Infundibulum Scientific

MYTHOGÉNÈSE ET ÉTHOS DE CHEF DANS LE CINÉMA D’ANIMATION IVOIRIEN : ESSAI DE RECONSTITUTION CULTURELLE Á PARTIR DE POKOU PRINCESSE ASHANTI ET DIA HOUPHOUET

Pierre Kouakou TANO
Enseignant-Chercheur
Université Félix Houphouët-Boigny

Résumé

Dans les sociétés de tradition orale, le mythe est abordé comme un marqueur d’identité. En tant que tel, il prend en compte les aspirations de toute une communauté en matière de création artistique. Le cinéma d’animation se veut un puissant moyen de retracer l’histoire orale des peuples qui, au fil des ans, s’effrite. La problématique de cette étude est de déterminer les caractéristiques intrinsèques du cinéma d’animation et sa capacité non seulement à restaurer l’identité culturelle du peuple baoulé marquée par la reine Pokou et le président Houphouët en Côte d’Ivoire. Mais surtout à conserver un pan de cette histoire sur un support filmique. L’étude à caractère théorique, est menée principalement à partir de la sémiotique et des recherches documentaires appliquées à un corpus cinématographique cinéma d’animation d’Afrika Toon.
Mots clés : baoulé, chef, cinéma d’animation, culturel, mythe

Mythogenis and chief ethos in ivoirian animation cinema: cultural reconstruction test from Pokou Princess ashanti and Dia Houphouet

Abstract

In societies with an oral tradition, the question of myth is raised as a marker of identity. As such, it takes into account the aspiration of an entire community in terms of artistic creation. Animation cinema aims to be a powerful means of retracing the oral history of peoples which, over the years, has been corroded. The problem of this study is to determine the intrinsic characteristics of animation cinema and its ability not only to restore the cultural identity of baoule people marked by two figureheads in Ivoiry Coast but above all to preserve a part of this history on film support. The theoretical study is carried out mainly from semiotic and documentary research about Afrika Toon.
Keywords : baoule, chief, animated cinema, cultural, myth

Mitogénisis y ethos del jefe en el cine de animación marfileño: prueba de reconstrucción cultural con la princesa Ashanti Pokou y Dia Houphouet

Resumen

En las sociedades de tradición oral, el mito se aborda como un marcador de identidad. Como tal, se entiende perfectamente las aspiraciones de toda una comunidad para la creación artística. El cine de animación tiende a ser una forma poderosa de rastrear la historia de los pueblos que, con el paso de los años, se desmorona. El objetivo de este estudio es determinar las características intrínsecas del cine de animación y su capacidad no solo para restaurar la identidad cultural del pueblo baulé caracterizada por la Reina Pokou y el presidente Houphouet en Costa de Marfil. Pero, sobre todo para mantener una parte de esta historia en el cine. El estudio teórico se basa principalmente en la investigación semiótica y documental aplicada a un corpus cinematográfico de animación Afrika Toon.
Palabras Clave : Baulé, jefe, cine de animación, cultutral, mito

Introduction

Qu’est que le mythe ? À cette question fuse une kyrielle de réponses. Mais le mythe comme le lexème l’indique, dans la définition basique empruntée au Larousse est la racine du mot mythologie. Il est toujours et quoiqu’il arrive, rattaché à un peuple, une culture ou à une civilisation. C’est un aspect de l’ethno-texte qui se délecte aussi bien en littérature qu’au cinéma, allant même jusqu’à intégrer la sphère politique.

Si le mythe est difficile à cerner, c’est sans doute en raison de la polysémie dont il est l’objet. Ainsi, la manière de considérer un mythe diffère selon les points de vue. Et ces focalisations emmènent toutes, à percevoir l’intérêt du mythe dans la reconstitution culturelle d’un peuple.

Comme l’ensemble des anthologies des récits mythiques le démontre, du mythe d’origine au mythe de création, la palette est énorme parce que chaque cas mythique, chaque personnage mythique est unique en son genre. Dans la mythologie Gréco-romaine, Zeus et Jupiter ont la même fonction mais se nomment différemment. Dans le même élan, la langue française utilise plusieurs notions qui tirent leurs origines soit de la mythologie grecque ou soit de la mythologie romaine. Il faut noter par exemple les expressions suivantes : colossal, titanesque, etc.

