Infundibulum Scientific

LES COUPLES MIXTES : MIROIR OU MOUROIR DES LANGUES GABONAISES ?

Danielle Patricia MINKO MI NGUI
Enseignante-Chercheure
Université Omar Bongo, GRELACO.

Résumé

Selon une idée répandue, les couples mixtes seraient des lieux où se meurent les langues minoritaires. La présente contribution portant sur la transmission des langues gabonaises dans les familles linguistiquement mixtes permettra de trouver une ébauche de confirmation en ce qui concerne ces langues. Le but de cette contribution est de savoir si les langues gabonaises sont transmises des parents aux enfants, si les enfants issus de ces couples les parlent ou ils n’ont pour unique moyen de communication que le français ; qui est la langue officielle, langue de scolarisation, langue véhiculaire des gabonais ne partageant pas le même groupe ethnolinguistique. Ce travail est inscrit dans le large champ de la sociolinguistique, plus précisément dans la sociolinguistique de la transmission des langues. Aussi, une enquête par entretien semi-directif auprès de 23 couples linguistiquement mixtes (12 couples exogames endogènes et 11 couples exogames exogènes) a été réalisée dans les différents quartiers de Libreville. L’analyse des données de cette enquête a permis de relever que les couples mixtes ne sont pas seulement des lieux où se meurent les langues gabonaises. Ils peuvent aussi être des endroits où certaines de ces langues subsistent.
Mots clés : Transmission, langues gabonaises, couples linguistiquement mixtes, miroir, mouroir.

Mixed couples: mirror or death of the Gabonese languages?

Abstract

A common assumption is that mixed couples are places where minority languages are dying. The present contribution on the transmission of Gabonese languages in mixed-language families will produce a draft of confirmation of these languages. The aim of this contribution is to know if the children from these couples speak these languages or they have French as their only means of communication, the vehicular language of Gabonese, who do not share the same ethnolinguistic group. This work is part of the broad field of sociolinguistics, more precisely in the sociolinguistics of language transmission. A survey by semi-structured interviews with 23 mixed-language couples (12 endogenous exogamous couples and 11 exogenous exogamous couples) was carried out in the different districts of the collected data revealed that mixed couples are not only places where Gabonese languages are dying. They can also be places where some of these languages subsist.
Keywords: Transmission, Gabonese languages, mixed-language couples, mirror, hospice.

Parejas mixtas: ¿reflejo o asilo de las lenguas gabonesas?

Resumen

Conforme a una idea popular, las parejas mixtas constituirían lugares donde compiten las lenguas minoritarias. Esta contribución sobre la transmisión de lenguas gabonesas dentro de las familias que experimentan una diversidad lingüística, nos permitirá encontrar un esbozo de confirmación en lo tocante a dichas lenguas. El propósito aquí consiste en saber si las lenguas gabonesas resultan transmitidas de padres a hijos, si los niños procedentes de parejas mixtas practican dichas lenguas o solo consideran a la lengua francesa como único medio de comunicación. Cabe recordar que la lengua francesa constituye la lengua oficial del país (Gabón), empleada en el sistema escolar y que facilita la comunicación entre gaboneses de etnias diferentes. El presente trabajo científico es del amplio campo de la sociolingüística, precisamente en el ámbito de la transmisión de lenguas. Por eso, hemos entrevistado desde una perspectiva semi directiva, cerca de 23 (veintitrés) parejas lingüísticamente mixtas (12 parejas exógamas endógenas y 11 parejas exógamas exógenas) en los diferentes barrios de Libreville. El análisis de los datos de esta encuesta ha permitido notar que las parejas mixtas constituyen espacios donde no solo compiten las lenguas gabonesas, sino también sobreviven unas de ellas.
Palabras clave: Transmisión, Lenguas gabonesas, Parejas lingüísticamente mixtas, Reflejo, Asilo.

Introduction

L’expression couples linguistiquement mixtes rassemble ici deux types de foyers exogames : le foyer exogame endogène et le foyer exogame exogène. (1) Le foyer exogame endogène ; est l’union de deux Gabonais de langues différentes. C’est le cas d’un couple composé d’un locuteur fang et d’un locuteur yipunu et (2) le foyer exogame exogène est l’union d’un gabonais et d’un migrant (cas ici), ou bien celle de deux migrants de pays différents vivant au Gabon. Dans ce type de foyer, il y a non seulement la langue mais aussi la culture qui peut les différencier. Le terme exogame exogène serait donc plus approprié pour définir la distance non seulement linguistique mais aussi « raciale » et/ou culturelle entre les conjoints. Les foyers exogames endogènes font face uniquement à une diversité linguistique donc aux aspects micro-culturels (relative au groupe ethnique). Par contre, les foyers exogames exogènes renvoient aussi bien à une différence de langue qu’à une différence macro-culturelle (relative au pays, au continent).

La langue permet de véhiculer un certain nombre de valeurs telles que les us et coutumes. Elle est un élément d’identification des groupes ethnolinguistiques au sein d’une population donnée. Transmettre les langues aux enfants permet ainsi d’inculquer des valeurs endogènes et authentiques à ceux-ci et par la même occasion lutter contre leur disparition.

Les langues en général et les langues gabonaises en particulier participent d’une identité culturelle d’un peuple. Les langues gabonaises sont le signe extérieur d’appartenance à un groupe ethnolinguistique; elles demeurent le premier vecteur de communication et d’appartenance à un groupe défini. En conséquence, la cellule familiale s’impose comme le lieu naturel par excellence pour la transmission des langues. Aussi, Poirier (1994, p. 327) soutient ce propos en énonçant que : « la famille représente encore aujourd’hui le premier lieu d’apprentissage de la langue et d’acquisition de la culture ». Et, les parents garants de la cellule familiale, ont donc le devoir de perpétuer leur langue et la culture dont elle est le véhicule en la transmettant à leurs enfants, qui à leur tour feront autant avec leur progéniture future.

