Infundibulum Scientific

RELIGION ET POLITIQUE : LÉGLISE CATHOLIQUE ALLEMANDE FACE À LA DROITE POPULISTE 

Daniel Kouakou KOUAMÉ
Enseignant-Chercheur
Université Alassane Ouattara
Département d’Études Germaniques

Résumé

La droite populiste est un mouvement en vogue en Europe. En Allemagne, elle est incarnée par l’AfD et le mouvement PEGIDA. Son implantation en Allemagne ne laisse pas indifférents les groupes religieux. Le présent article se propose d’analyser le regard que porte l’Eglise Catholique en Allemagne sur cette rhétorique politique. Pour y parvenir, nous avons dans un premier temps explorer le concept de populisme afin d’en dégager les différentes déclinaisons. Deuxièmement, nous nous sommes penchés sur le regard de l’Église Catholique sur le populisme. Troisièmement, notre regard s’est porté sur la posture catholique face au populisme. Il en ressort une inimitié entre les principes populistes et la doctrine sociale de l’Église Catholique fondée sur la Bible. Ce faisant, elle propose de se réinventer face ce phénomène.

Mots clés : Allemagne-Droite populiste-Église Catholique-Regards-Recommandations

Religion and politics: german catholic against the populist right

Summary

The right-wing populist movement is on the rise in Europe. The German AfD and the PEGIDA movement are the embodiment of this movement. Religious groups are not indifferent to its establishment in Germany. This paper aims to analyze how the Catholic Church in Germany views this political rhetoric. For this purpose, we first explore the concept of populism in order to identify its different forms. Next, we look at the Catholic Church’s view of populism. Then, we examine the Catholic attitude towards populism. There emerges an enmity between populist principles and the social doctrine of the Catholic Church based on the Bible. In doing so, it intends to reinvent itself with regard to this phenomenon.

Keywords: Germany-Catholic Church- Populist Right- Recommendations- Reviews

Religión y política: la Iglesia católica alemana frente a la derecha populista

Resumen:

La derecha populista es un movimiento que está de moda en Europa. En Alemania, está incarnada por la AfD y el movimiento PEGIDA. Su implantación en Alemania no deja indiferentes a los grupos religiosos. El presente artículo se propone analizar el punto de vista de la iglesia católica en Alemania sobre esta retórica política. Para ello, primero, exploramos el concepto de populismo con el fin de revelar las diferentes variaciones. En segundo lugar, nos inclinamos sobre la opinión de la iglesia católica sobre el populismo. En tercer lugar, nuestro propósito se ha centrado en la postura católica frente al populismo. Surge una enemistad entre los principios populistas y la doctrina social de la iglesia católica estabecida sobre la biblia. De esta forma, ella se propone inventarse frente a este fenómeno.

Palabras clave: Alemania- – Iglesia – católica – derecha populista percepciones – recomandaciones

INTRODUCTION

En 2018, des élections parlementaires ont eu lieu dans différents États membres de l’Union Européenne. Au lendemain de ces consultations populaires, un constat unanime, alimenté par la progression des partis populistes, polarisa le débat politique. Cela traduisait en réalité le progrès d’une tendance politique amorcée depuis 2001. La critique, en effet, acerbe née contre l’islam et les étrangers, après les attentats de Wall Street Center aux USA, contribuera à nourrir le discours néo-populiste et à accroitre son capital de sympathie au sein du peuple.

En Allemagne, cette montée du populisme aujourd’hui se traduit par la percée électorale de la droite populiste dans les différents Länder, entrainant de facto sa présence dans tous les parlements régionaux. Si cette progression constitue une sanction contre les partis politiques traditionnels comme la CDU[1] et le SPD[2] et aussi un revers contre la démocratie, elle attise une certaine curiosité conduite par la nécessité de cerner un phénomène déjà connu mais montant et qui s’enracine durablement dans la société. Il bouleverse les codes politiques en s’en racinant obstinément et systématiquement dans les médias et dans l’espace politique. Malgré certaines critiques, il s’applique à un vaste ensemble hétéroclite de phénomènes et d’idéologie comme le mouvement Cinq étoile en Italie ou le FPÖ en Autriche. C’est pourquoi le populisme ne laisse aucune force sociale indifférente, y compris l’Église catholique. Quels regards porte-t-elle par conséquent sur ce phénomène ? De cette question centrale découlent les interrogations subsidiaires suivantes : quelle est l’origine du concept de populisme ? Est-il compatible à la doctrine sociale de l’Église catholique ? Face à l’émergence des mouvements populaires même au sein de l’Église et du fait de son rôle social et politique dans nos sociétés, ne porterait-elle les germes du populiste. Pour ce faire, le présent travail, en s’appuyant sur le constructivisme, s’articulera sur trois axes. D’abord, il s’agira d’appréhender le concept de populisme en général puis en Allemagne en particulier. Ensuite suivra le regard de l’Église Catholique allemande. Et enfin les contributions de l’Église dont l’objectif est de renforcer la démocratie.

