Infundibulum Scientific

L’ESPAGNE, UNE CROISSANCE ÉCONOMIQUE EN TROMPE L’ŒIL (1999-2008)

Kouadio Stéphane-Yannick KONAN
Doctorant
Université Alassane Ouattara
Département d’Espagnol
Bouaké-Côte d’Ivoire

Résumé

Cet article porte sur l’histoire de l’économie espagnole de 1999-2008 en s’intéressant particulièrement à sa croissance au cours de cette période. L’étude met en relief d’abord, l’impact de l’intégration de l’Espagne dans la zone euro. Ensuite, elle met l’accent sur les secteurs qui ont contribué à cette croissance économique passagère, la crise économique et financière de 2008 due à une déficience structurelle.

Mots-clés : Espagne, zone euro, croissance économique, problème structurel, Crise économique

España, un engañoso crecimiento económico (1999-2008)

Resumen

Este artículo trata de la historia económica española de 1999-2008 con especial atención a su crecimiento durante ese período. El estudio destaca, en primer lugar, el impacto de la integración de España en el euro. En segundo lugar, hace hincapié en los sectores que han contribuido a este crecimiento económico transitorio, la crisis económica y financiera de 2008 debida a una deficiencia estructural.

Palabras clave: España, zona euro, crecimiento económico, problema estructural, crisis económica

Spain, an illusory economic growth (1999-2008)

Abstract

This article focuses on the history of the Spanish economy from 1999-2008 with a particular focus on its growth over this period. The study first highlights the impact of Spain’s integration into the euro area. Second, it focuses on the sectors that contributed to this temporary economic growth, the 2008 economic and financial crisis due to structural deficiencies.

Keywords: Spain, Eurozone, economic growth, structural problem, economic crisis

Introduction

L’Espagne est un pays dont l’histoire politique, économique et sociale a été marquée par de nombreuses crises. Ces différentes crises ont retardé son évolution économique et sociale en comparaison à certains pays européens. Ce retard économique est la conséquence de son modèle économique adopté en 1939. Les autorités politiques d’alors, les franquistes considérés comme un régime totalitaire, développèrent une politique économique autarcique qui les tenait, par conséquent, loin des échanges marchands avec les autres pays européens. Parallèlement à cela, les pays européens s’organisèrent afin de créer une organisation économique régionale qui vit le jour en 1957, dénommée la Communauté Économique Européenne (CEE)[1]. Cette organisation, fondée sur les sceaux des principes démocratiques et de droit de l’Homme, valida l’entrée de l’Espagne qu’en 1986, c’est-à-dire après la fin du régime franquiste et la mort de son leader Francisco Franco en 1975. Cet évènement posait les bases d’une Espagne démocratique, matérialisé par l’adoption d’une nouvelle Constitution en 1978.

Dès lors, l’Espagne entama un processus d’intégration économique dans les organisations régionales. L’enjeu de cette intégration était de rattraper son retard économique et social sur ses voisins européens. En 1992, les pays de la Communauté Économique Européenne, devenus Union Européenne (UE), établirent le Traité de Maastricht portant organisation et conditions d’adhésion à une zone monétaire unique. Après avoir respecté les critères de convergences fixés antérieurement, l’Espagne intégra l’Union Économique et Monétaire (UEM) en 1999. Cela permit d’instaurer une monnaie unique, à savoir l’euro.

Une fois dans l’UEM, l’Espagne va pouvoir redorer son blason économique et social. La croissance du PIB espagnol en euro a été importante et a favorisé l’augmentation du pouvoir d’achat des entreprises et des ménages espagnols. L’économie de l’Espagne connaitra alors une forte croissance, mais financé depuis l’extérieur. Et comme l’Espagne appartenait à une zone monétaire forte et que la politique monétaire des grandes banques centrales du monde, à savoir la Réserve Fédérale, la Banque Centrale Européenne, la Banque d’Angleterre et la Banque du Japon étaient permissives, l’endettement a augmenté de façon exponentielle, au niveau international et national, de 2000 à 2007 (B. Terrados et J-P. Torres, 2009, p. 12).