Les langues gabonaises appartiennent pour la grande majorité à la famille Bantu. A côté de ces langues, on reconnait l’existence du parler baka (situé à Minvoul dans la province du Woleu-Ntem), seulement puisqu’il est très peu étudié, reste donc mal connu. Maho (2006) a répertorié plus d’une cinquantaine de langues gabonaises toutes incluses dans les zones A, B et H. Ces langues font partie des groupes : A30, A70, A80, B10, B20, B30, B40, B50, B60, B70, H10. Le Gabon est donc comme l’énonce Minko Mi Ngui (2015, p. 182) un :

État plurilingue, où seul le français héritage colonial a le statut de langue officielle, des institutions, de l’administration, de scolarisation, etc. au détriment de la cinquantaine de langue que compte ce pays. Sans omettre que dans les faits, au Gabon, le français est finalement la langue véhiculaire et la langue de première acquisition de certains enfants.

Parlant des langues gabonaises, on constate malheureusement comme le dit Soumaho (2019, p. 32) : « que nombreuses d’entre elles sont en voie de disparition du fait, en partie, de leur non utilisation et non transmission par les parents aux enfants ». Partant de ce constat, les couples linguistiquement mixtes sont-ils un reflet ou un mouroir des langues gabonaises. Autrement dit, les langues gabonaises sont-elles transmises à l’enfant dans les couples linguistiquement hétérogènes à Libreville ?

Partant de cette hypothèse Platiel 1988 et Deprez 1989 ayant étudié les couples migrants linguistiquement mixtes, ont observé que ces couples transmettent le moins la langue minoritaire aux enfants. Dans le cadre de cette étude, la langue minoritaire étant la langue gabonaise, nous postulons qu’à Libreville, les conjoints gabonais des couples mixtes ne transmettent pas leur langue aux enfants, que ceux-ci n’ont que le français comme unique moyen d’échange.

L’objectif ici est donc de questionner les conjoints des couples linguistiquement mixtes afin de savoir si les langues gabonaises y sont transmises ou non transmise aux enfants. Pour ce faire, cette contribution s’articule autour de deux axes. D’abord, la présentation des cadres théorique et méthodologique, ensuite l’analyse sociolinguistique des données de l’enquête.

  1. Cadres théorique et méthodologique
    1. Cadre théorique

Cette contribution cherche à savoir si les langues gabonaises sont transmises des parents aux enfants dans les couples linguistiquement mixtes. Ainsi, elle s’inscrit dans le cadre théorique de la sociolinguistique de la transmission des langues.

Nous postulons, qu’une langue peut être considérée comme transmise, dès lors que les personnes l’ayant apprise la retransmettent à leur tour à leurs enfants. Autrement dit, une langue est transmise lorsqu’elle est parlée aux enfants et que ceux-ci la parlent.

Les termes transmission et transmettre selon Lahire (1995, p. 275-276) « renvoient souvent à l’idée d’une reproduction à l’identique (“modèle à imiter”) d’une disposition (ou d’un schème) mentale et font plutôt penser à des situations formelles d’enseignement où un savoir est explicitement en jeu. (…) [P]arler de “transmission” c’est concevoir l’action unilatérale d’un destinateur vers un destinataire, alors que le destinataire contribue toujours à construire le “message” qui est censé lui être “transmis” ».

Notons que la transmission linguistique n’est pas un fait ponctuel mais selon Barontini (2014, p.55) : « il s’agit d’un processus s’inscrivant dans la durée. Une dimension temporelle qui n’est pas pour autant linéaire puisque dans le cadre de ce processus dynamique, rien n’est donné d’avance ». Et, s’il y a bien une « part de continuité », s’y ajoute aussi « une part d’innovation, de construction à l’origine même du changement social » énonce Filhon (2009, p. 90).

Ainsi, avons-nous fait le constat lors de notre enquête que le processus de transmission peut être spécifique à chaque couple et même à chaque membre d’une même famille. Les parents étant les seuls garants des choix linguistiques familiaux.

1.2. Cadre méthodologique

Notre enquête par entretiens semi-directifs s’est déroulée dans le courant du mois de février 2021. Elle a consisté à aller sur le terrain et recueillir par enregistrement des éléments de réponses à nos interrogations, à savoir : (1) les langues gabonaises sont-elles transmises aux enfants dans les couples linguistiquement mixtes ; (2) les enfants issus de ces couples parlent-ils les langues (gabonaises) de leurs parents. En d’autres termes, n’est-ce pas la langue française qui émerge au milieu de cette hétérogénéité linguistique ? Signalons que, lors de cette enquête nous avons choisi d’interroger les couples, donc les parents uniquement, simplement parce qu’ils sont les premiers garants de la transmission de la langue au sein de la cellule familiale.

Le questionnaire[1] (annexes) élaboré nous a servi de guide d’entretien, lequel a permis de recueillir des renseignements personnel et linguistique sur les informateurs. L’enquête a eu lieu à Libreville[2]. Une pré-enquête a consisté à arpenter les différents quartiers de la capitale gabonaise pour repérer les couples linguistiquement mixtes. Ce qui fait que le choix des quartiers est aléatoire, le but étant d’avoir des couples mixtes à interroger. Durant cette étape, avons-nous pu répertorier 23 couples mixtes dont l’âge du plus jeune était compris entre 26-30 ans et celui du plus âgé, entre 55-58 ans. L’enquête proprement dite a consisté à repartir chez les couples mixtes répertoriés, nous entretenir avec eux et enregistrer leurs propos à l’aide de téléphones portables et de bloc-notes.

1.2.1 Présentation des résultats d’enquête

Signalons que les 23 couples mixtes ayant participé à notre enquête sont de deux types : 1) 12 couples exogames endogènes et 2) 11 couples exogames exogènes. Nous présentons dans le tableau 1 (annexes), les résultats de l’enquête.

2. Analyse des données de l’enquête

L’analyse porte sur les propos déclarés des conjoints. Les questions d’ordre biographiques portaient sur les données personnelles des enquêtés et les questions d’ordre linguistiques portaient sur leur transmission ou non de la langue gabonaise aux enfants. Notons que, la langue française est présente au sein de la cellule familiale de tous les couples interrogés.

2.1. Couples mixtes : miroir des langues gabonaises

Il s’agit ici de montrer que certains couples linguistiquement mixtes ayant fait l’objet de notre enquête sont : 1) le reflet du brassage des langues gabonaises, 2) le reflet de la circulation des langues (gabonaises et migrantes), 3) le reflet de la transmission des langues gabonaises.

