Infundibulum Scientific

L’ENSEIGNEMENT DE L’ESPAGNOL FACE À LA MONTÉE EN PUISSANCE DU NOUCHI EN CÔTE D’IVOIRE

La enseñanza del español frente al auge del nouchi en Costa de Marfil

The teaching of Spanish face to the rise of slang language in Côte d’Ivoire

Appolos DJIEOULOU
Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d’Ivoire
Département d’Études Ibériques et Latino-américaines
nuevopolos@yahoo.fr

Résumé

Mots-clés, Keywords, Palabras clave

Nouchi, Français, Enseignement, Espagnol, Difficultés d’apprentissage.
nouchi, francés, enseñanza, español, dificultades escolares.
Slang, French, teaching, Spanish, school difficulties.

TEXTE INTÉGRAL

Introduction

La Côte d’Ivoire est l’un des pays africains qui présentent une très grande hétérogénéité culturelle et linguistique. À son indépendance politique en 1960, elle fait le choix du français comme langue officielle. Cette langue héritée de la colonisation est perçue comme un instrument susceptible de juguler les oppositions interethniques en faveur de l’unité nationale, comme le dit K. J. M. Kouamé (2012) :

N’étant pas reconnues officiellement, elles [les langues ivoiriennes] sont souvent réduites à des langues en marge du monde moderne. Dans l’enseignement, on note leur quasi-absence. Face à cette situation linguistique hétérogène où aucun groupe ne peut imposer sa langue aux autres, le point de vue selon lequel le français paraît être la seule langue susceptible d’atténuer les oppositions interethniques et de servir d’instrument d’unité nationale semble prévaloir (p.1).

 Cependant, dans le but de s’ouvrir à d’autres civilisations et à d’autres cultures, la Côte d’Ivoire intègre à son système éducatif l’enseignement d’autres langues étrangères dont l’espagnol.  

À partir des décennies 70-80, du fait de certaines réalités politiques, sociales et économiques, naît une langue argotique appelée nouchi. Considérée, au départ comme l’argot des jeunes de la rue, le nouchi pénètre aujourd’hui des familles, l’école, les médias et à certains égards, l’administration, au point d’impacter le destin linguistique de la Côte d’Ivoire. La réalité, aujourd’hui (qu’on se le dise) est que cette nouvelle langue gagne du terrain pendant que le français perd de la valeur chez bon nombre de ses locuteurs.

Vu l’influence du nouchi sur le français en Côte d’Ivoire, il se pose alors le problème de la place de l’espagnol, d’autant plus que, les études ont monté que pour être bon locuteur en espagnol, il faut l’être également en français. Cette étude vise à montrer que la montée en puissance du nouchi en Côte d’Ivoire a un impact sur l’enseignement de l’espagnol. En nous appuyant sur une approche descriptive et explicative, nous présenterons d’abord l’origine et l’évolution du nouchi, puis nous montrerons l’influence du nouchi sur l’espagnol avant de proposer quelques stratégies pour rendre efficace l’enseignement de l’espagnol. 

  1. Origine et évolution du nouchi

1.1.Origine du nouchi

Le nouchi, cette variété linguistique ivoirienne qui est en même temps une langue subversive du français, apparaît sur la scène linguistique en Côte d’Ivoire dans les années 70-80, selon des chercheurs, comme Gilbert Toppé, Aimée-Danielle Lézou, Akissi Béatrice Boutin, Jérémie Kouadio N’guessan, pour ne citer que ceux-là.

Il est précieux dans l’étude portant sur cette langue, qui ne cesse de faire parler d’elle, de se s’interroger sur la période de son éclosion. C’est-à-dire quels sont les facteurs qui, à une époque précise, ont favorisé sa naissance. Cette curiosité nous amène à étudier les facteurs sociaux, économiques et / ou politiques de cette période. En effet, en 1970, la Côte d’Ivoire connaît son premier miracle économique. Cette prospérité subite du pays va provoquer d’une part un flux migratoire des populations des zones rurales vers les zones urbaines, principalement la ville d’Abidjan ; poumon de cette économie. La même situation va entrainer d’autre part, l’immigration des communautés de certains pays voisins, notamment le Burkina Faso, le Mali et la Guinée Conakry, à la recherche d’un mieux-être. L’importante immigration à laquelle Abidjan fait face, la transforme en une ville cosmopolite, vu que ces populations étrangères viennent s’ajouter à une soixantaine d’ethnies déjà présentes sur le sol ivoirien.      