Au cours de cette période, l’attractivité de l’Espagne favorisa un flux migratoire important qui servit de main-d’œuvre au pays. Aussi, l’abondance de liquidité engendra la formation d’une bulle immobilière qui soutenait la croissance économique du pays. Cependant, la contraction du crédit au niveau international à partir de 2008 eu un impact sur sa croissance économique. Le rationnement du crédit au niveau international a remis en cause les politiques économiques adoptées par l’Espagne et l’a replongé dans son passé peu reluisant.

L’objectif de cette analyse est de mettre en relief les problèmes structurels de l’économie espagnole qui ont provoqué la crise économique de 2008. Pour mieux appréhender cette recherche, les questions suivantes nous serviront de boussole tout au long de l’exposé. Quel fut le modèle économique adopté par l’Espagne au cours de sa phase de croissance ? Quel impact l’intégration à l’Union Économique et Monétaire a eu sur sa croissance ? Quels ont été les secteurs d’activités qui ont impulsés la croissance économique espagnole ?

Á partir d’une approche historique, économique et statistique nous examinerons la structure économique de l’Espagne. Il s’agira dans ce travail d’aborder d’abord l’intégration de l’Espagne dans l’Union Économique et Monétaire. Ensuite, indiquer la singularité de la croissance économique espagnole d’avant 2008 et enfin mettre en relief, le Changement du cycle économique en 2008.

  1. L’intégration de l’Espagne dans l’Union Économique et Monétaire

L’Espagne intégra l’Union Économique et Monétaire (UEM) en 1999, grâce aux respects des critères de convergences fixés par le traité de Maastricht. Par ailleurs, la mise en marche de l’Union Monétaire impliquait une feuille de route préétablie, qui servit de boussole à tous les pays membres. Il s’agissait, en premier lieu, de supprimer les barrières internes à la libre circulation des biens, des personnes et des capitaux. En second lieu, ce fut la création d’un nouveau mécanisme de change pour réglementer les relations monétaires entre les pays de la zone euro et les autres pays de l’Union Européenne (UE). Et enfin le Conseil Européen décida de l’approbation du Pacte de Stabilité et de Croissance dont l’objectif était de garantir la discipline budgétaire des pays de la zone monétaire.

Les différents mécanismes adoptés aboutirent à la création de la Banque Centrale Européenne (BCE). Cette nouvelle institution financière avait pour objectif de diriger la politique monétaire unique de la zone Euro. Á cet effet, en 2001, conformément à ses prérogatives, la BCE stimula l’activité économique de sa zone par une politique monétaire expansive. Cette politique monétaire consistait à baisser ses taux directeurs. En outre, la politique monétaire établie par la Banque Centrale Européenne était en réaction à la crise technologique survenue aux États-Unis et qui affectait le marché financier international d’une part, et de faciliter la transition à l’euro, d’autre part (R. Tamames, 2009, p. 68).

De façon factuelle, la baisse des taux directeurs de la part de la BCE eut des effets notables sur les pays du sud de l’Europe. En effet, les pays tels que l’Espagne, la Grèce, le Portugal ont contracté d’énormes dettes notamment dans le secteur privé afin de booster la demande interne. Dans le cas spécifique de l’Espagne, cette baisse des taux directeurs permit aux banques commerciales espagnoles d’octroyer des crédits aussi bien aux ménages qu’aux entreprises à des taux d’intérêts bas. Aussi, l’intégration dans la nouvelle zone monétaire permit, à la fois de redresser et d’assainir ses finances publiques et de connaitre une croissance soutenue.

Mais, l’intégration à l’Union Économique et Monétaire se conçut de telle sorte qu’il n’incluait pas les mécanismes de correction des déséquilibres extérieurs d’une part, et favorisait le financement des pays déficitaires d’autre part. À l’entrée de l’Espagne dans l’Union, celle-ci était déficitaire puisque ces importations étaient supérieures aux exportations. Par conséquent, l’appartenance de l’Espagne à l’UEM favorisa une croissance incontrôlée de son déficit commercial et parallèlement provoca une entrée de capital extérieur illimitée qui augmenta considérablement sa dette externe (R, De Arriba, 2015, p.71).