Salon P. Pavis (2012), généralement, les arts du spectacle (surtout cinéma et théâtre) possèdent chronologiquement trois étapes, l’exposition, le nœud et le dénouement. Par ailleurs, toute œuvre de l’esprit naît, vit et meurt. Cette approche ternaire influence aussi quelques productions cinématographiques africaines. Le cinéma d’animation est un art du spectacle très complexe qui s’inscrit dans un registre pour enfant. Chaque film d’animation est un prétexte pour mener une discussion sur tel ou tel sujet. Cependant, le cinéma d’animation est une forme artistique héritée de l’occident et de la modernité. Se référant à B. Adou (2020), à l’intérieur de cette expression générique, il existe au minimum trois sous-genres : L’animation plane (dessin animé sur papier et verre) ; l’animation en volume (marionnette et poupée) ; l’animation de synthèse (2d/3d). Cette dernière forme d’expression est utilisée par des studios de production en Côte d’Ivoire pour réécrire l’histoire et intégrer des genres traditionnels africains comme les épopées, les légendes, les mythes, les contes et les proverbes.

Deux icônes de l’ethnie Baoulé ont investi à titre posthume les champs de l’histoire et de l’imaginaire. En effet, Abla Pokou et Houphouët-Boigny sont les Akans les plus connus, parce qu’ils ont su être des symboles personnifiés du courage et de la sagesse en pays akan. D’ailleurs, dans la mémoire collective, ils sont pour ce grand groupe ethnique des symboles de royauté ou de chefferie. Ainsi, cette femme et cet homme qui ont incarné le rôle de « chef » dans leur vie respective, méritent chacun à son niveau le statut de personnalité politique, culturelle et de personnage de la littérature et de cinéma. Mais si dans les synopsis des films Pokou princesse Ashanti (2013) et Dia Houphouët (2016), il y a des traces de l’histoire et d’une reconstitution culturelle du mythe des personnalités évoquées et des personnages éponymes, il est important de les relever à la suite d’une étude filmique. Quelle est la focalisation qui est faite dans le cinéma d’animation ? quelles ressemblance et dissemblance existent entre les personnes historiques et les personnages filmiques ?

C’est à l’aide des outils de la sémiotique, socio-sémiotique et de la recherche documentaire que cette étude se propose d’analyser le corpus des films d’animation, Pokou princesse Ashanti (2013) et Dia Houphouët (2016). S’appuyant sur une approche ternaire, il convient d’indiquer les trois axes sur lesquels repose l’argumentation de cet article. Ainsi, le premier aborde la question du mythe comme l’illustration d’une notion philosophique. Cette partie traite des personnages qui expriment symboliquement des idées. Quant au second, il présente la création cinématographique comme le lieu de rencontre des récits mythiques et historiques. Pendant que le troisième porte sur la manière dont les personnages Pokou et Houphouët sont représentés au cinéma.

  1. Le(s) mythe(s) de la révolte et de la sagesse africaine

Le mythe a plusieurs acceptions qui fondent toute sa complexité. S’appuyant sur les réflexions des ethnologues, Ano-N’Guessan déduit que « le mythe est une réalité culturelle extrêmement complexe, qui peut être abordée et interprétée dans des perspectives multiples et complémentaires » (1991, p. 14). D’ailleurs, ce terme ne saurait revêtir une seule définition susceptible de faire l’unanimité, en raison de l’ambivalence du concept plurivoque qui a évolué d’un point de vue diachronique. Cependant, l’on pourrait s’intéresser à un de ses nombreux aspects, en l’occurrence à l’aspect philosophique.