2.1.1 Couples mixtes : reflet du brassage des langues gabonaises

Il ressort du tableau 2 (annexes) du brassage, de la multiplicité des langues existant dans les couples de notre échantillon. En effet, la lecture de ce tableau permet de voir que, des gabonais de groupes ethnolinguistiques différents se retrouvent pour former un couple : couple exogame endogène. Les langues gabonaises, au total dix (10) participant à cette mixité sont les suivants : fang A75, Gisir B41, Ikota B23, lembaama B62, Omyénè B10, Yilumbu B44, Yinzébi B52, Yipunu B43, Yisangu B42, Yivungu B403.

2.1.2 Couples mixtes : reflet de la circulation des langues

Aussi bien avons-nous observé un brassage des langues gabonaises différentes dans le tableau 2, dans le tableau 3 (annexes), nous repérons une circulation, une mobilité des langues gabonaises et celles venues d’ailleurs. Autrement dit, les gabonais avec leur hétérogénéité linguistique et des migrants avec leur langue, se retrouvent pour former un couple. En effet, des 23 couples linguistiquement mixtes interrogés, 11 d’entre eux représentent un miroir de circulation, de mobilité des langues. Ce qui fait que, les langues des pays de l’Afrique centrale (Cameroun, Centrafrique) et celles des pays ouest-africains (Benin, Burkina-Faso, Nigeria, Togo) sont présentes dans les familles mixtes gabonais.

Nous retrouvons dans ces couples mixtes appelés exogames exogènes[3], 1) les langues gabonaises : Fang (A75), Omyénè (A10), Yinzébi (B52), Yipunu (B43) : 2) les langues camerounaises : Bassa (langue du groupe Kwa), Medumba (langue Baméliké du groupe Grasfields), Ngumba, (langue du groupe Bantu); 3) une langue centrafricaine du groupe Oubanguien : Sango 4) les langues béninoises : Gun-gbe, du groupe Kwa et Yoruba, du groupe : Voltaico-nigériane ; 5) une langue burkinabés du groupe Voltaïque Gur : Moré ; 6) une langue togolaise du Groupe Kwa : Mina (gɛngbe) et 7) une langue nigériane : Igbo, du groupe Voltaico-nigériane.

En somme, les langues en présence dans ces couples exogames exogènes sont au nombre de 13 ; soit, 4 langues gabonaises et 9 langues de migrants.

2.1.3 Couples mixtes : reflet de la transmission des langues gabonaises

Le développement de cette partie a pour socle l’enquête administrée aux enquêtés : les langues gabonaises sont transmises des parents aux enfants dans les couples linguistiquement mixtes ? Il est articulé autour de deux points : 1) deux langues gabonaises sont transmises aux enfants, 2) une langue gabonaise est transmise aux enfants.

2.1.3.1 Les deux langues gabonaises transmises

La lecture des propos des couples interrogés indique que, 2 couples sur les 23 transmettent leur langue aux enfants. Notons que dans ces couples, la langue de l’échange entre parents est le français. Les déclarations de ces couples montrent qu’en plus de la langue française, les enfants parlent les deux langues présentes dans le cercle familial. Chacun des conjoints a donc su transmettre sa langue aux enfants, et ce depuis leur enfance.

Dans le couple Madoungou de langues gabonaises isango et yinzébi, les conjoints ont transmis chacun sa langue à leurs enfants. Leurs propos l’attestent : « Oui nos deux enfants parlent nos deux langues// » dit monsieur Madoungou ; et à madame de renchérir : « Bien sûr que oui /ils les parlent bien puisqu’on les leur parle depuis qu’ils sont petits ».

Si pour le couple Madoungou la transmission s’est faite par eux-mêmes, avec les conjoints Moundelet de langues gabonaises yilumbu et fang, alors qu’avec la mère, la transmission de la langue se fait directement d’elle aux enfants ; avec le père, la transmission s’est faite par personnes interposées. En effet, en ce qui concerne monsieur Moundelet, la famille, notamment les grands-parents des enfants, ont joué un rôle non négligeable dans le sens où ils ont participé à la transmission de leur langue à leurs petits-enfants. Voici le propos de monsieur Moundelet : « j’ai pu transmettre ma langue à mes enfants même si je n’étais pas souvent à la maison à cause de mon travail//Mon astuce était de faire partir mes enfants au village//toutes les vacances chez mes parents afin d’apprendre ma langue/ça a marché ils parlent bien/et je la parle maintenant tout le temps avec eux/ ». En effet, chef de famille étant souvent absent de la maison pour des raisons professionnelles, pour que ses enfants acquièrent la pratique de sa langue, la fréquence des séjours au village a bien sûr eu une importance. Et pour le maintien de celle-ci, monsieur Moundelet, l’utilise fréquemment dans ses échanges avec eux.

Pouvons-nous dire que dans ces deux couples, la méthode de transmission est celle que Grammont avait proposé à Ronjat (1913, p.3) pour son fils Louis : « que chaque langue soit représentée par une personne différente » et surtout qu’aucun des parents ne doit jamais « intervertir les rôles ». Autrement dit, la méthode ‘’une personne une langue’’ ou encore ‘’chaque personne sa langue’’.

2.1.3.2 Une langue gabonaise transmise

Des 23 couples enquêtes, 11 (8 couples exogames endogènes et 3 couples exogames exogènes) ont déclaré avoir transmis au moins une langue gabonaise aux enfants.

Pour ce qui est des couples exogames endogènes et selon les propos des conjoints, les enfants communiquent dans une des deux langues gabonaises en présence et non dans les deux, comme nous l’avons vu dans les couples précédemment étudiés. Ceux-ci parlent en sus du français, une langue gabonaise, qui est soit celle du père soit celle de la mère.

  1. La langue du père

La langue du père en plus du français qui est parlée par les enfants de 6 couples de notre échantillon : 3 couples exogames exogènes (Endamne, Ndong Mba, Nguende) et 3 couples exogames endogènes (Maganga Mihindou, Ollomo Akue, Omanda).