  1. La singularité de la croissance économique espagnole

Le facteur clé du cycle de croissance de l’économie espagnole fut son intégration dans la zone euro. Son entrée dans ladite zone a stimulé les investissements directs étrangers. Par ailleurs, les taux d’intérêts bas fixés par la BCE ont stimulé l’activité des entreprises et des ménages. Au cours de la période 2000-2007, le taux de croissance de l’Espagne était supérieur au taux moyen des pays de l’Union Européenne. La croissance économique de l’Espagne est perceptible à travers le tableau suivant.

Tableau I : Taux de croissance (%) du PIB espagnol.

 20002001200220032004200520062007
Espagne+ 5+ 3,6+ 2,7+ 3,1+ 3,3+ 3,6+ 4+ 3,6
UE (27)+ 3,9+ 2+ 1,3+ 1,4+ 2,5+ 2+ 3,2+ 3

Source : Rapport d’information de la commission des affaires européennes sur la crise européenne et financière en Espagne.

Le facteur explicatif de cette croissance se trouve dans la politique économique adopté par le pays. Il s’agissait d’une stratégie basée sur les bulles financières et donc alimentée par l’endettement. En effet, l’Espagne considérée comme un pays périphérique comme les autres pays du sud de l’Europe bénéficiait de l’afflux de capitaux provenant du nord de l’Europe notamment de l’Allemagne et de la France.

Par ailleurs, la politique monétaire expansive[2] de la BCE déterminée par la baisse des taux directeurs a facilité un accès au crédit dans ladite zone. En Espagne, cela a favorisé aussi bien l’endettement des ménages, des entreprises que des Communautés Autonomes. L’endettement des ménages espagnols est dû à plusieurs facteurs. Le facteur économique était la stagnation salariale des citoyens espagnols. En effet, l’absence d’évolution au niveau de leurs revenus a poussé ces derniers à financer leur consommation par le crédit. Le second facteur, de nature sociale, s’imbrique au premier. L’aspiration à posséder un logement fait partie de la culture espagnole, ainsi la facilité d’octroi du crédit a conforté une telle option. Cet état de fait a poussé les espagnols à acquérir un logement, ce qui parallèlement a dynamisé la demande sur le marché de l’immobilier. Le taux d’endettement des ménages espagnols était estimé à 84% du PIB, pourcentage le plus élevé de la zone monétaire (J. Sapir, 2008, p. 99). À ce propos Plihon et Rey (2011) indiquent :

Les ménages ont augmenté fortement leurs dépenses depuis 2001. Comme leur pouvoir d’achat a stagné, ils ont financé ce surplus de dépenses par une baisse de leur taux d’épargne et par une importante hausse de leur taux d’endettement qui a doublé, passant de 65% à 130% de leur revenu disponible […] Les ménages ont bénéficié de prêts hypothécaires, à taux variables, parmi les plus avantageux d’Europe. En termes réels, compte tenu de l’inflation, les taux d’intérêts hypothécaires étaient pratiquement nuls au début des années 2000 (p. 68).

Vu la forte demande interne au niveau de l’immobilier, plusieurs entreprises se créèrent afin d’investir dans l’immobilier. Les taux directeurs bon marché, des banques commerciales, constituaient une aubaine pour ces entreprises. Le taux d’endettement des entreprises espagnoles s’estimait à 104% du PIB en 2006. Ce pourcentage à l’image de celui des ménages était le plus élevé de la zone monétaire. Cependant, la majeure partie des créations d’entreprises à caractère semi-privé et para public était l’œuvre des Communautés Autonomes.