Au niveau socioculturel, les années 70 ont été marquées par le développement de la cinématographie, avec la floraison des salles de cinéma sur les bords de la lagune ébrié et à l’intérieur du pays. En 1966 déjà, la ville d’Abidjan comptait d’innombrables de salle de cinéma, N. KASSI (2011, p.1). C’est surtout avec la réalisation du premier film ivoirien « sur la dune de la solitude » de   Basori Timité que les Ivoiriens ont eu un goût plus élevé du cinéma.  C’est principalement autour des salles de cinéma que va naître le nouchi.

Parlant de son étymologie, S. Lafage (1991, p.97) estime que le nouchi est un mot dioula composé de deux mots d’origine « nou » qui veut dire « le nez » et « chi » qui veut dire poil. Cette combinaison donne le nouchi, et désigne la moustache ou les poils du nez. Pour elle, il est synonyme de voyou. Car au début c’était la langue des loubards, des ‘’ziguéï’’, des plus forts qui dictaient leurs lois autres.

Par contre, Kouadio Nguessan Jérémie nous apprend que le nouchi est un mot Soussou une langue parlée en Guinée. Que dire de ces deux positions sur l’origine de cette langue, faite Côte d’Ivoire ? Jean Baptiste Atsé, estime qu’au regard de toutes implications du nouchi, c’est l’hypothèse de Lafage selon laquelle le nouchi serait synonyme de voyou qui paraît probable. En effet, à cette époque, les Ivoiriens, amoureux des films westerns que diffusait leur unique chaine de télévision les dimanches à partir de 14h heures, identifiaient toujours les téméraires, les caïds et même les braves par leurs moustaches ; ainsi tous ceux qui portent des moustaches dans les films wersterns sont considérés comme des noussis, c’est-à-dire des durs à cuire, des caïds, des bandits. Comme nous pouvons le remarquer avec Jean-Baptiste, du nouchi, naît un autre mot ; noussi. C’est-à-dire l’invincible, le brave, le courageux. Le nouchi ne sera donc plus qu’une langue parlée mais un style de vie, une attitude, un comportement, un monde de jeunes, qui finalement frise malheureusement le banditisme, le vol, l’insolence, l’arrogance et l’impolitesse. Ainsi le Noussi, c’est cet individu qualifié par les adjectifs ci-dessus mentionnés.  Pour N. J. Kouadio (2007, p.2) c’est le monde des :

Déscolarisés qui ont quitté l’école avec une connaissance plus ou moins suffisante du français. C’est pourquoi « né dans la rue, ce parler est devenu le code de ralliement d’une majorité de jeunes ivoiriens : élèves, lycéens étudiants, jeunes de la rue, jeunes délinquants, seuls les jeunes ruraux analphabètes échappent à la vague nouchi.

En effet, cette frange de la population ivoirienne très hétérogène dont la plupart n’était pas de bons locuteurs du français normatif avait besoin de communiquer comme le souligne A. L. A. Aboa (2012, p.3) que « la langue est l’instrument privilégié de la communication ». Mais, dans quelle langue communiquer ? Vu que le pays compte une soixantaine d’ethnies, alors qu’aucune parmi celles-ci n’a été adoptée comme langue nationale, le nouchi se compose d’un « certain nombre de mots provenant des langues ivoiriennes retenus, modifiés, tronqués, associés parfois à des éléments d’une langue dérivée ou composée, changé de signification par métaphore ou métonymie » vont composer la langue nouchi » J. N. Kouadio (1990, p. 375).

Le nouchi apparaît donc comme la manifestation du désir d’intégration de tous ces jeunes issus de plusieurs et différentes zones ethniques. C’est peut-être son caractère composite qui a accéléré son extension rapide à l’échelle nationale, donc l’évolution rapide du nombre de ses locuteurs. En clair, ces ‘’opprimés’’ par les barrières linguistiques avaient besoin de plus de liberté. C’est au regard de cela que A. L. A. Aboa (2017, p.1) qualifie le nouchi de « phénomène identitaire et posture générationnelle ».