Si l’on s’en tient à l’étymologie, la philosophie comme le mythe est née en Grèce, c’est-à-dire dans une société antique gouvernée par des prêtes qui croyaient profondément au surnaturel. Au cours de l’existence humaine, l’homme ou la femme tend vers des idéaux qu’il/elle ne pourra jamais atteindre dans en totalité. Le bonheur et la liberté en sont des exemples. Car ces deux concepts philosophiques relèvent aussi du mythe. Ainsi pour parvenir à la liberté, l’homme doit mener sa propre révolte. Et pour atteindre le bonheur, la femme doit faire le sacrifice ultime que lui recommande la sagesse. Régnier définissait le mythe comme la meilleure illustration d’une notion. Par exemple, dans le traitement symboliste de la mythologie Gréco-latine, le Zeus grec ou le Jupiter romain symbolise la toute-puissance.

En Afrique, la toute-puissance est aussi exprimée par le truchement du mythe. Généralement, le pouvoir est concentré chez une seule personne, il s’agit du chef. Pour illustrer ce propos, il y a chez le peuple soninké le mythe de Kaya Maghan (roi de l’or) qui symbolise l’être suprême, c’est-à-dire un personnage hors du commun à travers lequel les forces cosmiques se manifestent pour produire dans sa totalité un sujet omnipotent. Dans ces circonstances, le mythe, disait P. Albouy, permet d’« exprimer symboliquement des idées » (2012, p. 118). C’est dans cette optique qu’au nom de la reine Pokou sont attachés les éthos de la révolte et le sacrifice, et à celui Houphouët-Boigny s’attache les idées les éthos de pacifiste et de sage. Pour T. R. Boa, les idées de révolte et de sagesse de l’Homme « peuvent nous servir de fil conducteur (…) » (2009, p. 27).

Ainsi, Pokou et Houphouët-Boigny sont deux personnages qui expriment des idées. Autrement dit, pourquoi le premier président de la république de Côte d’Ivoire Félix Houphouët-Boigny fait-il penser à la reine Abla Pokou, fondatrice du peuple baoulé ?

  1. Parcours génératifs de deux « chefs » traditionnels akan-baoulé ou destin croisé

Il est important de rappeler brièvement qu’à l’origine le peuple akan est composé de plusieurs sous-ensembles[1], au titre desquels figurent les baoulé. Ces derniers, sur le plan cultuel, sont essentiellement partisans de l’animisme. Les baoulé sont subdivisés en plusieurs catégories[2]. Sur le plan culturel ils célèbrent la fête de l’igname, d’ailleurs comme tous les Akan forestiers. En revanche, les lagunaires quant à eux, célèbrent la fête des générations.

En ce qui concerne l’histoire de Pokou et Houphouët-Boigny, il faut s’appuyer sur quelques ressorts du passé pour excaver les reliques susceptibles d’éclairer en amont l’analyse des productions filmiques. À cet effet, P-H. Siriex[3] a pu sauver de l’oubli des détails importants sur la vie du président Houphouët-Boigny, lorsque celui-ci n’était qu’un enfant. Pour P-H. Siriex (1986, p. 13) : « À la mémoire de Kouassi N,Go, chef des Akoués, l’oncle maternel de Félix Houphouët-Boigny. À cet oncle, un enfant de cinq ans avait été appelé à succéder ». Ainsi, à la vie et à l’engagement de ce jeune chef de clan destiné à être plus tard un homme politique, puis un chef d’État, on pourrait associer cette réplique que P. Corneille (1637, p. 20), fait dire à Rodrigue : « Je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années ». Comme pour insister sur le fait que les dons innés n’ont pas besoin d’attendre la maturité de celui qui les possèdes pour se révéler.

La chefferie est très développée en pays akan, notamment chez le peuple baoulé. En effet, chaque canton compte au moins un chef qui administre son territoire, tout en veillant au strict respect des us et coutumes. Cependant, il existe un ordre de désignation qui traduit l’organisation du peuple baoulé au niveau de la succession du chef de canton. Et c’est ce que confirme P-H. Siriex (1986, p. 33), quand il affirme que la chefferie est réservée à des familles en ces termes : « Avec la mort de son frère unique, Félix Houphouët rentrait dans ses droits de chef du groupe traditionnel Akoué. La force des circonstances obligeait l’Administration à respecter l’ordre de succession de la chefferie ». Ainsi, le médecin devenait chef de canton.