L’endettement des Communautés Autonomes et des collectivités espagnoles est dû en grande partie à la structure administrative complexe. L’Espagne est composée d’un pouvoir central qui représente l’État et des pouvoirs décentralisés qui relèvent des Communautés Autonomes et les collectivités locales. Par ailleurs, le système de répartition du budget régi constitutionnellement par l’article 157, établit l’endettement comme possible recours de financement des Communautés Autonomes. L’article 157, paragraphe 1 prévoit que : « Les ressources des Communautés Autonomes seront constituées par : (…) le produit des opérations de crédit  ».[3]

Le processus de décentralisation des politiques publiques entre les différentes administrations et niveaux de gouvernement a provoqué un important transfert de compétences accordées aux Communautés Autonomes, lesquels exigeaient un nouveau système de recettes pour faire face à leurs nouvelles obligations. En cohérence avec la Constitution, la Loi Organique de Financement des Communautés Autonomes (LOFCA) 8/1980 du 22 septembre venait renforcer cette mesure en donnant la possibilité aux Communautés Autonomes de pouvoir s’endetter tant à court terme qu’à long terme. En outre, de nouvelles dispositions octroyèrent aux régions de nouvelles compétences[4].

Cette nouvelle mesure des transferts des compétences permit à certaines régions espagnoles d’être autonomes dans les secteurs de la santé et de l’éducation. Ces secteurs, autrefois à la charge de l’État central, constituaient une source de conflit entre les deux entités. Ce nouveau transfert de compétences généra beaucoup de dépenses de la part des Communautés Autonomes et engendra une dynamique d’endettement de la part de ces derniers. Aussi, les facteurs tels que l’augmentation de la population due en partie à l’immigration, le vieillissement de la population ont augmenté les besoins en santé et en éducation.

De ce qui précède, il convient de souligner que les charges des différentes régions augmentaient, mais les revenus s’avéraient insuffisants. Alors, les Communautés Autonomes se sont senties contraintes de s’endetter afin de satisfaire au mieux les besoins de leurs administrés. Cette logique d’endettement de la part des régions participait au développement économique du pays, d’autant puisqu’elle permettait la création d’emplois. En effet, les ressources provenant de l’État central étaient jugées insuffisantes. Celles-ci vont créer des entreprises, à caractère semi-publiques, semi-privé et des fondations, pour échapper au contrôle budgétaire. Ces agissements étaient faits pour contourner la législation européenne du traité de Maastricht. Cette norme indiquait que le déficit de l’ensemble du secteur public ne devait être supérieur à 3%. Mais les régions étant sous l’emprise des partis politiques, la création d’entreprise leur était profitable dans la mesure où elles leur permettaient de faire des promesses électorales et de donner de l’emploi à des collaborateurs politiques, à la famille et aux amis sans contrôle parlementaire (A. Recarte, 2010, p. 205).

L’accès au crédit facile contribua à la création d’un environnement spéculatif. Cette dérégulation financière favorisa par ricochet la création d’une bulle immobilière.

    1. La spéculation immobilière

L’essor de l’immobilier en Espagne répondait à trois logiques, à savoir, politique, économique, et démographique. De prime abord, la raison politique est l’adoption de la Ley del suelo[5]. Cette loi modifiant les précédentes législations relatives au droit foncier précise dans les dispositions générales, article 1 :

La présente loi a pour objet de définir le contenu fondamental du droit de propriété foncière conformément à sa fonction sociale, en réglementant les conditions qui assurent l’égalité essentielle de son exercice sur tout le territoire national[6].

Cette loi s’inscrivait dans l’approche libérale qu’avaient développée les autorités politiques dans tous les domaines d’activités économiques impulsées bien évidemment par le processus de la globalisation économique au niveau mondial. La raison économique s’expliquait par la politique monétaire expansive des banques centrales. La baisse des taux d’intérêts conjugué à la raison politique susmentionné a rendu possible l’octroi de crédits. En outre, la conjonction des facteurs tels que la pression démographique, la hausse du niveau de vie des ménages a provoqué une inflation au niveau des actifs du secteur immobilier.

L’activité de promotion foncière, de construction de grandes infrastructures, de grands équipements commerciaux et culturels, de logements ont été les domaines privilégiés de la spéculation immobilière (N, Barron, 2010, p.50). Vu la forte demande, le secteur du bâtiment et des travaux publics apparaissait clairement surdimensionné par rapport au poids démographique et économique du pays. Á ce propos, entre 2002 et 2007, fut construit chaque année en Espagne plus de logement qu’en Allemagne et en France. Le résultat de cette frénésie convertit l’Espagne en un pays avec plus de logements qu’il n’en faut (De Arriba, 2014, p. 71).