Cette génération de jeunes cherche à appartenir à un groupe dans lequel ils pourraient communiquer avec aisance et mieux se comprendre. Ils se veulent une identité dans une société qui tente de les rejeter, de les marginaliser et les martyriser. Cependant, malheureusement, ces jeunes se constituent une identité que seuls les qualificatifs péjoratifs décrivent le mieux; délinquant, bandit, voleur, agresseur etc.

La nouvelle langue ivoirienne en plein essor est diversement appréciée par la population. Pour les uns, le nouchi est une langue marginale. Pour d’autres, elle pourrait dans l’avenir se positionner comme la langue nationale, vu le nombre sans cesse croissant de ses locuteurs. C’est en cela que S. K. Konan (2010, p.1) affirme : « À tort ou à raison, il est jugé comme intrus par les puristes de cette langue (…) nous sommes arrivés à la conclusion que cette langue ne doit pas être mise en marge de la langue française. Il faut plutôt la promouvoir pour l’enrichir ».

Autrefois connu comme l’argot des jeunes de la rue, et des loubards, cet outil langagier crypté, B. A. Boutin et J. N. Kouadio (2015, p.2) prend des proportions. Il n’est plus uniquement parlé par les déscolarisés, car les écoliers, les collégiens, les lycéens et les étudiants le parlent. Il n’est plus que dans les rues, le nouchi sert de moyen de communication entre parents et enfants dans des familles. Selon B. A. Boutin et J. N Kouadio (2015, p.3) : « 64% des jeunes scolarisés à Abidjan déclarent que le nouchi est leur principale langue dans l’enceinte des établissements scolaires et 33% des élèves disent le parler en classe ».

Compte tenu la vitesse avec laquelle va croissant le nombre des locuteurs du nouchi, l’on est tenté de donner raison à A. L. A. Aboa (2011 p.4) qui dit que « le pronostic de Calvet (selon lequel le nouchi permettait d’imaginer l’avenir de la langue française en Côte d’Ivoire et représenterait déjà actuellement (langue identitaire) ouvre une bonne perspective ».

Depuis son apparition dans les années 70-80, jusqu’à nos jours, le nouchi ne cesse de gagner du terrain. Désormais, il devient le moyen de communication prisé des Ivoiriens. Le français, langue officielle du pays, depuis son indépendance, a désormais un concurrent. Caractérisé par des hybridations, des troncations et de diverses manipulations des langues ivoiriennes et étrangères, le nouchi se passe des normes de la langue française, parfois trop compliquées à manipuler. De ce fait, il se positionne comme étant l’expression d’autonomie et de liberté de la plupart de ses locuteurs :

Dans les lieux de trafics, les gares routières, dans les cités universitaires de Yopougon ou de Cocody Mermoz, dans les cours et les couloirs des collèges et lycées, le nouchi s’est étendu à des degrés divers dans tous les milieux ivoiriens et on peut facilement supposer que toute la population ivoirienne d’élite intellectuelle comprise, on a aujourd’hui au moins une certaine compétence passive (B. A. Boutin et J. N. Kouadio, 2015, p.3).

 Quels sont les facteurs à l’origine de l’expansion et la pérennisation du nouchi ?

1.2. Les facteurs de l’expansion du nouchi

Plusieurs facteurs sont à l’origine de l’expansion du nouchi en Côte d’Ivoire. En voyant le contexte de son apparition, on peut déjà constater que cette langue porte en elle-même les moyens de son expansion et sa perpétuation. Le nouchi est un produit des jeunes déscolarisés ou non scolarisés, des rejetés, des marginalisés de la société. Ainsi, tant qu’il y aura des proscrits, des déscolarisés et des sans emploi, se retrouvant dans les rues, ; le nouchi subsistera.

Quelques années après le miracle économique qui a été l’un des facteurs de l’exode massif des jeunes vers la capitale, survient une surprenante crise économique. Cette récession économique, avec son corolaire de désœuvrés, des déscolarisés et des sans-emploi va davantage gonfler le nombre de locuteurs du nouchi. Ainsi les conditions de vie devenant de plus en plus difficile, donnent des ailes à ce parler populaire. En plus, des facteurs sociolinguistiques peuvent aussi expliquer son expansion. En effet, malgré l’existence de plusieurs langues ivoiriennes, l’État de Côte d’Ivoire, depuis l’indépendance en 1960, n’a pu faire émerger aucune de ces langues comme un idiome véhiculaire avec extension nationale.