Quant à Pokou, À l’évidence l’histoire du peuple baoulé est directement rattachée à l’acte symbolique de cette reine. À cet effet, à partir des années 1900, l’ethnographe et administrateur colonial Maurice Delafosse a rapporté par écrit l’histoire de la reine des baoulé. Car, le récit de Pokou fait partie de l’anthologie des sources orales africaines. Mais au fil du temps, ce personnage a fini par être l’objet de plusieurs œuvres littéraires. D’ailleurs, des écrivains tels que Bernard Dadié et Véronique Tadjo ont abordé le sacrifice au cœur de la naissance du peuple baoulé dont la véritable chef demeure à ce jour la reine Abla Pokou.

Le concept de chef est transversal, car il se retrouve dans les espaces clés de la vie sociale, notamment dans les domaines sportifs (chef d’équipe ou capitaine), religieux (chef religieux ou autorité) et politiques (chef de l’État ou président). De plus, ce concept subsume des notions comme commandant, dirigeant, etc. Mais loin d’être un despote, le ‘’vrai’’ chef est cette personne à la fois responsable et rassembleuse qui concilie des positions tranchées.

Dans une perspective de modélisation, le cinéma d’animation se réapproprie certains personnages qui ont marqué la vie culturelle et politique en Afrique de l’Ouest. Au cinéma, l’archétype du chef est représenté de diverses manières. Ainsi, dans les films d’animation 2d/3d du studio de production AfrikaToon, il y a un regard qui est porté sur les personnages Abla Pokou et Houphouët-Boigny. Il faut noter que ce sont des figures emblématiques de l’ethnie baoulé, donc du grand groupe akan. D’ailleurs, M’bra-Ekanza (2015, p. 419) soutient que la chefferie en pays Akan prend sa source dans le cadre familial.

Dans l’optique d’informer, d’éduquer et distraire, AfrikaToon s’est efforcé de réutiliser le mythe du chef Akan pour montrer comment le pouvoir de type ancien ou nouveau s’appuie sur des symboles. En effet, M’bra-Ekanza (2015, p.419) écrit, en citant Rattray sur la base de la séquence évolutionniste : famille-clan-tribu-nation :

« La famille [est] à la fois la base et le modèle de toutes les organisations sociales ultérieures, y compris la chefferie et l’Etat. Ainsi pour lui, l’autorité politique dériverait de l’autorité familiale » (2015, p. 419). Cependant, il faut préciser que la famille n’est pas le seul lieu symbolique où l’autorité du chef se construit. De la figure mythique Abla Pokou au personnage historique Félix Houphouët-Boigny, sous quel angle AfrikaToon représente ces personnages ? À partir de la culture Baoulé comment se construit le mythe autour du chef ?

  1. La révolte de la reine Abla Pokou

La révolte de la reine Abla Pokou est différente de celle de « titanisme » qu’évoque P. Albouy (2002, p. 143). En effet, les trois grandes figures de révolte que sont Lucifer, Caïn et Prométhée se sont rebellées au nom de ce monde terrestre et de l’homme auquel ils étaient tous attachés. Ces derniers ont osé se dresser contre Dieu et les dieux pour satisfaire leur égo. Pourtant, la reine Pokou laisse éclater sa révolte contre l’usurpation, la malice et le chaos. Dans le fond, ce serait une révolte salutaire au nom de la justice et de l’équité, puisqu’elle s’insurge contre un usurpateur belliqueux qui suscite le désordre au sein du royaume Ashanti.

Suite au décès de sa majesté Osei Tutu, le roi Opokou Warê lui succède et devient le chef du peuple Ashanti. Il a auprès de lui, une femme comme conseillère, il s’agit de la princesse Pokou, sœur du roi. Celle-ci est opposée à la guerre, par voie de conséquence, elle constitue un obstacle pour le belliqueux et malicieux Kongouê Bian. Ce dernier, dans sa quête effrénée du pouvoir, tente un coup d’Etat contre l’héritier légitime qu’il réussit à éliminer. Dans son recueil de légendes et poèmes africains, B. B. Dadié, écrit en ces termes :

Il y a longtemps, très longtemps vivait, au bord d’une lagune calme, une tribu paisible de nos frères. Ses jeunes hommes étaient très nombreux et nobles et courageux. Ses femmes étaient belles et joyeuses. Et leur reine, la reine Pokou, était la plus belle parmi les plus belles. Un jour, les ennemis vinrent nombreux comme des magnans. Il fallut quitter les paillotes, les plantations, la lagune poissonneuse, laisser les filets, tout abandonner pour fuir (Dadié, 2002, p. 183).