Les statistiques de la banque d’Espagne indiquent une augmentation substantielle entre le prix des actifs immobiliers dans les années 80 et celui des années 2000. En effet, le prix du m² en 1987 était de 289,89 Euros, tandis que celui de 2004 était estimé à 1.739,44 Euros. Cette différence du prix des actifs met en relief l’augmentation considérable du prix des actifs immobiliers sur le marché espagnol. La flambée des prix sur le marché espagnol n’était pas un cas isolé, bien au contraire ce fut un phénomène débuté aux États-Unis et qui par la suite a pris des proportions internationales. Parallèlement à l’économie espagnole qui était en pleine expansion, le prix du m² a augmenté de 142% entre 1999 et 2004. Cette inflation a pu se développer grâce à la participation active des établissements financiers, notamment les caisses régionales et les banques (J.F, Redondo, 2007, p. 63).

Le moteur fondamental de la croissance économique espagnole étant le crédit, les banques et les quarante caisses d’épargne du pays vont jouer un rôle important dans l’apparition de la bulle spéculative. Les banques et les caisses régionales ont massivement prêté aux entrepreneurs ainsi qu’aux ménages pour financer la croissance de l’immobilier. Les prêts destinés à l’immobilier étant considérés comme rentables, les banques et les caisses d’épargnes accordèrent des prêts massifs aux promoteurs immobiliers et des prêts de longue durée à taux variables aux ménages. Le rôle joué par les institutions financières espagnoles fut impulsé par les pouvoirs politiques.

Á cet effet,les autorités politiques ont mené une politique d’instrumentalisation des caisses d’épargne régionales. Á titre d’exemple, les autorités politiques de la Communauté de Valence, profitant de leur pouvoir décisionnaire, introduisirent une loi[7] qui modifia les règles et les équilibres de gouvernement des caisses. L’adoption de cette loi mis en exergue la mainmise sur les caisses régionales par les forces politiques de ladite région. Cela au détriment des forces qui contrôlaient traditionnellement ce genre d’institutions c’est-à-dire les entités fondatrices, les déposants, les employés. Dès cet instant les collectivités territoriales jouèrent un rôle capital dans la promotion immobilière.

Les caisses d’épargne vont ainsi se trouver soumises à une pression, celle de la promotion immobilière, le plus souvent soutenue par les institutions publiques représentées en son sein. L’instrumentalisation des caisses d’épargne de la part des collectivités territoriales avait pour objectif d’accorder le maximum de prêts aux ménages et aux entreprises afin de favoriser des intentions de votes. Or, en Espagne, les caisses d’épargne revêtaient une grande importance non seulement dans la collecte de l’épargne des classes populaires et moyennes, mais aussi dans le financement du logement et le crédit aux entreprises. Partant de ce fait, les caisses vont dynamiser le secteur de la construction et de l’immobilier, en témoigne le tableau ci-après.

Tableau II : Parts respectives des banques et des caisses d’épargne dans le financement de l’économie espagnole (en Milliard d’Euros)

 BanquesCaisses d’épargne
Crédits aux ménages309,3423,9

Crédits aux entreprises

  • Credits à la construction
  • Crédits à la promotion immobilière

496,5

50

135

417,7

60

170

Source : G. Chastagnaret. (2013). « Banques, caisses d’épargne, immobilier et politiques publiques une lecture historienne de la crise financière espagnole : l’Espagne toujours différente ? ». Revue d’économie financière, nº 110 p. 216.

Ce tableau indique que les prêts alloués par les banques aux entreprises est nettement supérieur à celui des caisses d’épargne. En revanche, les caisses d’épargne l’emportent sur tout ce qui touche à l’immobilier, aussi bien dans les crédits aux particuliers que dans le financement des promotions et de la production de bâtiment. Ce panorama revêt le rôle des collectivités dans la conduite des caisses qui a ouvert la voie à une instrumentalisation politique.