C’est pour combler ce vide linguistique ou ce manque d’identité linguistique nationale, que le nouchi se positionne et se veut une identité linguistique de la Côte d’Ivoire visant l’intégration de toutes ces langues ivoiriennes. C’est ce sentiment ivoirien que J. N. Kouadio (1991) qualifie d’ivoirocentrique, qui consiste selon B. K. A. Cissé (2015, p.10) « À ‘’tordre le cou ‘’ à la langue française pour l’adapter au besoin de la communication d’une population hétérogène privée d’une véritable langue véhiculaire tant à l’échelle du pays lui-même qu’à celle d’une ville cosmopolite comme Abidjan ».

De même, dans les années 90, émerge un genre musical appelé zouglou. C’est une pure création ivoirienne, née sur les campus universitaires. Il met en lumière tous ces sujets dont personne n’osait parler autrefois tels que la pauvreté, les humiliés, les rejetés de la société etc. Les textes zougloutiques des groupes musicaux comme les parents du campus, esprits de yop, les salopards, petit Dénis, sur choc et autres, rencontrent aussitôt l’admiration des jeunes des rues. De ce fait, le zouglou, identité culturelle et le nouchi identité linguistique peuvent faire bon ménage, car tous les deux sont au service de la nation. On peut donc dire sans risque de se tromper que la Côte d’Ivoire avait fortement besoin de se constituer en une véritable nation. Tous ces facteurs ont consolidé le nouchi et ont fortement participé à son extension. Aujourd’hui, les jeunes communiquent mieux dans cette langue, (l’expression du sentiment national) qu’en français. Ainsi, quoique langue officielle des Ivoiriens, le Français est en perte de vitesse dans notre société actuelle.

À côté de la langue officielle, la Côte d’Ivoire, pour des raisons politiques et diplomatiques a intégré à son système éducatif d’autres langues étrangères dont l’espagnol. Aujourd’hui, où la montée en puissance du nouchi menace le français, l’enseignement et l’apprentissage de l’espagnol sont aussi influencés par cette situation.

2.L’influence du nouchi sur l’espagnoL

L’influence du nouchi sur l’espagnol s’inscrit dans le cadre général de l’influence des langues locales sur le français, langue étrangère. En effet, dans les pays africains francophones, il y a une interaction entre les langues locales et la langue officielle et cela a un impact sur l’enseignement et les résultats des apprenants. La Côte d’Ivoire n’est pas un cas isolé dans cette situation. La quasi-totalité des pays africains francophones rencontrent les mêmes problèmes comme le dit J. Mahan (2015, p.2) « Le français, unique langue autorisée dans l’institution scolaire, pose des problèmes aux apprenants en raison notamment du décalage entre le contenu de l’enseignement et le milieu sociolinguistique des apprenants ».

Cela ne revient pas à dire que le nouchi est une langue locale ou nationale; cependant quoiqu’on dise, il présente des réalités que personne ne peut nier. Il n’est plus une langue argotique des enfants de la rue mais plus, une langue qui progressivement couvre l’ensemble du territoire ivoirien et dont le nombre des locuteurs va crescendo. Le français, langue officielle (maternelle pour d’autres) est confrontée à des acclimatations dont la conséquence immédiate est l’apparition des variétés du français, créant ainsi un contexte sociolinguistique particulier comme le dit J.Mahan (2015, p. 4) :  

La pratique du français en côte d’Ivoire influencée par le contexte sociolinguistique qui tend à favoriser les usagers de la rue conduit progressivement à des particularités dont l’usage devient régulier et qui, surtout ne sont plus tout à fait reconnues comme des déviances ou des fautes par les locuteurs ayant de bonne connaissance du français standard. 

La question linguistique devient de plus en plus complexe en Côte d’Ivoire, dans la mesure où le pays ne dispose d’aucune langue nationale en dehors du français. En plus, aucune de cette soixantaine d’ethnies ivoiriennes n’émerge effectivement. Pire, la pratique de ces langues quitte progressivement les villes pour ne se retrancher que dans les zones rurales où elles résistent encore. Cela pose un problème de vide identitaire que le nouchi tente de combler en se positionnant comme réponse à la quête d’identité linguistique.