  1. De la notion de populisme

La connaissance d’un fait a un pouvoir libérateur et émancipateur. Du coup, toute quête du savoir est tributaire d’une prise de conscience de son ignorance. Cette démarche qui trouve écho dans l’allégorie de la caverne de Platon (T. Braymand, 2021, sp) semble faire des adeptes dont le Pape François. Effectivement, il ressort de ses déclarations une exhortation pressante à cerner les phénomènes de notre société. Le populisme n’y échappe pas puisque le Pape François déclara devant un parterre de jeunes catholiques qu’il est important pour eux de savoir comment le populisme est né (A. France-Presse, 2017, sp). Si cette vérité est à priori destinée aux jeunes, il n’en demeure pas moins qu’elle s’adresse à toute la société car la saine appréciation de la notion de populisme sera libératrice des discours politiques trompeurs. Il s’agira donc de revisiter son historicité et ensuite d’appréhender son élasticité.

1-1. Le populisme : une notion transhistorique

Le populisme n’est pas un phénomène ex-nihilo puisqu’il a un vécu. Pour retrouver ses premières brises, il faut retourner aux origines de la Rome antique avec les populares[3]. Dans leur opposition à la noblesse, ils prônaient le renforcement du pouvoir du peuple notamment de son rôle dans les assemblées populaires. En agissant per populum plutôt que per senatum comme les nobles qui faisaient l’apologie de l’autorité du sénat, les populares participaient à la défense des intérêts du peuple (P. Cibois, 2017, sp ). Si le populisme était utilisé comme un moyen au service de l’idéal politique de la populace, les populares ne pouvaient en revanche être qualifiés de démocrates. En effet, ni la transformation des institutions romaines en régime démocratique ni la remise en cause du système aristocratique, du système censitaire, des procédures de vote ou du recrutement des sénateurs ne furent en aucun cas l’objet d’une remise en cause par les populares.

Au XIXème siècle cette volonté accrue de la promotion du peuple fut incarnée en France par Napoléon III. De par sa proximité avec le peuple, il réussit dans un habile jeu politique à inaugurer la démocratie plébiscitaire. Effectivement, Napoléon III manipula l’appel au peuple en confondant sciemment ainsi la question plébiscitaire et le populisme. C’est une dérive due à l’utilisation bonapartiste du peuple qui n’est pas sans inconvénients puisqu’elle fait participer de manière limitée le peuple à la souveraineté tout en l’excluant de l’exercice du pouvoir (P. Pombeni, 1997, p. 55). C’est d’ailleurs cette raison qui poussa le chancelier Bismarck à adopter en lieu et place du populisme bonapartiste le suffrage universel pour légitimer la participation du peuple à la gouvernance politique en Allemagne.

La forme contemporaine du populisme fut incarnée au XXème siècle en Amérique latine par Getulio Vargas au Brésil et par Juan Domingo Perón en Argentine. Dans un univers où ouvriers et paysans conjuguent leurs forces pour obtenir de l’oligarchie une réforme agraire, Juan Domingo Perón et Getulio Vargas joueront la carte du populisme comme échappatoire à toute tension populaire. En prescrivant à la populace un simulacre de participation à la vie politique, ils parviendront à se donner des airs progressifs sans pour autant entamer des reformes et écarter la démocratie. Le populisme n’était donc pas une alternative à un système politique mais un ingrédient constitutif de son alchimie utilisé pour glaner de la popularité et légitimer sa gouvernance. C’est d’ailleurs sous ce regard que le populisme prospère aujourd’hui en Europe. Au fait, qu’est-ce que le populisme ?

1-2. Le populisme : une notion élastique

Le populisme est une notion à la fois littéraire et politique. Il désigne un courant littéraire apparu en 1912 qui a pour vocation de décrire le peuple. Il constitue en cela un engagement pour la cause de la classe prolétaire. C’est pourquoi, il se heurtera non seulement à l’opposition du communisme mais aussi à l’indifférence des autres acteurs politiques.