Le secteur de la construction et des secteurs connexes a eu un impact significatif sur la croissance économique espagnole. De 2000 à 2004, le secteur de la construction a généré 561.300 emplois et le secteur des services 1. 208.600 emplois. Par ailleurs, la majeure partie des emplois créés dans le secteur des services était directement relié au secteur de la construction. Le secteur de la construction tout au long de la période susmentionnée a créé plus d’emploi que les autres secteurs d’activités et a produit de la richesse additionnelle à hauteur de 27,4% du PIB (J.F. Redondo, 2007, p.71). Ces données mettent en relief, d’une part, la proportion prise par le secteur immobilier durant la phase de croissance économique, et le nombre d’emplois générés par ledit secteur.

    1. Le marché du travail et l’apport des migrants

Durant la période de croissance économique, le marché du travail se développa de façon significative à telle enseigne que l’Espagne fut qualifiée de grande machine de création d’emplois (R. De Bustillo, 2013, p. 42). Les statistiques de l’OCDE indiquent que le taux d’emploi en Espagne de 2005 à 2007 était supérieur à 60%. Le développement de l’activité immobilière et des activités connexes à la construction eut une conséquence positive sur le taux d’emploi. Le fait notable est que malgré la dynamique économique et le taux d’emploi élevé, le pourcentage du chômage restait en hausse. De 2000 à 2005, la moyenne du taux de chômage était de 11%. Cet état de fait s’expliquait par la limitation de la structure productive espagnole causée par la politique économique de la zone euro. En effet, l’économie espagnole avait des difficultés à créer des emplois à valeur ajoutée puisqu’elle ne jouait pas un rôle de premier plan dans la politique économique européenne (J. Aragón, 1998, p. 165).

Par ailleurs, le nombre élevé d’emploi généré par la croissance économique était seulement en relation avec la demande interne. En d’autres termes, le taux d’emploi n’augmentait pas dans une perspective de compétitivité avec les autres économies européennes, ni pour apporter une valeur ajoutée à un secteur d’activité, mais pour répondre au besoin de main d’œuvre créé par la bulle immobilière. Par conséquent, les emplois provenant de ces secteurs d’activités ne pouvaient qu’être temporaires, saisonniers et de basse qualification.

Tableau III : Comparaison du taux (%) d’emploi temporaire de l’UE et de l’Espagne (2000-2007)

 20002001200220032004200520062007
Zone UE (27)13,6413,4413,4413,7914,4715,3515,9115,98
Espagne32,1832,1832,0131,9232,5233,3933,9531,55

Source : Tableau réalisé à partir des données de l’OCDE.

Certes, le taux d’emploi de l’Espagne était supérieur à celui de l’UE, mais il était temporaire et saisonnier. Il était reparti pour la plupart dans les secteurs de l’agriculture, de la construction et des services. Par conséquent ces emplois étaient soumis aux éléments tels que la temporalité et les saisons. Le tableau indique le fossé existant entre le taux d’emploi temporaire en Espagne, et celui de l’UE. Le taux d’emploi temporaire de l’Espagne était supérieur de près de 15 points. Cela met en exergue la faiblesse structurelle de l’économie espagnole qui avait des difficultés à créer des emplois à valeur ajoutée.

De 2002 à 2007, vu le besoin constant de main d’œuvre, plusieurs milliers de migrants s’installèrent chaque année en Espagne dans l’optique de combler ce déficit. Les secteurs concernés étaient l’agriculture intensive, le tourisme, la construction, les soins à la personne. Les espagnols par contre ne voulaient pas de ces métiers à cause de la dureté du travail et de la mauvaise rémunération. Par conséquent, plusieurs millions d’espagnols étaient au chômage vu que sa structure économique ne lui permettait pas d’offrir des postes de haute qualification en abondance. La plupart des immigrés en Espagne se sont inscrits dans une dynamique de migration de travail en occupant un emploi formel ou le plus souvent informel. L’Espagne a maximisé les effets positifs de l’immigration en adoptant des politiques cohérentes visant à améliorer la gestion et l’intégration des immigrés afin de leur permettre d’investir et de contribuer en toute légalité à l’économie.