Il est constaté que dans les couples exogames exogènes le mode de transmission de la langue gabonaise diffère d’un couple à l’autre. Par exemple, dans le couple Ndong Mba, la mère de famille en plus du français et du sango (sa langue), parle aussi le fang, langue de son mari. La langue du conjoint maîtrisée par la femme, a été un fait déterminant dans le choix de la langue à transmettre aux enfants. En effet, madame Ndong Mba choisi de transmettre à ses enfants la langue du mari (le fang) au détriment du sango (sa langue). Elle l’explique : « parce que mon mari ne parle pas et ne comprend pas ma langue/c’est pour ça que j’ai choisi de parler aux enfants sa langue/(…)/et les enfants parlent bien et comprennent bien le fang ». Elle ajoute également qu’elle et son mari, trouvent cela normal de parler aux enfants une langue que tous les deux comprennent. : « (…) au moins même si les enfants ne parlent pas le sango/ils parlent au moins le fang en plus du français et ça renforce l’identité/l’unité de la famille puisque nous tous à la maison on parle cette langue ».

Ce couple linguistiquement mixte, de par sa composition (fang/sango), est dans la pratique monolingue en langue parentale. Et dans ce choix de pratique monolingue, c’est la langue gabonaise qui émerge.

Par contre, la même attitude ne s’observe pas dans d’autres couples. Par exemples dans les couples Endamne et Nguende, chacun des parents a su transmettre sa langue aux enfants, comme le déclare monsieur Endamne: « je parle ma langue à mes enfants à la maison/ma femme fait de même et cela marche puisque les cinq enfants même en parlant français/arrivent à parler nos deux langues/». Et à sa conjointe de renchérir : « En effet/tous nos enfants en plus du français/ parlent ma langue et celle de leur père/».

C’est également le cas de la famille Nguende, où la mère déclare : « nous parlons chacun sa langue à nos enfants//Et les résultats sont là/ils arrivent à parler les deux langues/ le fang et le bassa ». Et à son conjoint de rajouter : « Oui aucune de nos langues n’est perdue/ma femme et moi ont à nos deux enfants nos langues depuis leur petitesse//Ma femme voulait garder sa langue et moi aussi// Les enfants parlent le fang/ le bassa sans oublié le français//».

Cependant, travaillant sur la transmission des langues gabonaises dans les couples linguistiquement mixtes nous trouvons intéressant l’attitude linguistique du conjoint gabonais. Intéressant parce que, dans ces couples de personnes non seulement de langues mais aussi de pays différents, la langue gabonaise émerge, et par le père ; lorsque l’on sait que la transmission de la langue se fait majoritairement de la mère à l’enfant. Le père dans ces familles exogames endogènes montre qu’il est aussi possible que l’enfant acquiert la langue par l’homme. En effet, messieurs Endamne et Nguende ont transmis chacun sa langue à sa progéniture.

Monsieur Nguende, en plus de transmettre la langue gabonaise (fang) à ses enfants, transmet également l’histoire et la culture dont cette langue est le véhicule. Son propos aide à le comprendre : « je parle ma langue à mes enfants car/ je la considère comme sacrée// ce qui fait qu’en dehors de la simple communication/je la leur transmets aussi par des chants/que j’interprète en français si besoin il y’a//mais aussi par le biais des plats de chez moi/ des histoires de mon peuple// Et ils s’en sortent très bien ».

Le regard des déclarations des couples exogames endogènes : Maganga Mihindou, Ollomo Akué et Omanda donne à comprendre que, chacun des trois hommes communique avec leurs enfants dans leur langue ethnique. Si pour messieurs Maganga Mihindou et Ollo Akué la transmission s’est faite aidée de leurs conjointes, pour monsieur Omanda, en plus de sa femme, a également bénéficié de l’apport de sa famille : « (…)/j’ai eu le privilège d’être affecté dans ma région/et cela a été un avantage// Ce qui a permis leur apprentissage de ma langue/j’étais entouré de ma famille ».

Les femmes quant à elles, ont fait le choix conscient de transmettre aux enfants la langue du conjoint et de sacrifier la leur. Ces trois femmes s’étant appropriées la langue de leur conjoint ont choisi de la transmettre aux enfants : « (…) j’ai voulu transmettre le balumbu à nos enfants/(…) », « (…)// C’est la langue de mon mari que j’ai voulu transmettre à nos enfants », « (…)/ je leur parle le français et la langue de leur père (…) » respectivement mesdames Maganga Mihindou, Ollome Akué et Omanda. L’une de ces femmes, madame Omanda déclare ne ressentir aucune gêne à ne pas transmettre sa langue à ses enfants. L’essentiel pour elle étant que ces derniers « (…) en dehors du français/ils parlent une langue gabonaise/dans laquelle ils demeurent de très bons locuteurs ».

  1. Langue de la mère

Dans 5 des 23 couples linguistiquement mixtes, c’est la langue de la mère qui émerge, pour la simple raison qu’elle est le parent qui, interagit le plus dans celle-ci avec les enfants. En effet, 2 des 5 pères (Boulema et Ybouanga) emploient dans les échanges avec les enfants les deux langues de leur répertoire linguistique : le français et la langue gabonaise. Voici leurs propos : « je parle plus le français que ma langue à mes enfants/ce qui fait que // Ce qui fait qu’ils ne parlent pas ma langue/et ne la comprennent pas vraiment//Ils parlent celle de leur mère », et « Je parle le yipunu et surtout le français à mes enfants/mais ils me répondent en français ».

Au regard des déclarations ci-dessus, les enfants devraient normalement reproduire le comportement linguistique des pères : langue gabonaise-français. Mais, ils vont faire le choix d’interagir uniquement en français, car c’est la langue dominante lors de leurs échanges. Ce même choix de langue est constaté chez les enfants Boumbanga : « Je suis toujours dehors même le dimanche pour gagner de l’argent/pour nourrir ma famille // Et donc ma femme qui reste avec eux leur parle sa langue // mais quand je suis là/je leur parle le nzébi / rires / ils me répondent en français // Nos 3 enfants parlent la langue de leur mère et le français/ et pour moi là même pour comprendre c’est les problèmes ». Alors que le père passe la majeure partie de son temps hors du foyer, une fois rentré, il va échanger dans sa langue avec les enfants. Mais ceux-ci vont faire le choix de répondre en français.