Au niveau politique, le populisme désigne d’abord un socialisme actif en Russie entre les années 1860 et la fin du 19ème siècle. Quant à son usage moderne qui date des années 80, il symbolise un instrument de polarisation qui émerge en période de crise du système démocratique. Il emphatise, en effet, les antagonismes et sert à analyser pêle-mêle des politiques comme celle du poujadisme ou de Marine le Pen[4] en France, celle de Hugo Chávez au Venezuela[5]. Il est donc une notion malléable dont l’analyse devient difficile comme l’atteste les expressions polémiques comme dérive populiste et danger populiste. Il n’empêche que des approches définitionnelles subsistent.

Pour Laclau, « le populiste (…) est une notion neutre (…) Il joue la base contre le sommet, le peuple contre les élites, les masses mobilisées contre les institutions officielles figées » (P. Khafa, 2017, sp). Cette définition dégage trois points majeurs. D’abord, il y a le fait que le populisme s’appuie sur une force d’action qui est le peuple. Ensuite, il est une notion exempte d’idéologie politique. Enfin, le populisme est temporairement indéfinissable. Le populisme s’appuie fortement sur le peuple à l’aide d’un discours conséquent. Voici ce que nous lisons à ce sujet : « Le discours populiste correspond à une forme d’appel directe aux masses dont la nature, les intentions et les conséquences relèvent d’une appréciation idéologique » (A. Dorna, 2021, sp). Le discours populiste est conditionné par une certaine appréciation idéologique dont la relativité augure de la diversité des mouvements populistes. On distingue, en effet, différents mouvements populistes dont la gauche et la droite populiste. C’est d’ailleurs ce dernier qui sera mis en exergue dans le présent travail. Comment ce choix s’explique-t-il ? Comment le populisme de droite ou l’extrême droite s’exprime-t-il en Allemagne ?

Le populisme de droite porte aussi bien les germes de la logique populiste que de l’idéologie de l’extrême droite. Il fait l’apologie du nationalisme, de l’antisémitisme et prône une politique autoritaire et conservatrice. En outre, il attise la peur contre la migration des peuples et défend des positions islamophobes. La droite populiste est donc la forme moderne et modérée de l’extrême droite. Toutefois, elle ne se confond pas totalement à celle-ci puisque la droite populiste est plus une stratégie politique qu’une idéologie.

Contrairement aux pays voisins, en Allemagne, la droite populiste s’est illustrée par une relative discrétion. La récente naissance, en février 2013 à Berlin, du parti de droite populiste AfD (Alternative für Deutschland) et ses succès électoraux vont redessiner la carte politique allemande. Ce parti fut créé pour contrer la politique monétaire de la chancelière Angela Merkel en 2010 dans la crise de la zone euro (M. Weinachter , 2015, p.9). Fort de ses 25 000 membres, l’AfD enregistre en 2013, lors des élections législatives, 4,7% des voix et frôle de peu d’entrer au Bundestag. En 2014, il obtient 7,1% des voix et en 2016 un score de 6,1% des voix qui lui assure pour la première fois son entrée au parlement de Hambourg. L’AfD confirme en 2017 par sa percée historique de 12,6% des voix aux élections fédérales allemandes. Il réédite cet exploit en 2018 en Bavière avec 10,21% des voix et en Hesse avec 13,14% des voix (M. Weinachter , 2015, p. 9). Ces résultats ont contribué à fragiliser la coalition au pouvoir, CSU-SPD, obligeant du coup la chancelière Angela Merkel, à non seulement annoncer qu’elle briguait son dernier mandat, mais aussi qu’elle démissionnait de la présidence de la CDU.

Même si l’AfD, vu les succès glanés, s’est bâti une notoriété remarquable en Allemagne, il faut souligner que le pays compte d’autres partis de droite populiste. Il s’agit entre autres du parti citoyen Die Freiheit fondé en 2010 qui prône plus de liberté et de démocratie et Die Republikaner (REP) fondé à Münich en 1983 qui comptabilise environ 6 500 sympathisants. (A. Antonio Stiftung, 2017, sp)

Ces partis politiques sont appuyés par le mouvement de droite populiste PEGIDA[6]. Depuis 2014, ce mouvement proteste contre la politique d’asile du gouvernement Merkel. Malgré le fait que le mouvement bat de l’aile actuellement, il n’empêche que le PEGIDA constitue un creuset du populisme allemand où stratégie et ferveur politiques sont en constante fusion. Pour diffuser leur thème dans le public et mener le débat culturel et politique, la droite populiste allemande peut compter sur des organes de presse comme Junge Freiheit (JF) et Sezession. Cette offensive tout azimut de la droite populiste ne laissera pas indifférent l’Église Catholique allemande.