Les immigrés, par conséquent, ont impacté non seulement la prospérité économique du pays, mais aussi les systèmes de protection sociale et autres dispositifs compensatoires. De par la variété des rôles qu’ils ont joués, ces derniers ont exercé des influences diverses sur l’économie. En tant que travailleurs, les immigrés ont pris une part active dans le marché du travail, mais ont eu également un impact sur celui-ci. Ils ont modifié la distribution des revenus du pays et influé sur les priorités d’investissement national. En tant que consommateurs, ils ont contribué à l’augmentation de la demande de biens et de services nationaux et étrangers, influant ainsi sur le niveau des prix, de la production, ainsi que sur la balance commerciale.

En tant qu’épargnants, ils ont transféré non seulement des fonds vers leurs pays d’origine, mais ont contribué aussi indirectement, à travers le système bancaire, à favoriser l’investissement dans leurs pays d’accueil. Comme contribuables, ils ont participé au budget de l’État et bénéficié des services publics. À travers ces différents rôles, il convient de souligner que les immigrés ont stimulé la croissance économique de leurs pays d’accueil et promu ainsi son développement.

Pourtant ces secteurs d’activités qui ont permis d’impulser l’activité économique espagnole étaient soumis aux fluctuations du marché international. L’endettement extérieur étant le moteur de l’économie durant cette période, l’Espagne devenait vulnérable à tout changement de cycle économique.

  1. Le Changement de cycle économique en 2008

L’expansion du crédit au niveau international a créé un investissement pyramidal dans le domaine de l’immobilier dans les pays tels que les États-Unis, la Grande Bretagne, l’Irlande et l’Espagne. Par conséquent, la faillite de la banque Lehman Brothers en 2007, et la crise des subprime aux États-Unis en 2008 a provoqué une paralysie des transactions financières au niveau international. Cet état de fait engendra une crise économique et financière internationale à cause de l’interconnexion des économies sur le marché financier.

Au niveau de l’Espagne, la crise économique s’est matérialisée à travers trois indicateurs, à savoir, la baisse du PIB, l’augmentation du taux de chômage et la baisse de la consommation (R. Tamames, 2009, p. 154). Comme sous l’effet d’un engrenage, la contagion s’est effectuée du secteur de la finance au secteur immobilier, puis à l’ensemble des activités économiques. En effet, l’utilisation des financements extérieurs pour alimenter sa bulle immobilière n’était plus possible étant donné la situation de rationnement du crédit sur le marché financier mondial. Le système financier espagnol, par conséquent, réduisit l’octroi de crédit à l’ensemble des agents économiques. Mais, la morosité et l’insolvabilité était de plus en plus significatives. Le manque de liquidité provoqua irrémédiablement l’explosion de bulle immobilière espagnole.

La crise fut caractérisée par une composante sectorielle marquée par la prépondérance du secteur de la construction. Un secteur dont l’effondrement a provoqué de nombreuses conséquences, notamment au niveau de l’emploi. En ce sens, soulignons que l’impact de la crise économique sur le marché du travail est étroitement lié à chute du secteur de l’immobilier. Les caractéristiques de l’activité de ce secteur tel que la demande instable et saisonnière, le poids important des emplois peu qualifiés ont joué un rôle déterminant au niveau de l’emploi à l’avènement de la crise. Les chiffres de l’OCDE indiquent que le taux de chômage en Espagne est passé de 8,22% en 2007, 11,27% en 2008, pour atteindre un taux de 17,87% l’année d’après. Aussi, vu les indicateurs économiques internationales et nationales, les prévisions du taux de chômage affichaient une courbe ascendante.

Au regard de la proportion économique du secteur de l’immobilier tout au long de la croissance économique de l’Espagne, l’effritement du secteur de l’immobilier en 2008 ne pouvait épargner le reste de son économie. En effet, ce secteur mobilisait 12% de la richesse nationale créé chaque année durant la croissance et créa 13% de l’emploi en 2006 (N, Barron, 2010, p. 51). Á l’effondrement de l’activité immobilière, tous les secteurs connexes, à savoir, la céramique, le ciment, le bois, le fer, l’acier, l’aluminium, les vitres, les meubles, les sanitaires, s’effondrèrent rapidement. En comparaison aux deux géants de l’Union Européenne, l’Allemagne et la France dont le secteur ne représentait que 5% de leur PIB. Ces statistiques démontrent les proportions importantes prises par le secteur de la construction dans l’économie espagnole, et par ricochet explique le ralentissement de l’activité économique à l’éclatement de la bulle immobilière. Par ailleurs, La contraction du crédit généra un fort endettement, aussi bien au niveau des ménages que des entreprises, avec un niveau seulement comparable à celui des Etats-Unis.[8] En outre, cet état de fait engendra la baisse du chiffre d’affaires des entreprises immobilières, et indéniablement une augmentation de leurs créances.