Au regard de ce qui précède, nous avançons que le choix des enfants d’interagir dans la langue de Molière avec leur père au détriment de la langue gabonaise, est dû au fait que celle-ci n’est pas très usitée par celui qui en est le garant lors de leurs échanges. Ceux-ci se faisant majoritairement en français; la langue gabonaise n’est donc pas réellement comprise des enfants. Ces derniers n’ont de choix que de communiquer dans la langue dans laquelle ils sont capables de le faire : le français. Car, c’est dans cette langue qu’ils se sentent mieux pour interagir avec leur père, c’est dans cette langue qu’ils se sentent en sécurité linguistique.

Il ne faut pas perdre de vue qu’au Gabon, le français est la langue officielle, langue des institutions dont l’école; c’est donc cette langue que les enfants pratiquent le plus. Ceci est conforté par l’un des pères : « Euh / rires // et puis je comprends aussi qu’ils ne peuvent me répondre qu’en français / vu qu’ils ne parlent pas ma langue / la comprendre aussi c’est une autre paire de manches / rires // Ils vont parler le français puisqu’ils se sentent bien avec le français // Et puis il ne faut pas oublier que c’est la langue que ces enfants-là parlent plus et partout ».

Aussi, alors que 3 pères utilisent lors des échanges avec les enfants, les deux langues (langue gabonaise-français), 2 ont fait le choix de ne pas les transmettre à leurs enfants, préférant interagir avec eux en français uniquement. Ce sont messieurs Mboula et Moussa Koumba. Ils déclarent : « Non pas du tout//Je ne parle pas ma langue à mes enfants/le français oui// » et « Je ne parle pas du tout ma langue à mes enfants/ils parlent la langue de leur mère/parce qu’elle la leur parle tout le temps// Moi c’est le français ». Les raisons évoquées pour expliquer ce choix étant que : « (…) le français est plus facile//Et tout le monde le parle » selon monsieur Mboula et parce que les enfants « parlent la langue de leur mère c’est déjà ça non! » propos tenus par monsieur Moussa Koumba.

Suite à ces propos, comprenons-nous aisément que monsieur Mboula favorise dans la pratique avec sa descendance, le français, une langue de large diffusion au détriment de sa langue limitée à « l’usage domestique » Minko Mi Ngui (2008, p. 3). Et pour monsieur Moussa Koumba, le fait que les enfants interagissent déjà dans une des langues présentes dans la cellule familiale est suffisant et ne lui contraint nullement à partager la sienne avec eux.

Ainsi, les enfants n’ont pas le choix que d’adopter dans leurs échanges avec le père, le même code linguistique que celui-ci : le français. Nous relevons simplement que, le choix de la langue de l’échange avec le père s’impose aux enfants. Nous voyons que le statut de la langue française au Gabon influence le comportement linguistique du père.

En effet, dans ces 5 couples, c’est la langue de la mère qui émerge, parce que chacune de ces femmes joue son rôle de gardienne de sa langue au sein de la cellule familiale. Leur propos aide à le comprendre :

Mme Boulema : « Etant femme au foyer/j’ai appris à mes enfants à parler ma langue depuis leur jeune âge/ce qui fait que mes 5 enfants parlent ma langue et pas celle de leur père//puisque que lui c’est en français qu’il parle avec eux ».

Mme Moussa Koumba : « Moi je leur parle ma langue tous les jours//Et ils la parlent en plus du français »/.

Mme Ybouanga : « avec mes enfants je parle le fang et ils le parlent aussi avec moi et avec leurs grands-parents/parce que de temps en temps/ils vont en vacances chez eux ».

De par leurs déclarations, nous constatons que la mère reste le parent qui fait émerger au moins une des deux langues gabonaises présentes au sein du couple exogame endogène. Fort heureusement encore, sinon, les enfants issus de ces couples parleraient uniquement français. Madame Boumbanga vient conforter notre propos en déclarant que : « Mes enfants parlent bien ma langue et le français// Je leur parle kota depuis qu’ils sont petits et comme le papa est toujours dehors/au lieu de seulement parler le français/ils parlent aussi au moins une langue gabonaise ».

Alors que pour madame Mboula : « Je parle à mes enfants en plus du français ma langue gisir//Puisque mon mari leur parle seulement le français//Il faut qu’ils s’identifient à une langue du Gabon quand même//Ils ne sont pas français non//». En effet, celle-ci va plus loin en parlant d’identité. Vu que son conjoint communique uniquement en français avec les enfants, elle va leur transmettre en plus du français, la langue gabonaise. Pour que ceux-ci aient une identité linguistique qui renvoie au pays dont ils sont originaires, une identité qui leur est propre.

2.2 Couples mixtes : mouroir des langues gabonaises

Concernant les couples mixtes comme mouroir des langues gabonaises, il y’a ici que ces langues n’apparaissent plus dans ce schéma où le fang et le yinzébi, le yipunu et le gun-gbe, le fang et le mina (gɛngbe), le yipunu et le igbo, etc. se retrouvent et la langue qui émerge est soit la langue du conjoint migrant, soit la langue française. En effet, dans 10 couples mixtes sur les 23 enquêtés, aucune langue gabonaise n’émerge. La lecture des propos déclarés par les conjoints, montre que les enfants issus de ces couples sont victimes de l’attitude linguistique de leurs parents d’origine gabonaise. Ce constat est renforcé par Dalgalian (2007, p. 24) qui avance que :

L’attitude des parents à l’égard des langues se traduit presque toujours, chez les enfants qui en héritent, par un grossissement : positif, les attitudes parentales disposent l’enfant à l’ouverture et à la curiosité ; négatif, elles débouchent sur le rejet et l’exclusion. La caricature suprême étant l’exclusion de soi-même ! Ce qui n’est ni si rare dans le cas d’enfants de migrants, de couples mixtes ou de minorités linguistiques.

Autrement dit, si dans ces 10 couples la langue gabonaise n’a pas pu émerger, le comportement linguistique du parent gabonais en est la cause.

2.2.1 La langue émergente du conjoint migrant

Des 23 couples linguistiquement mixtes enquêtés, 4 sont concernés. Ce sont tous des couples exogames exogènes: (1) Mabika Kombila, (2) Momo Kama, (3) Ondo et (4) Ugochukwu.

