégramme le félicitant pour cet exploit, mais grand fut son étonnement quand les hommes de Macías prennent d’assaut le palais (A. García-Trevijano, 1977, p. 17). Tout ce qui a eu lieu durant la conférence constitutionnelle et au cours des derniers jours avant la présidentielle mettait déjà en filigrane la main invisible ou presque visible de l’ex puissance colonisatrice dans le coup du putsch attribué à Ndongo Miyone ; un pro-espagnol.

 L’intention de l’Espagne était manifeste : ne voir au pouvoir qu’un nationaliste modéré ; et Atanasio en était un, mais c’est Macías le radical qui accède au pouvoir de façon plus ou moins surprenante. Ensuite, l’événement se prépare alors que le ministre modéré se trouve en Espagne dans le cadre de son ministère (Affaires étrangères). Et l’événement a lieu le jour de son retour au pays. On ne peut voir qu’une planification qui prédestinait celui-ci au palais une fois qu’il atterrit, mais malheureusement le putsch n’a pas fonctionné.

 La conséquence de cette bavure de Ndongo a été une violente répression politique exprimée comme une riposte à la tentative de sédition. Une décennie durant, il y a eu assassinats, exil, arrêt des activités économiques, une concentration du pouvoir en la personne de Macías Nguema, incarcérations, une purge ethnique, etc. Les résultats : absence d’État de droit assorti de révocation des notions de démocratie et de liberté d’expression ; une crise économique profonde faisant de l’ancienne colonie espagnole, l’un des pays les plus pauvres de l’Afrique centrale entre 1972 et 1992 alors qu’elle était l’un des plus prospères au moment de son accession à l’indépendance.

Le 03 août 1979, l’actuel président Teodoro Obiang Nguema, par un coup d’État, met fin au règne tragique de Macías. Mais sa gestion du pouvoir politique laisse entrevoir les auspices du clanisme, du népotisme, du tribalisme, du régionalisme, etc. Pour A. Serrano Campos (2002, p. 97) dans la politique équato-guinéenne, l’on confond démocratie et relations familiales. Ce qui remet à jour les replis identitaires et les intentions séparatistes.

3-2- Des replis identitaires et intentions séparatistes

Fondamentalement, après l’indépendance, le nationalisme n’a plus eu cours en Guinée Équatoriale. Après avoir étudié, des années, l’histoire de la décolonisation de la Guinée espagnole, nous nous sommes posé la question de savoir à quoi pouvait servir le nationalisme après l’indépendance puisqu’il n’a été qu’un stimulant pour bouter le colonisateur hors du territoire. Pour nous donc, il ne pouvait plus être le moteur de recherche d’un bien-être social commun. Ce nationalisme s’est plutôt présenté comme le paravent d’une faiblesse pour l’unité nationale. S’il avait été construit dans le but de parvenir à la construction d’une nation homogène, cela aurait pu, après l’indépendance, se constituer en un socle du développement (dans son sens multiple) de l’ancienne colonie espagnole.

Contre toute attente, ‘l’union’ qui a prévalu durant les luttes anticolonialistes s’est morcelée en des intérêts individualistes, régionalistes et ethniques. La division et les velléités séparatistes qui s’en suivent résultent de ce qui est connu comme gestion clanique politique et économique par les dirigeants au pouvoir. La Guinée Équatoriale est aujourd’hui l’un des pays où les considérations ethnico-régionalistes sont devenues une maxime politique. Acceptée ou non, cette nouvelle maxime politique fait bon chemin et le reste du peuple, ceux qui se voient loin du pouvoir, sont muselés par une absence de liberté d’expression. Les hommes politiques qui sont à mesure de hausser le ton sont ceux qui vivent hors du pays ; contraints eux-mêmes, par ce fait, de s’exiler.