Pris entre le nouchi et le français en pleine acclimatation, les élèves se trouvent dans une situation d’insécurité linguistique que K. M. Vahou (2016, p.5) définit comme « le malaise et un manque d’assurance quand ils [les élèves] parlent ou quand ils écrivent ». L’insécurité linguistique, en question, affecte autant les élèves, les collégiens, les lycéens que les étudiants à un degré moindre. Elle est aussi saisissante au point où « l’on se demande souvent si la langue française parlée est différente de la langue française écrite, au point qu’on distingue même deux langues distinctes dotées de grammaire différente » C. B. Bienveniste (2010, p.77) cité par A. P. K. Kouadio (2017, p.1).

Il est clair que les élèves, aujourd’hui s’expriment et écrivent mal en français. Cela, que ce soit à la maison, à l’école ou dans la rue, dans les restaurants ou les gares routières, le français formel est en train de se vider de sa quintessence pour laisser la place à des variétés. Aujourd’hui, dans les villes du pays, à Abidjan en particulier, les langues locales ne sont plus les langues maternelles. C’est pratiquement le français, langue officielle qui fait office de langue maternelle. Il faut préciser que selon F.K. Sery (2021, p.2)

La langue maternelle est celle avec laquelle l’enfant acquiert le langage et avec laquelle l’enfant développe des compétences linguistiques. La langue maternelle ne s’apprend pas, l’on grandit avec elle. C’est avec que l’enfant commence à articuler ses premiers mots. La langue maternelle peut selon les décisions politiques être la langue nationale et officielle.

La Côte d’Ivoire n’a pas de langue nationale. Cependant, la pratique des langues locales est beaucoup plus confinée dans les différentes régions linguistiques. Dans ce contexte, c’est la langue officielle qui fait office de langue nationale et se substitue dans les zones urbaines aux langues locales. De ce fait, le français devient la langue maternelle de nombreux jeunes. Ce fait met le pays dans une situation où il manque de repère linguistique en dehors de la langue officielle.

Il y a une confrontation entre les normes endogènes et les prescriptions académiques du français qui tendent à s’altérer sous la pression du nouchi. Cette situation est due au fait que les apprenants du français, que ce soit les écoliers, les collégiens, les lycéens et les étudiants se retrouvent dans ce que C. Brou-Diallo (2006, p.3) appelle, bain linguistique. En effet, les apprenants du français sont certes, dans un pays francophone, cependant ce qu’ils apprennent en classe est différent de la variété qu’ils entendent. Autour de l’apprenant, c’est le nouchi qui sert de langue de référence en matière d’intercompréhension. C’est donc en ce sens que le nouchi éloigne le français de ses normes standards, rendant ainsi difficiles l’enseignement et l’apprentissage du français.

Notre sujet ne porte pas sur l’enseignement du français mais de l’espagnol. Cependant, le cas du français nous intéresse compte tenu de la proximité du français et de l’espagnol, toutes deux étant des langues étrangères. Aujourd’hui, en Côte d’Ivoire, sa position sur la scène linguistique fait que le français, langue officielle s’est convertie progressivement en langue maternelle de presque tous les ivoiriens, notamment ceux des zones urbaines.

L’UNESCO, dans son rapport (2014) encourageant l’enseignement des langues maternelles à l’école soutient que « les enfants apprennent mieux dans leur langue maternelle », dans ce même rapport il dit que : « lorsque la langue utilisée à l’école n’est pas la première langue parlée par les enfants, le risque de déscolarisation ou d’échec dans les petites classes est plus élevé ». Ainsi dit, le français qui est devenu, par la force des choses, la langue maternelle de la plupa ivoiriens est donc nécessaire dans l’apprentissage de l’espagnol. C’est en ce sens que l’enseignement de l’espagnol devient de plus en plus difficile dans la mesure où la langue ‘’maternelle’’ subit une forte pression du nouchi.

Il résulte donc difficile pour l’apprenant de mieux comprendre l’espagnol sans bien comprendre le français. En effet, pour avoir été élève en classe d’espagnol et aujourd’hui enseignant d’espagnol, nous pouvons dire par expérience qu’il est difficile pour un apprenant de mieux comprendre l’espagnol si celui-ci n’a pas de bonnes dispositions discursives et communicatives en français. Ceci pour dire que le français intervient dans l’enseignement de l’espagnol.