Il ressort, à la lecture des propos déclarés de ces 4 couples que, c’est le parent gabonais qui ne transmet pas sa langue à sa descendance. Ce manque de continuité est dû au fait que :

1) il y a parmi ces parents gabonais, ceux qui ne maîtrisent pas leur langue. C’est le cas de monsieur Mabika Kombila de langue yipunu qui déclare : « Je ne parle pas ma langue à mes enfants/ne connaissant pas moi-même grand-chose d’elle//Alors le français a toujours été notre langue de communication ». Certainement, par crainte de parler ou de transmettre une langue approximative aux enfants, il fait le choix de leur parler celle qu’il connait le mieux, celle dans laquelle il se sent en sécurité linguistique. Alors que sa compagne (migrante camerounaise de langue medumba) qui, parlant bien sa langue, va la transmettre à sa progéniture dans le souci de sauvegarde et de continuité de son patrimoine linguistique. Son propos aide à le comprendre : « Moi-même je ne parle que ma langue/ et le français seulement si c’est nécessaire// Je ne vois pas pourquoi le français sera leur seule langue //(…) »;

2) il y a également le fait que, dans les échanges avec les enfants, le conjoint gabonais emploie majoritairement le français au détriment de la langue gabonaise. Cas de madame Momo Kama, qui parle simultanément la langue gabonaise et la langue française à ses enfants. Mais dans cet échange, c’est le français qui est majoritaire : « oui je parle ma langue à mes enfants mais surtout le français//Mais ils me répondent en français//(…) ». Alors, pour s’adresser à leur mère, les enfants vont opter pour la langue majoritairement employée dans leurs échanges : le français.

De son côté, monsieur Momo Kama comme Madame Mabika Kombila pense à léguer une identité linguistique à ses enfants et il n’est pas question que celle-ci disparaisse car c’est leur héritage commun. Il déclare : « je parle à mes enfants plus ma langue que le français/eux aussi parlent plus ma langue que le français// Ce sont mes enfants alors il faut qu’ils puissent s’identifier et ma langue/leur langue ne doit pas disparaître »;

3) il y a enfin que, le conjoint gabonais ne transmet pas la langue gabonaise à ses enfants sans raison apparente. C’est le cas de monsieur Ondo : « Avec mes enfants on ne parle que le français » et de madame Ugochukwu : « rire /moi je leur parle seulement le français/et avec moi ils parlent aussi le français//(…) ». Elle confirme ensuite l’attitude linguistique de son époux d’avec les enfants en disant : « (…) Ils parlent bien la langue de leur père puisque leur père leur parle toujours en igbo ». Et à lui-même de dire : « Mes enfants comme moi parlent le igbo/je ne permets pas qu’ils parlent français avec moi ».

Nous constatons dans le propos de monsieur Ugochukwu que c’est une obligation, une contrainte pour les enfants de parler l’igbo dans les échanges avec lui. Il ne leur permet pas un échange en français avec lui. Madame Ondo communique avec ses enfants exclusivement en langue mina (gɛngbe) depuis son pays d’origine, 6 ans après son arrivée au Gabon, la langue de l’échange avec ceux-ci n’a pas toujours changé: « je leur parle seulement en mina depuis le Togo/parce qu’on a d’abord tous vécu au Togo//Nous sommes ici seulement depuis 6 ans/je continue toujours à parler mina avec eux//Le français c’est avec leur père ».

Le comportement linguistique de monsieur Ondo n’a pas changé non plus. Vu que, 6 ans après leur installation au Gabon, aucun effort de transmission de la langue gabonaise (fang) à sa descendance n’a été consentit.

2.2.2 Le français, un liant dans les couples mixtes

Il s’agit de 6 couples linguistiquement mixtes dans lesquels, le français est la langue unificatrice pour les membres de la maisonnée. Parmi ces 6 couples, il y a: 2 couples exogames endogènes (Allogo Mezui et Edang) et 4 couples exogames exogènes (Boussamba, Essono Bibang, Moukagni et Ganiyou).

Dans les 2 couples exogames endogènes aucun des parents, pourtant tous de nationalité gabonaise, n’interagit dans sa langue avec les enfants, préférant utiliser le français. Leurs propos aident à l’appréhender : « je parle uniquement le français aux enfants », « je parle à mes enfants rien qu’en français ». Ce qui fait que les enfants en retour ne parlent aucune des langues de leurs parents.

Dans les 4 couples exogames exogènes, 3 des conjoints gabonais sont des hommes. Nous signalons dans ces 3 couples, une absence de production en langue gabonaise entre le père et l’enfant, le français étant un liant dans leurs interactions. Nous soutenons ce propos en nous référant aux déclarations suivantes : « je ne parle pas ma langue aux enfants » (M. Boussamba), « je ne parle pas ma langue aux enfants/juste le français/ma femme non plus//Ce qui fait que les enfants ne parlent pas ma langue ni celle de leur mère » (Essono Bibang) ou encore « moi c’est le français » (M. Moukagni).

L’enfant étant un parfait imitateur, son comportement linguistique ne sera que le reflet de celui de son père. Monsieur Boussamba nous conforte dans cette idée lorsqu’il déclare que : «je parle uniquement le français aux enfants//ce qui fait que les enfants ne parlent pas ma langue ni celle de leur mère ». Nous notons aussi dans ces 3 couples exogames, une absence de pratiques de la langue du parent migrant: les femmes, n’interagissent pas dans leur langue d’origine avec leurs enfants.

Au sujet du couple Ganiyou, la femme qui est d’origine gabonaise ne parle sa langue à ses enfants que, lors des admonestes : « je leur parle beaucoup en français/et ils ne parlent que français//Mais lorsque je parle le nzébi c’est que je suis fâchée/alors là je mélange avec le français et ils ne comprennent même pas ce que je dis//Mais ils savent que je suis fâchée ».

Si l’on retient ce qui précède, on ne peut pas dire que, les enfants comprennent la langue de leur mère, son utilisation n’intervenant que dans une circonstance particulière : la réprimande.