  1. Le Regard de l’Église Catholique allemande sur la droite populiste

L’Église Catholique est une institution active sur le plan social et politique. Sur la scène européenne, l’Église a, de tout temps, influé les événements et les tendances contemporaines. En effet, elle s’invite à toutes les crises internationales, à tous les débats d’actualité et se saisit des questions brûlantes qui agitent nos sociétés. Fort de son vaste corpus ecclésiastique et de sa nature étatique, il plait de savoir comment elle se positionne par rapport à la question de la droite populiste en Allemagne. Ce positionnement sera perceptible à travers la conception morale défendue par l’Église catholique qui se fonde sur la Bible et sa doctrine sociale.

2.1- La droite populiste à l’épreuve du discours biblique

La Bible aborde largement la question de peuple. Par exemple, la nation israélienne fut couramment qualifiée de Peuple de Dieu[7] ou de Peuple élu de Dieu. Aussi attribue-t-elle cette notion à tous les pécheurs rachetés par le sacrifice du Christ[8]. Dans le cas d’espèce, la Bible n’était pas la parole du peuple, mais elle lui parlait par le biais des principes et lois.

Certes, à cette époque la notion de populisme n’était pas en vogue, il n’empêche que la Bible légifère sur la question puisqu’elle traite de ses symptômes. Prenons le cas de l’accueil des étrangers et voyons ce que la Bible dit à ce propos : « Si un étranger vient séjourner avec vous dans votre pays, vous ne l’opprimerez point. Vous traiterez l’étranger en séjour parmi vous comme un indigène du milieu de vous ; vous l’aimerez comme vous-même, car vous avez été étranger dans le pays d’Egypte. Je suis l’éternel, votre Dieu »[9].

La Bible est claire sur la manière dont les étrangers doivent être traités. Ils ne doivent pas être opprimés. Cela signifie qu’ils ne doivent pas être privés de liberté, de leurs droits et contraints à vivre une vie de cloisonnement séparés des autochtones. Cela contraste avec l’idéologie de la droite populiste qui voit en l’étranger un agent pathogène susceptible de mettre en péril ses valeurs immatérielles et culturelles. C’est pourquoi l’arrivée massive des migrants et la hausse des demandes d’asile en Allemagne ont attisé les sentiments racistes et ont fait émerger les souvenirs du national-socialisme. Face à ce déchainement xénophobe, la conférence épiscopale allemande s’engagea au côté de la dignité humaine comme le recommandait le Pape François[10]. Cet engagement impliqua le concours du service de Caritas, des communautés et ordres religieux et de nombreux bénévoles catholiques allemands. Leurs efforts conjugués ont permis de combler les besoins matériels et spirituels des migrants grâce aux fonds récoltés auprès de généreux donateurs. Ce faisant, l’Église catholique allemande démontra une fois de plus qu’elle ne pouvait épouser les thèses xénophobes du parti AfD contre les migrants. À ce propos voici la réponse du cardinal Rheinhard Marx lorsqu’il est interrogé sur ce parti d’extrême droite:

L’idée de tirer sur des réfugiés sans défense aux frontières est inacceptable et inhumaine. Les partis qui expriment une telle chose ne sont pas une alternative pour l’Allemagne. Dans l’ensemble, je crains que le populisme de droite ne s’installe chez nous de plus en plus. On a l’impression qu’il y a des réponses simples face à l’afflux de réfugiés. Mais des réponses simples ne sont pas une solution. (M. Reinhard, 2017, sp)[11].

L’Église considère que la posture xénophobe de l’AfD est inacceptable. Les migrants, qui choisissent l’Allemagne, doivent bénéficier d’aides en toute impartialité. La Bible souligne d’ailleurs cet aspect des choses : « Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus ni homme ni femme, car vous tous, vous êtes un en Jésus. »[12]. La Bible s’oppose à toute inimitié entre les hommes en raison du sexe, de l’ethnie et de la classe sociale. Une pareille division creuserait non seulement un fossé entre les hommes eux-mêmes mais aussi entre les hommes et leur créateur. Tout sentiment de mépris serait injustifié puisque tous restent égaux en dépit de la diversité des valeurs. Migrants et autochtones doivent donc faire l’économie de préjugés et de stigmatisations. Au vu de ce qui précède, la Bible rejette les idées de la droite populiste et invite à l’accueil des migrants. Cela est aussi confirmé par la doctrine sociale de l’Église catholique qui expose largement son éthique.