À ce sujet, une petite enquête menée dans un établissement privé d’enseignement secondaire a clairement montré que des élèves ayant de bonnes moyennes en français (expression orale) ont également de bonnes moyennes en espagnol. Il ressort également de cette enquête que la correspondance entre les moyennes de l’espagnol et celles du français est très constante dans les petites classes. C’est-à-dire que quand on passe d’un niveau inférieur à un autre supérieur, la constance se brise en laissant plus de place à une variabilité. Mais aussi, les élèves des petites classes ont généralement de bonnes moyennes dans chacune de ces deux langues. Par contre, ces moyennes s’affaiblissent progressivement en allant vers la classe de terminale.

Cela prouve effectivement que la proximité de ces deux langues est réelle et le rapport de d’interdépendance qu’il y a entre ces langues, dans leur apprentissage, est saisissant. C’est pour cette raison que nous estimons que la montée en puissance du nouchi en Côte d’Ivoire constitue une réelle menace pour l’enseignement de l’espagnol. En plus, cette menace est également visible au niveau du supérieur mais à un degré moindre. Toutes les fois qu’il sera nécessaire d’avoir recours au français comme langue maternelle pour la compréhension de la deuxième langue (espagnol), la menace du nouchi pour le français sera la même sur l’enseignement et l’apprentissage de l’espagnol en Côte d’Ivoire. En effet, en situation de cours, surtout dans les classes du premier cycle du secondaire (4e et 3e), l’enseignant est parfois confronté à la difficulté de se faire comprendre par les élèves. Cette situation l’oblige parfois à se référer au français pour se faire comprendre par les apprenants en difficulté. Dans ces classes, les élèves éprouvent des difficultés liées aux rapports complexes entre le développement de sa pensée et les savoirs à acquérir, M. Tertrin (2013, p. 29).

Dans ce cas, il incombe à l’enseignant d’orienter la pensée de l’apprenant vers son objet, et cela ne peut être facile qu’en ayant recours à la première langue que parle l’apprenant. Ceci pour dire que de la même façon que l’espagnol peut régler les problèmes des élèves en difficulté en français, le français aussi vient en faire autant pour les apprenants de l’espagnol.

C’est pour cette raison que nous pouvons soutenir que cette interdépendance nécessaire dans l’enseignement et l’apprentissage de ces deux langues d’origine latine, impose la pratique correcte de l’une pour une meilleure approche de l’autre. Il va s’en dire que la mauvaise pratique de l’une constitue évidemment une menace pour l’autre. Voilà pourquoi, dans le contexte de la Côte d’Ivoire le conflit entre le français et le nouchi entraine des difficultés dans l’enseignement de l’espagnol. Partant, il est nécessaire qu’un bon enseignement de l’espagnol passe par la maîtrise du français par les apprenants de l’espagnol. Une bonne stratégie de gestion de conflit linguistique entre le nouchi et le français s’impose afin de sortir nos élèves de l’insécurité linguistique à laquelle ils se trouvent confrontés.

3.Quelles stratégies pour un enseignement efficace de l’espagnol ?

Parler de stratégie, ici, n’est pas ‘’désémantiser’’ ou ‘’resémantiser’’ le mot. Mais, il s’agit de trouver des mesures pour résoudre un problème posé. En cela nous sommes en phase avec A. M. M. Mbadinga (2014, p.47) qui dit:

La stratégie se pense en termes de résolution de problèmes avec des buts préalablement déterminés. Elles ne sont pas seulement des constructions discursives face aux crises économiques, à la crise politique, à la mondialisation, aux délocalisations, aux déplacements des centres de pouvoir, aux dérèglements climatiques et ses conséquences, à l’effondrement du système capitaliste, etc. en un mot, ce sont aussi des actions, des conduites pédagogiques.

 En effet, il s’agit pour nous de tenter de proposer des mesures susceptibles de mettre fin à l’insécurité linguistique, d’une part, des apprenants de la langue française et d’autre part de ceux de l’espagnol. Ces deux langues d’origine latine commune entretiennent un rapport d’interdépendance quant à leur enseignement et apprentissage. Résoudre les difficultés des apprenants dans une langue revient à faciliter l’apprentissage de l’autre. C’est pourquoi dans cette partie, nous situons ces stratégies à deux niveaux: interne et externe.