Depuis quelques années, le pouvoir en Guinée Équatoriale fait face à des nationalismes à vocation séparatiste dont le plus connu est le groupe bubi, à travers le MAIB (Mouvement pour l’Autodétermination de l’Ile de Bioko). Ces luttes ne sont pas véritablement récentes. Vers la fin du processus de décolonisation, le groupe Bubi réclamait déjà une indépendance de l’île de Bioko séparée de la partie continentale. Et même après l’indépendance, ce groupe n’a cessé de poursuivre cet objectif. Dans l’actualité, cette volonté bubie[5] est renforcée par la gestion du pouvoir jugée opaque, clanique, régionaliste, tribale et même familiale. Pour cause, depuis l’indépendance du pays en 1968, le pouvoir se trouve entre les mains du clan essangui de Mongomo. De Macías Nguema à Obieng Nguema, les plus hauts postes sont confiés aux membres de la famille Nguema et alliés. De cette façon les Bubi se sentent exclus de la gestion du territoire commun. Parallèlement, il y a les nationalismes annonbonais et ndowe considérés également comme des groupes séparatistes en réaction à la gestion clanique du régime actuel.

Avec cette dynamique, l’unité nationale rêvée et profilée à l’horizon lors des luttes indépendantistes n’a été, en fin de compte, qu’une utopie. 

 

Conclusion

Les indépendances africaines se sont annoncées comme un vent à même d’emporter les injustices, la domination, l’exploitation et les pillages des ressources du continent. Pour cela, les nationalistes ont convergé leurs efforts en vue de mettre fin à l’action coloniale à relent de subordination du noir. Cette union d’actions qui a habité les différents mouvements de luttes indépendantistes devait pouvoir, à terme, permettre la construction d’une nation multiforme. Paradoxalement, cet objectif d’indépendance atteint ne répond pas véritablement aux attentes liées à la décolonisation. Le colon qui veut continuer de contrôler son territoire colonial, a su greffer des germes de division aux différences qui existaient entre certains mouvements nationalistes à caractère ethnico-régionaliste. En Guinée Équatoriale, au terme du processus de décolonisation, des groupes ethniques ont manifesté leur souhait d’une indépendance séparée. Ces intentions séparatistes refont surface comme réaction à la gestion du pouvoir actuel jugé clanique et familial. Il est donc difficile pour cela de parvenir à l’unicité de la nation équato-guinéenne qui, en principe, devait être la clé de voute pour le développement du pays. 

 

Bibliographie

CAMPOS SERRANO Alicia (2011). Petróleo y Estado postcolonial: transformaciones de la economía política en Guinea  Ecuatorial, 1995-2010, Implicaciones para la coherencia de políticas españolas. Fundación Carolina: Madrid.

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[1]-Dans chaque colonie, des groupes ethniques qui vivaient séparés, et considérés chacun comme étant une entité nationale, ont été contraints de vivre en ensemble comme un même groupe établi désormais sur une même configuration territoriale, appelée colonie. Ces différents groupes se sentiront dans l’obligation de s’unir, de coopérer pour avoir en commun une même lutte contre l’ennemi en commun : le colonisateur.

[2] -Parlant de la libération des territoires autrefois occupés, les opinions sont diverses. Pour certains, l’Europe impérialiste a été, à un moment donné contraint, sous impulsion de force, de concéder l’indépendance aux colonies. Pour d’autres, dans bien de cas, cette action a été volontaire. Pour nous, dans cette étude, aucune puissance n’a voulu, de gré, accorder l’indépendance à aucune colonie. La réalité est que le colon exploitait tranquillement avec profit la colonie jusqu’à ce que naissent d’abord les protestations des intellectuels dans la colonie avant que ne vienne en appui la volonté de décolonisation de l’ONU.

[3]-Faustino Ruiz Gonzalez a été gouverneur de la Guinée Équatoriale entre 1949 et 1962. Compte tenu de la pression qu’exerçait l’ONU sur Madrid, Gonzalez décide de mettre fin à l’instabilité de l’administration coloniale et engage le processus de provincialisation de la Guinée Équatoriale.

[4] -Movimiento Nacional de Liberación de Guinea Ecuatorial (Mouvement National de Libération de la Guinée Équatoriale). L’un des premiers mouvements nationalistes créé par Acasio Mañe, Enrique Nvo, Ondo Micha et Atanasio Ndongo Miyone.

[5] -Le MAIB, Movimiento de Auto Determinación de la Isla de Bioko (Mouvement d’Auto Détermination de l’Ile de Bioko) a été créé.

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