La révolte devient un mythe au moment où elle est irréalisable, parce que le mythe est un projet mort-né, en ce sens qu’il est une ambition nourrie éternellement. Il faut indiquer avec C. Carlier et Griton-Rotterdam que « le mot mythe peut désigner, dans les raccourcis de la langue actuelle, une illusion collective » (2014, p.13). D’ailleurs, comme le précise Albouy : « Les mythes, enfin, symbolisent des idées morales et philosophiques ; les dieux sont des allégories ; les néo-platoniciens ont donné à ce système les proportions et les perspectives les plus vastes » (2002, p. 36). Dans la révolte de la reine Pokou, le mythe possède une fonction étiologique, ce qui sous-entend qu’il fournit des explications sur les raisons qui ont poussé son peuple à prendre le chemin de l’exode. En dehors de cette migration, le mythe revient sur les origines onomastiques du peuple Baoulé. Abla Pokou est aussi un mythe de fondation qui met à nu les mécanismes de fonctionnement du pouvoir politique fondé sur le matrilignage.

  1. La sagesse du président Félix Houphouët-Boigny

Quand le cinéma d’animation se propose de réexploiter des figures mythiques Akans, il ne s’arrête pas en si bon chemin. Car, le mythe de la révolte cède la place au mythe de la sagesse, en réactivant l’un des thèmes du personnage historique Félix Houphouët-Boigny.

Le père fondateur de la Côte d’Ivoire moderne, le président Félix Houphouët-Boigny a su être un artisan de la paix. En effet, à partir de 1960, ce président de la république est parvenu à se positionner comme une figure centralisant toutes les ethnies et même au-delà d’elles, parce qu’il cristallise la fierté de la nation au détriment du clan et de la tribu. En 1946, il a créé avec ses amis de lutte syndicale et politique, le rassemblement démocratique africain (RDA) à Bamako au Mali. Au titre des actes posés par celui que la mémoire collective a désigné comme apôtre de la paix, il y a la construction de la Basilique Notre Dame de la Paix, la fondation Félix Houphouët-Boigny pour la recherche de la paix et surtout son discours social qui prônent en permanence la paix.

Pour montrer l’autre facette du père fondateur de la Côte d’Ivoire, l’historien P. Kipré affirme qu’il est aussi un révolutionnaire, en ces termes : « Félix Houphouët-Boigny est l’un des députés africains les plus actifs au Parlement français. Il obtient la suppression des travaux forcés » (1992, p. 94) par la loi du 11 avril 1946, portant son nom. D’ailleurs, la loi Houphouët-Boigny provoque l’indignation et suscite la colère des colons (États généraux de la colonisation avec Jean Rose) qui s’opposent à l’émancipation rapide des colonies. Toujours au sujet du président Félix Houphouët-Boigny et pour conclure son ouvrage biographique sur ce personnage d’État, P-H. Siriex (1986, p. 400) affirme : « Du courage, bien sûr, il en fallait, et aucun détracteur de bonne foi n’a osé le nier ». Par ailleurs, il poursuit sa conclusion, en ajoutant une citation de Paul Valéry : « Les mythes sont les âmes de nos actions et de nos amours » (1986, p. 400). Le mythe pour celui que beaucoup d’ivoiriens appelaient Nanan[4] est cet idéal de paix tant recherché.