Au demeurant, nous pouvons avancer sans risque de nous tromper que, dans ces 6 couples exogames exogènes, la langue du parent migrant n’est non plus transmise aux enfants. En fait, bien que ces couples soient linguistiquement mixtes, ils restent monolingues dans les interactions familiales.

Conclusion

Les couples mixtes sont des couples au sein desquels cohabitent des langues différentes. Les 23 couples linguistiquement mixtes qui ont fait l’objet de cette étude sont de deux types : (1) 12 couples exogames endogènes et (2) 11 couples exogames exogènes. L’analyse des données de l’enquête a relevé que :

1. Les couples mixtes exogames (endogènes et exogènes) sont avant tout le reflet du brassage et de la circulation des langues. En effet, notre échantillon montre que, les gabonais de langues différentes (fang-lemaama, yilumbu-ivungu, yipunu-yinzébi, etc.) se retrouvent pour former un couple. Nous avons aussi les couples mixtes, symbole de mobilité linguistique, où les gabonais et les migrants (omyénè-sango, yipunu-moré, fang-ngumba, etc.) avec leurs dissimilitudes linguistiques se mettent ensemble ;

2. 13 couples sur 23, c’est-à-dire plus de la moitié, transmettent les langues gabonaises à leurs enfants. Parmi ces 13 couples, seulement 2 transmettent aux enfants, les deux langues gabonaises présentes dans la cellule familiale, alors que la grande majorité : 11 couples, transmettent une des 2 langues gabonaises en présence aux enfants.

3. Sur 23 couples linguistiquement mixtes, 10 ne transmettent pas du tout les langues gabonaises aux enfants. Nous avons reparti ces couples comme suit : 4 couples dans lesquels c’est la langue du parent migrant qui est transmise et donc qui émerge. Et 6 couples dans lesquels c’est exclusivement la langue française qui est transmise aux enfants.

De ce qui précède, les résultats de l’analyse des données nous autorisent à avancer que, les couples linguistiquement mixtes peuvent, être aussi bien des lieux de transmission, de perpétuation des langues gabonaises ; que des mouroirs, des lieux de perdition de ces mêmes langues pour les enfants. Ces résultats permettent de relever que : 13 couples sur 23 transmettent au moins une langue gabonaise aux enfants. Alors que dans les 10 couples restant aucune des langues gabonaises n’a émergé. Ces couples peuvent donc être considérés tels un cimetière, un lieu de perdition, un mouroir des langues gabonaises. En fait, tout dépend du comportement linguistique adopté soit, par les deux parents, soit par l’un des parents vis-à-vis de sa langue, et surtout de l’importance accordée à celle-ci.

Au demeurant, tout enfant devrait parler la ou les langues de ses parents. Et chacun des parents gabonais ou migrant, se doit de transmettre sa langue à ses enfants pour la survie de celle-ci. Disons avec Minko Mi Ngui (2020, p.75) que :

Les langues en général, et les langues gabonaises en particulier, sont le vecteur par excellence d’unification et d’identification des peuples, ainsi que de transmission des valeurs qui leur sont propres. Il faut pour cela qu’elles soient pratiquées par les enfants. Le cercle familial étant le premier lieu de socialisation de l’enfant, les parents se doivent de pratiquer leur langue à leur progéniture.

Car, comme l’énonce Serres (2018, p. 55) : « Un pays qui perd sa langue perd sa culture ; un pays qui perd sa culture perd son identité ; un pays qui perd son identité n’existe plus. C’est la plus grande catastrophe qui puisse lui arriver ». Nous faisons nôtre ce propos, en l’adaptant au contexte de notre étude, nous disons : un enfant qui ne parle pas sa langue ne peut pas connaitre la culture dont elle est le véhicule ; un enfant qui ne connait pas sa culture n’a pas d’identité ; un enfant qui n’a pas d’identité n’a pas de repères.

Références Bibliographiques

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DEPREZ Christine (1989). Le plurilinguisme des enfants à Paris. Revue Européenne des Migrations Internationales n° 5, 2 www.persee.fr/issue/remi 0765-0752_1989_num_5_2 : 71-87, consulté le 20-11-2021.

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MINKO MI NGUI Danielle Patricia (2008). Pratiques langagières d’enfants gabonais à Libreville. Quel(s) type(s) de bilinguisme ? Thèse de doctorat. Université de Rouen.

MINKO MI NGUI Danielle Patricia (2015). « Les pratiques langagières déclarées des immigrés sénégalais de la 2ème génération à Libreville », Humanités gabonaises n°6, 177-215.

MINKO MI NGUI Danielle Patricia (2020). « Pratique de la langue gabonaise par les enfants de 5 à 6 ans à Libreville », Humanités gabonaises n°10, 73-101.

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SERRES Michel (2018). Défense de la langue française aujourd’hui. Le pommier : Paris

SOUMAHO Prisca (2019). « TIC et apprentissage informel des langues gabonaises, points de vue des apprenants d’un collège de Libreville », Synergies Afrique des Grands Lacs n°8, 31-43.

ANNEXES

Tableau 1 : Caractéristiques des couples

Les couples exogames endogènes
Nom de couples et langue(s) parlée(s) en plus du françaisNombre et âge des enfantsLangue gabonaise déclarée transmise aux enfantsLangue gabonaise déclarée parlée par les enfants

Allogo Mezui

– père : Fang

– mère : Lembaama

4 enfants: 19, 15, 12 et 8 ans.– Aucune– Aucune

Boulema

– père : Yinzébi

– mère : Fang

5 enfants : 22, 19, 17, 14 et 7 ans.