Au niveau externe, il s’agit de faire des propositions concernant le traitement du conflit nouchi-français. Au niveau interne, il est question de proposer des voies afin que le conflit nouchi-français n’ait pas d’incidence sur l’espagnol. Au niveau externe, il ne s’agit pas de déterminer les statuts du nouchi, c’est-à-dire, dire s’il peut être considéré comme une langue nationale, ou un simple sociolecte. Il ne s’agit pas non plus de penser à l’avenir de cette variété du français au système linguistique à part entière W. J. EKOU (2019, p.4).  Ayant fait l’objet de plusieurs études scientifiques, le nouchi est une réalité et personne ne peut nier son expansion. Il s’agira plutôt de trouver le moyen de mettre une ligne de démarcation entre ces deux langues quant au lieu, au moment et au contexte de leur usage. Il s’agit donc pour les élèves qui parlent le nouchi en classes, de les écouter et leur donner la bonne version en français, de ce qu’ils veulent exprimer.   Comprendre et parler plusieurs langues à la fois n’est pas une mauvaise chose. Cela est au contraire le témoignage de la richesse culturelle et intellectuelle du locuteur. Comme chaque langue a son milieu, parler une en lieu et place de l’autre serait faire une mauvaise communication. 

D’abord, parler argotique de la rue, des gares routières, des alentours des salles de cinéma, des bars et des boites de nuit, avant de se répandre dans tous les milieux politique, familial, médiatique et culturel, le nouchi reste une variété du français associant langues locales et étrangères. Il n’est ni une langue parmi la soixantaine que compte le pays, il n’est ni une langue nationale, ni langue officielle. C’est pourquoi, il ne devrait pas se confondre avec la langue officielle du pays, ni se substituer à elle. Chacune de ces langues à sa spécificité. Le conflit entre le français et le nouchi nait à partir du moment où cette dernière va au-delà de la rue et de certaines de ses zones de prédilection pour s’inviter dans les milieux politique, administratif, académique et culturel. À ce niveau, il faut préciser que ce n’est pas la langue elle-même qui se déplace, mais des personnes qui l’emploient dans ces milieux.

Lors d’un meeting de campagne en vue de l’élection pour la présidence de la République, un candidat, du haut du podium, devant un parterre de partisans disait : «je suis enjaillé » cet emprunt de l’anglais « enjoy » qui veut dire s’amuser, n’ayant pas encore fait son entrée (2017) dans le dictionnaire français, a été re-sémantisé. Il veut ici dire simplement « je suis content ou je suis satisfait ». Les médias aussi pratiquent à profusion le nouchi.  Dans ses recherches J-B. A. N’Cho (2018, pp.11-12) a épinglé certains journaux qui titrent leurs unes en nouchi, comme ceux-ci :    

 

 

 
  

 

 

 

 

 

 

 

 

Les journaux ci-dessus parlant d’élections, la Commission Électorale Indépendante, quant à elle sensibilise les populations en vue des élections apaisées

 

 

 

 
  

 

 

À travers cette affiche, la CEI exhorte les populations à la paix, et à des élections sans violence, car le mot nouchi gnaga signifie la bagarre, la violence, la palabre.

Aujourd’hui, au niveau des médias, des publicités se font de plus en plus en nouchi. On peut donc se demander, vu la vitesse à laquelle vont les choses, si c’est la publicité qui s’adapte à l’évolution de la société ou elle se met, au contraire au service de l’évolution de cette société ? Quoiqu’il en soit le nouchi fait son petit bonhomme de chemin et rien ne semble l’arrêter.  Chaque entreprise cherche à se faire des clients, peu importe la langue, pourvu qu’elle atteigne le maximum de clients. C’est ce qu’on peut penser de ces entreprises, comme le montrent les affiches ci-dessous.

                                                                                         

 

    
   
 
  

 

 

 

 

 

 

 

 

Au regard de tout ceci, nous sommes en droit de nous demander ce que l’on veut faire du nouchi. C’est cette question que pose aussi N. J. B Atsé (2018, p.13) « Le nouchi, la future langue nationale de la Côte d’Ivoire ? ».