À partir de cette rétrospection, il faut d’ores et déjà tenir compte de l’évolution du personnage historique, avant de l’observer sous l’angle littéraire ou cinématographique. Après sa première victoire sur l’administration coloniale, l’opposant Félix Houphouët-Boigny crée avec ses amis de lutte en octobre 1946, le Rassemblement Démocratique Africain dans lequel le « PDCI soutient la voie de la lutte radicale » (1992, p. 95), comme le souligne Kipré. Cependant à la suite des incidents de 1947 et 1949, où il y a eu la répression sanglante dans les villes de Séguéla, Bouaflé,Dimbokro et Abengourou, Houphouët fait le choix du dialogue. Une fois que le climat d’apaisement a été recouvré, il obtient en tant que député : le code de travail (1954) qui réglemente les conditions du travail des salariés africains ; la loi sur l’extension de communes (1955) ; en 1956, avec la Loi-cadre, la Côte d’Ivoire comme les autres colonies françaises, connaît une nouvelle évolution politique. La lutte politique conduit inéluctablement vers la proclamation de l’indépendance le 7 août 1960.

Les parcours génératifs de ces deux figures mythiques montrent d’abord, qu’ils sont des chefs. Ensuite, qu’ils sont présentés comme des personnages de révolte. Mais les représentations filmiques du studio de production AfrikaToon, s’effectuent sous l’angle de la sagesse, qualité indispensable d’un bon chef. Dans cette partie, il s’est agi d’effectuer un regard croisé entre ces deux figures historiques qui sont par la suite devenues des personnages de films d’animation.

  1. L’histoire et le mythe au cœur de la création cinématographique

L’histoire et le mythe s’imbriquent si bien dans le cadre de la création cinématographique, qu’ils donnent l’impression d’être des termes connexes. Ils ont en commun le récit et le passé, parce que l’histoire relate scientifiquement le récit des faits passés. Tandis que le mythe use de fantaisie pour exprimer symboliquement une conception du monde qui prend sa racine dans les temps immémoriaux. À l’image du récit dont R. Barthes (1981, p. 7) fait remarquer l’omniprésence, en ces termes : « le récit est là, comme la vie ». Le mythe aussi se retrouve partout même dans l’histoire du monde et des peuples.

Outre le fait que tout récit mythique déforme la réalité pour embellir l’histoire des dieux et des héros dont il grossit les traits, le mythe possède quelque chose d’exact. Bien sûr la définition du mythe est aux antipodes de celle de l’histoire puisque le mythe fait appel au merveilleux et au surnaturel, tandis que l’histoire étudie les faits passés d’un point de vue objectif et sans exagération. Toutefois il existe entre eux un lien établi par C. Carlier et Griton-Rotterdam, c’est la préférence pour les récits anciens. Les mythes qu’ils soient religieux, historiographiques ou politiques sont passés pour la plupart au tamis de l’histoire.

Naissante de Clio[5], l’histoire elle-même tire ses origines dans le mythe grec. Dans ce contexte toute autre histoire devant celle de la création peut paraître anodine, si elle n’a pas de rapport direct avec le fonctionnement du monde actuel. En outre, ce rapport entre l’histoire et le mythe illustre magistralement le procédé du clair-obscur au cinéma. Après la seconde guerre mondiale, le cinéma à été qualifié de dixième muse par Jean Cocteau en référence aux neufs Muses qui présidaient aux arts dans la Grèce antique. Il va sans dire que la rencontre du mythe avec le cinéma constitue un moment charnière pour cet art du spectacle. Le poète-cinéaste reconnait à partir de cet instant que le mythe est placé du côté de l’éternité, ce qui a entrainé ipso facto sa réutilisation ou son recyclage. Le cinéma a rejoint ainsi la cause du mythe pour trouver en ce dernier un souffle nouveau, car « le mythe a une fonction dynamogène comme l’a montré Joseph Paré, lorsqu’il a abordé la question de l’esthétique de la réutilisation » (K. F. Kouakou 2021, p. 10).

C’est la dégénérescence que le cinéma cherchait à éviter lorsqu’en tant qu’art, il s’est évertué des décennies après sa naissance à croiser le chemin de cette forme primitive de langage. Aujourd’hui le rapport est clairement affiché entre cette forme de langage qu’est le mythe et l’art de réaliser des films. En effet, le cinéma a la capacité de s’autosaisir pour revisiter des mythes à partir des textes littéraires de base. Cependant, il produit également de nouveaux mythes sans l’aval, ni du folklore, ni de la littérature. Mais dans le premier cas comme dans le second, il y a de façon indéniable mystification du récit cinématographique.