– Yinzébi

– Fang

– Fang (langue de la mère)

Boumbanga

– père : Yinzébi

– mère : Ikota

3 enfants : 10, 7 et 4 ans

– Yinzébi

– Ikota

– Ikota (langue de la mère)

Edang

– père : Fang

– mère : Gisir

2 enfants : 8 et 4 ans– Aucune– Aucune

Madoungou

– père : Isango

– mère : Yinzébi

2 enfants : 19 et 17 ans

– Isango

– Yinzébi

– Yisango

– Yinzébi

Maganga Mihindou

– père : Yilumbu

– mère : Yivungu,

Yilumbu

4 enfants : 13, 10, 8 et 6 ans

– Yilumbu

– Yvungu

– Yilumbu (langue du père transmise par la mère)

Mboula

– père : Omyénè

– mère : Gisir

4 enfants : 21, 19, 17 et 13 ans

– Omynénè

– Gisir

– Gisir (langue de la mère)

Moundelet

– père : Yilumbu

– mère : Fang

8 enfants : 18 16 14 12 10, 8, 6 et 4 ans

– Yilumbu

– Fang

– Yilumbu

– Fang

Moussa Koumba

– père : Yipunu

– mère : Yinzébi

3 enfants : 13, 11 et 7 ans– yinzébi– yinzébi (langue de la mère)

Ollomo Akue

– père : Fang

– mère : Lembaama,

Fang

7 ans 24, 22, 20, 18, 14, 10 et 7 ans– Fang– Fang (langue du père transmise par la mère)

Omanda

– père : Omyénè

– mère : Yinzébi,

Omyénè

2 enfants : 18 et 15 ans– Omyénè– Omyénè (langue du père transmise par la mère)

Ybouanga

– père : Yipunu

– mère : Fang

4 enfants : 18, 15, 13 et 8 ans

– Yipunu

– Fang

– Fang (langue de la mère)
Les couples exogames exogènes

Bibang

– père : Fang

– mère : Ngumba

3 enfants : 8, 6 et 3 ans– aucune– aucune

Bussamba

– père : Yipunu

– mère : Gun-gbe

3 enfants : 10, 7 et 4 ans– aucune– aucune

Endamne

– père : Omyénè

– mère : Sango

5 enfants : 26, 22, 20, 16 et 12 ans– Omyénè– Omyénè

Ganiyou

– père : Yoruba

-mère : Yinzébi

2 enfants : 18 et 16 ans– Yinzébi– aucune

Mabika Kombila

– père : Yipunu

– mère : Medumba

3 enfants : 22, 17 et 11 ans– aucune– aucune

Momo Kama

– père : Sango

– mère : Fang

5 enfants : 17, 14, 8, 5 ans et un bébé de 8 mois– aucune– aucune

Moukagni

– père : Yipunu

– mère : Moré

3 enfants : 15, 10 et 5 ans– aucune– aucune

Ndong Mba

– père : Fang

– mère : Sango

7 enfants : 22, 19, 17, 15, 12, 10, et 7ans

– Fang

– Fang

– Fang (langue du père transmise par la mère)

Nguende

– père : Fang

– mère : Bassa

2 enfants : 21 et 16 ans– Fang– Fang

Ondo

– père : Fang

– mère : Mina (Gɛngbe)

4 enfants : 20, 19, 17, 13 et 11 ans– aucune– aucune

Ugochukwu

– père : Igbo

– mère : Yipunu

3 enfants : 19, 5 et 4 ans– aucune– aucune

Source : Données de terrain, Danielle Patricia Minko Mi Ngui, 2021

Tableau 2 : les langues en présence dans les couples exogames endogènes

12 couplesLangues en présence
Allogo MezuiFang (A75) /Lembaama(B62)
BoulemaYinzébi (B52) /fang (A75)
BoumbangaYinzebi (B52) /Ikota (B23)
EdangFang (A75) /Gisir (B41)
MadoungouYisangu(B42) /Yinzebi (B52)
Maganga MihoudouYilumbu(B44) /Yivungu (B403)
MboulaOmyénè (B10) /Gisir (B41)
MoundeletYilumbu (B44) /Fang (A75)
Moussa KoumbaYipunu (B43) /Yinzebi (B52)
Ollomo AkueFang (A75) /Lembaama (B62)
OmandaOmyénè (B10) /Yinzébi (B52)
YbouangaYipunu (B43) /Fang (A75)

Source : Données de terrain, Danielle Patricia Minko Mi Ngui, 2021

Tableau 3 : langues en présence dans les couples exogames exogènes

11 CouplesLangues en présence
BibangFang (A75) /Ngumba (Cameroun)
BussambaYipunu(B43)/guu-gbe (Benin)
EdamneOmyénè(A10) / Sango (Centrafrique)
GaniyouYoruba (Bénin) / Yinzébi(B52)
Mabika KombilaYipunu /Medumba (Cameroun)
Momo KamaSango (Centrafrique)/Fang (A75)
MoukagniYipunu (B43)/Moré (Burkina-Faso)
Ndong MbaFang (A75) /Sango (Centrafrique)
NguendeFang (A75) / Bassa (Cameroun)
OndoFang (A75) /Mina (Gɛngbe, Togo)
UgochukwuIgbo (Nigeria)/Yipunu (B43)

Source : Données de terrain, Danielle Patricia Minko Mi Ngui, 2021

QUESTIONNAIRE

  1. Questions biographiques

Nom et prénom :

Age :

Sexe :

Niveau scolaire :

Profession :

Nationalité :

Date d’arrivée au Gabon :

Origine ethnique :

Nombre d’enfants :

Age des enfants :

  1. Questions sur les pratiques linguistiques

Dans quelle(s) langue(s) avez-vous appris à parler ?

Quelle(s) langue(s) parlez-vous ?

A la maison, parlez-vous votre langue à vos enfants ?

Quelle est la première langue dans laquelle ils ont appris à parler ?

Quelle(s) langue(s) parlez-vous le plus à vos enfants ?

Pourquoi ?

Quelle(s) langue(s) parlent vos enfants ?

Quelle(s) langue(s) parlent-ils le plus avez-vous ?

Ont-ils des préférences par rapport à une des langues présentes dans la maison ?

    1. Le questionnaire est élaboré sur deux points : 1) questions sur les données biographiques des enquêtés et 2) questions sur les pratiques linguistiques des couples dans la cellule familiale.
    2. L’enquête a eu lieu à Libreville. Dans les quartiers : Bas de Guégué, Charbonnages, Derrière l’école normale, Derrière la prison, Glass, Lalala à gauche, Louis, Montalier, Nzeng-Ayong (Dragages), Okala, Owendo, Plein-Ciel, PK7, PK11, PK13, Rio, Sorbonne.
    3. Signalons que, la classification des langues étrangères des couples exogames exogènes de notre corpus a été faite à partir des informations extraites de l’ouvrage de Greenberg (1963, p. 8).