Généralement des personnes empruntent le raccourci du nouchi pour contourner les problèmes discursifs qu’elles rencontrent en français. Mais ce n’est pas le cas chez tout le monde. Cela signifie que le nouchi profite des limites des certains locuteurs du français standard pour s’imposer à eux. N’est-ce pas d’ailleurs de l’échec scolaire de plusieurs avec des difficultés à s’exprimer dans la langue officielle qu’est né le nouchi qui se veut un moyen de communication entre les individus de cette classe ?  Il est donc impérieux que soient prises des mesures afin revaloriser la langue française. Le cadre de formation, privilégié étant l’école, il appartient à l’État de réinventer le système scolaire pour que la langue française y soit enseignée, apprise et pratiquée de façon satisfaisante par, d’une part, les enseignants eux-mêmes, et d’autre part, les apprenants. Cela passe, entre autre, par la dotation des lycées publics et privés de bibliothèques bien fournies. Elle sera accompagnée d’une politique d’excitation des élèves à la lecture.

En plus, il faut créer dans chaque lycée et collège un club de français qui sera un cadre privilégié d’activités d’interactions entre les élèves d’une part et d’autre part entre les élèves et les enseignants. Par ailleurs, il serait intéressant d’organiser un concours littéraire interclasses et inter établissements et concours de la langue française de ce même type. Enfin, une journée littéraire nationale éclatée dans les différentes DREN ou DDEN du pays saurait revaloriser les langues en général et le français en particulier. Toutes ces mesures susmentionnées seront soutenues par un accompagnement efficace des enseignants. Une fois cela observé sur une bonne période l’on constatera simplement que le nouchi sortira des classes, des cours des écoles, des familles, de l’administration, des médias et des discours pour rejoindre son berceau de naissance ; la rue, les gares routières etc. sans avoir recours à une quelconque forme de répression. C’est alors que nous parviendrons à établir un climat linguistique stable dans lequel les citoyens auront une sécurité linguistique satisfaisante et un repère.

Au niveau interne, il s’agit simplement d’appliquer les mêmes mesures. Il faut entendre par niveau interne, toutes les mesures appliquées dans le système éducatif ivoirien en vue de valoriser ou revaloriser la langue de Cervantes dans notre pays. En effet, l’espagnol et le français sont deux langues ‘’jumelles’’ et donc interdépendantes dans leur enseignement et leur apprentissage. Si la présence et l’expansion du nouchi est subversive au français, elle constitue par la même occasion une sérieuse menace pour l’espagnol. Partant de cette réalité, résoudre le conflit entre le nouchi et le français en le revalorisant, c’est de façon indirecte que le conflit entre le nouchi et l’espagnol est réglé. Il est donc important et nécessaire, pour l’État de Côte d’Ivoire, qui a décidé à l’indépendance d’opter le français comme langue officielle, de prendre des mesures, parmi lesquelles celles que nous proposons, pour redorer le blason de cette langue en pleine érosion face au nouchi. L’État a encore intérêt à protéger et à valoriser l’espagnol qu’il a intégré à a son système éducatif pour un meilleur rendement de ses apprenants.

Conclusion

Cette étude nous a permis de connaître l’origine de la langue nouchi, les facteurs qui ont favorisé et qui favorisent sa rapide expansion, mais aussi sa perpétuation. Aujourd’hui, parlé par tous, le nouchi est devenu une langue très populaire en Côte d’Ivoire. Il n’est pas la langue nationale du pays cependant, plusieurs de ses locuteurs, les élèves et étudiants y compris disent être à l’aise avec le nouchi qu’avec le français académique. De ce fait, les élèves et les étudiants, principalement s’expriment mal dans la langue de Molière. La Côte d’Ivoire n’ayant pas de langue nationale, les langues locales ne se parlant presque plus en zones urbaines, la langue officielle devient donc la langue maternelle de plusieurs, dont les jeunes notamment. Dans son rapport de février 2014, l’UNESCO fait savoir que les enfants apprennent mieux dans leur langue maternelle et encourage même l’enseignement à l’école des langues maternelles. Cependant, le français, langue maternelle des enfants actuellement est en train d’être détrôné par le nouchi dans lequel les jeunes se reconnaissent mieux. Cette situation rend évidemment difficile l’apprentissage des enfants. Partant de cela, le cas de l’apprentissage de l’espagnol nous interpelle. C’est pourquoi, il faut donc que le gouvernement prenne des mesures pédagogiques et sociales rigoureuses pour que le plurilinguisme ne constitue pas pour les citoyens une source d’égarement linguistique.

 

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