  1. Analyse sémiotique du corpus de films d’animation

La sémiotique est au cœur des études romanesques et filmiques parce que les mots et les images sont utilisés pour dire des choses. En ce qui concerne la production cinématographique d’AfrikaToon, elle retrace en partie des parcours et rend le témoignage des actions posées par des personnages à la fois mythiques et historiques, comme la reine Pokou et le président Houphouët-Boigny. Ainsi l’objectif que la sémiotique vise, c’est de remplacer ou de représenter des actions par des mots et des images expressives.

Dans le cinéma d’animation, les actants, les costumes, les décors, l’espace et le temps constituent un ensemble d’éléments inséparables dont l’étude s’effectue à l’aune de l’approche qui examine la construction de sens dans l’œuvre. Ainsi, l’approche sémiotique permet d’étudier comment se construit le sens dans l’œuvre quelle qu’elle soit. Pour la sémiotique : « toute assertion consiste en la mise en relation d’un sujet et d’un objet » (A. Hénault 1983, p. 46). L’approche sémiotique s’intéresse surtout à la corrélation des signes dans un même ensemble. Cette thèse est aussi celle que défend J. Courtès (1991, p. 38), lorsqu’il affirme : « En linguistique et, plus largement, en sémiotique le problème du rapport (…) semble aujourd’hui se poser globalement ». À partir de ce moment, il est important de procéder à l’identification de toutes les oppositions qui figurent dans les films. En somme, l’analyse sémiotique du corpus de films d’animation permet de constater que le sens naît de l’opposition.

  1. La représentation manichéenne du héros/antihéros

Le carré sémiotique décrit mieux la relation entre le héros et son antagoniste notoire. Le rapport entre ces deux actants est toujours d’ordre conflictuel. Par ailleurs, ce conflit ou du moins, cette opposition entraine une construction de sens autour des personnages principaux. Le carré sémiotique est composé de trois axes. Le premier axe est celui de la contradiction. Le second, c’est l’axe de l’implication, le dernier axe est celui de la contrariété.

De part et d’autre, il existe des deixis (négative et positive) qui sont positionnées aux extrémités gauche et droite du carré. Par ailleurs, dans le film d’animation Pokou princesse Ashanti, les relations entre les personnages s’inscrivent dans la dimension triadique. Donc, ne prenant en considération que l’histoire de Pokou, il faut noter que celle-ci se résume, au « niveau profond » (J. Courtès 1991, p.153), en termes de /stabilisation/ et de /déstabilisation.

  1. Illustration du niveau profond d’opposition par le carré sémiotique

Déstabilisation

Stabilisation

+

Dignité de Pokou

Abjection de Kongouè Bian

Pokou symbolise non seulement l’équilibre du royaume Ashanti et la continuité d’un ordre logique de succession. Mais encore elle symbolise la vie, parce que son action et sa noblesse donne naissance au peuple Baoulé dont le nom est profondément lié à l’amertume. Pourtant, cette vie du nouveau peuple est en lien avec le décès du fils unique de la princesse Pokou. D’ailleurs, l’expression Baoulé ‘’Ba-ouli’’ signifie en langue française que ‘’l’enfant est mort’’. C’est par cet acte de sacrifice que la princesse Pokou a été sacrée reine. Ainsi, l’exode du peuple qui a été conduit par la reine Pokou, et dont est issu Houphouët-Boigny, est considéré comme une forme de rupture qui récuse l’usurpation et l’autorité d’un pouvoir mal obtenu. D’ailleurs, comme l’indique R.A. Akakpo (2018, p. 93) : « A l’analyse, loin d’être une fuite, la décision d’exil semble être un acte de résistance et de refus de l’asservissement du roi ».