Conclusion

Au terme de cette analyse, il convient de souligner que l’Espagne grâce à son adhésion à l’Union Économique et Monétaire connut une croissance économique soutenue. L’intégration à l’UEM eut un impact double. D’une part, elle lui permit de bénéficier d’avantages due à son entrée, notamment l’accession au marché financier international pour la concession de crédit, une dynamisation des entreprises et par ricochet du secteur de l’emploi et la mise en œuvre d’une politique migratoire. Et d’autre part, elle provoqua la perte de sa souveraineté économique nationale. En d’autres termes, la perte de contrôle national au niveau de la politique monétaire empêchait l’État espagnol de corriger les déficits extérieurs qu’elle pourrait produire, en cas de crise. Par conséquent l’Espagne deviendrait plus exposée aux fluctuations économiques.

Aussi, la croissance espagnole impulsée par l’endettement extérieur et basée sur les secteurs de la construction et des services a favorisé la création d’une bulle immobilière. Cependant, cette croissance économique fondée sur le crédit n’a pas eu d’impact significatif sur la structure économique espagnole, bien au contraire celle-ci a accentué les insuffisances existantes. Les deux secteurs moteurs de l’économie espagnole possédaient une forte intensité en main d’œuvre et donc créateurs d’emplois. Mais l’abondance des emplois non qualifiés, temporaires et précaires qui constituaient une aubaine pendant le cycle vertueux, s’est transformé en une épée de Damoclès. Cela fut perceptible à l’avènement de la crise économique et financière de 2008 par une hausse du taux de chômage provoquée par l’explosion de la bulle immobilière.

Le modèle économique espagnol comportait plusieurs carences qui ont retardé la modernisation de son système productif. La violence de la crise a mis en exergue la fragilité des fondements de sa croissance économique. Le secteur productif espagnol se développa du côté de l’immobilier, par conséquent, celui-ci manquait de valeur ajoutée comme l’innovation et la formation du personnel. Cet état de fait entraina une perte de compétitivité de son économie dont la croissance fut quantitative et non qualitative. L’Espagne devra changer son modèle économique et son système productif vers un système plus industriel notamment en investissant dans les énergies renouvelables ou dans l’économie numérique qui constitueront, probablement, les modèles économiques du futur.

Bibliographie

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    1. La Communauté Économique Européenne (CEE) devenue Union Européenne en 1993.
    2. La politique monétaire c’est l’ensemble des moyens mis en œuvre pour agir sur l’évolution de la masse monétaire, soit afin d’assurer la stabilité de la valeur de la monnaie dans le cadre d’une politique restrictive, soit afin de stimuler l’activité économique dans le cadre d’une politique expansive. D. Clerc et J-P. Piriou, 2011, Lexique de sciences économiques et sociales, Paris, La découverte, p.123.
    3. Texte d’origine: « Los recursos de las Comunidades Autónomas estarán constituidos por: (…) el producto de las operaciones de crédito  ».
    4. Loi modifiant la législation relative aux ressources financières des CCAA, Loi organique 5/2001, du 13 décembre.
    5. La ley del suelo fut publié le 14 avril 1998 dans le Journal Officiel de l’État.
    6. Texte d’origine: Es objeto de la presente Ley definir el contenido básico del derecho de propiedad del suelo de acuerdo con su funci6n social, regulando las condiciones que aseguren la igualdad esencial de su ejercicio en todo el territorio nacional. Ley 6/1998, de 13 de abril sobre régimen del suelo y valoraciones.
    7. Il s’agit de la loi valencienne du 23 juillet 1997.
    8. La dette espagnole publique et privé, de 2002 à 2007, atteignait 210% du PIB.