Conclusion

Considérant les objectifs des créations négro-africaines qui sont : « Revaloriser le Noir, sa culture et sa civilisation, revendiquer son droit à l’être et à la liberté, réécrire son histoire défigurée et volé, défendre les valeurs partagées par les Noirs » (K. C. Mabana, 2013, p. 18). Dans leur majorité, les films d’animation produits par AfrikaToon s’inscrivent dans « la conception senghorienne » de la civilisation de l’Universel, comme le précise Mabana (2013, p. 17). Chez Pokou et Houphouët-Boigny, il semble important de relever l’humanisme au regard des actions qu’ils ont eu à poser sur le plan politique.

Le chef symbolise la morale parce que dans l’imaginaire collectif, c’est un personnage vertueux et multidimensionnel qui ne commet pas d’acte répréhensible. Dans les films d’animation des réalisateurs Abel Kouamé et Kane souffle, les chefs akan-baoulé sont représentés sous des traits culturels typiquement africains. Par exemple, le pagne N’Zassa, le linceul blanc que les komian et les danseuses d’adjanou portent ; les pieds de cacao qui font références au champ, les cases et des arbustes qui suggèrent un village. Ce sont là autant d’éléments qui servent à singulariser la production filmographique du studio AfrikaToon.

Concernant le mythe culturel, il naît aussi de la répétition de certains thèmes dont la résurgence du propos fait penser systématiquement au locuteur originel. Cette hypothèse est confirmée dans la mesure où le nom de Félix Houphouët-Boigny, est attaché à la paix dans l’ensemble des représentations de ce chef d’État. Au terme de l’analyse socio-sémiotique, il convient de faire les observations suivantes : le cinéma d’animation est un moyen de faire revivre des légendes et même d’exploiter à nouveau des figures à la fois mythiques et historiques. Aussi faut-il ajouter qu’à l’ère de la mondialisation, la culture est la voie royale par laquelle l’Afrique doit s’ouvrir au monde qui est déjà dominé par la technologie et autre.

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    1. Chez les Akan, il faut distinguer deux sous-ensembles, les Akan forestiers (Abron, Agni,Baoulé), et les Akan lagunaires (Abbey,Abouré,Adjoukrou,Aïzi,Akyé, Alladian, Avikam,Ebrié, M,Batto, etc) .
    2. Les Baoulé se subdivisent en une variété de tribus (Faafoué, Warébo, Aïtou,Agba, Ayaou, Ahali, Kodè, Nzikpli, Satikran, Soundo, Ngban, Saafoué, Nanafoué, Élomouen, Akoué). Comme les autres Akan, l’organisation sociale de ce peuple situé au centre de la Côte d’Ivoire donne plus d’importance à la succession matrilinéaire.
    3. Paul-Henri Siriex (1908-2003) est une personne ressources, de par les fonctions qu’il a eu à occuper : journaliste ; chef du service de presse du général de Gaulle à Londres ; gouverneur de la France d’outre-mer.
    4. « Nanan », terme d’affection filiale, et aussi d’hommage chez les chefs traditionnels. C’est comme cela que les populations appelaient affectivement le premier Président de la république de Côte d’Ivoire. Cf. P-H. Siriex.
    5. Dans la mythologie gréco-romaine, il existait des déesses des arts et de l’inspiration poétique appelées « Muses ». Elles étaient au nombre de neuf, toutes jumelles parce que tous les arts sont égaux. Filles de Zeus et Mnémosyne (déesse de la mémoire et du souvenir), elles ont hérité sur le mont Olympe de la mémoire de leur mère, et c’est pourquoi les artistes inspirés par elles sont des êtres de mémoire. Les neufs Muses qui présidaient aux arts étaient : Clio (histoire et beauté), dans l’histoire il y a des vestiges composés d’ossements et d’outils, mais surtout d’œuvres d’art. Calliope (éloquence et poésie épique), Erato (élégie), Euterpe (musique), Terpsichore (danse), Melpomène (tragédie), Polymnie (poésie lyrique) Thalie (comédie), Uranie (astrologie et astronomie). C’est la somme de tous ces arts dont le cinéma s’était servi à ses débuts et se sert encore aujourd’hui pour exister. Et, c’est la raison pour laquelle le cinéma est considéré par André Bazin comme « impur ».