2.2- L’éthique sociale : un rempart contre la droite populiste

L’éthique est l’ensemble des valeurs et des mœurs applicables à tout être vivant dans une optique sociale. Elle aiguise la conscience humaine en répondant à l’impératif besoin de vertu qui rationnalise les rapports humains. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle cette notion a trouvé un écho retentissant auprès de certains philosophes comme Kant. Selon lui, toute action éclairée est subordonnée à ceci : « Agis seulement d’après la maxime grâce à laquelle tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle » (R. Reis, 2017, p.15). Il est clair que l’impératif moral commande à tout homme d’être raisonnable dans ses actions comme le souligne d’ailleurs la Bible : « Toutes les choses donc que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-les-leur, vous aussi de même ; car c’est là la loi et les prophètes[13]. »  De cette maxime qui fonde la doctrine sociale catholique, se dégagent des principes directeurs dont la justice, la recherche de la paix, l’amour et la dignité.

La justice sociale se mesure au traitement réservé aux personnes démunies qui sont sans défense. Cette qualité semble se raréfier au sein de la droite populiste qui perçoit l’étranger comme un obstacle à son confort. En effet, il est perçu comme une concurrence de trop pour les emplois, favorisant la flambée des prix des loyers et dégraderaient fortement l’image de certains quartiers. On peut donc penser qu’une société dirigée par la droite populiste ne fera point la promotion des droits des migrants. Dans ce cas, il apparait plausible que le bien commun ne soit aucunement sa priorité puisque la droite populiste promeut l’intérêt égoïste d’ultraconservateurs.

Par contre, l’Église Catholique allemande toute comme celles d’ailleurs tient en haute estime la justice sociale qu’elle associe à la compassion et à l’amour. Cela explique l’attention particulière envers ceux qui fuient les zones de guerres, la pauvreté et la dictature. Elle se propose de les accueillir, de les protéger, de les aider et de les intégrer. La Conférence épiscopale allemande s’est appropriée cette responsabilité à travers l’aide sociale apportée aux migrants. Ce faisant, elle contribue non seulement à la défense de la dignité humaine qui comprend le respect physique et psychologique des êtres humains ainsi que le respect de l’intégrité morale, mais aussi à maintenir une barrière morale contre toute velléité de violence et d’oppression. L’Église s’érige en faiseur de paix dans un contexte d’hostilité en rejetant toutes formes de discrimination et de violence pour des questions de race, de couleur et de religion. Cette légitimation de l’intervention de l’Église Catholique par sa doctrine sociale, à travers ses normes d’éthique, lui permit d’agir en conformité avec sa mission prophétique. En dépit de toutes ces actions, la droite populiste connait une vitalité sans pareil. Dès lors, l’Église ne devrait-elle pas se réinventer pour confiner durablement la droite populiste ?

  1. Recommandations pour l’Église face à la droite populiste

L’Église catholique a, de tout temps, été engagée dans les affaires sociétales. Dans l’encyclique Rerum novarum, le pape Léon XIII souligne clairement : « Qu’on ne pense pas que l’Église se laisse tellement absorber par le soin des âmes, qu’elle néglige ce qui se rapporte à la vie terrestre et morale. » (Léon XIII, 1891, sp) À vrai dire, cet engagement participe à la mission universelle de l’Église et à la promotion du bien commun. Face à la droite populiste, elle affiche un point de vue clair comme le souligne le Pape François : « le populisme mène à Hitler. » (P. François, 2017, sp). C’est donc conscient qu’on ne peut vivre en semant la haine que l’Église catholique se doit de mettre l’accent sur ces deux points : réinvestir l’espace public et agir avec clarté face à la droite populiste.

3.1- Réinvestir l’espace public

L’espace public est l’espace d’expression et de manifestation de l’opinion citoyenne. Dans le cas d’espèce, il désignera le terrain où les militants anti-islams, anti-européens et ceux inquiets de l’immigration font la propagande de leur conviction politique. Cet espace démocratique qui englobe donc les manifestations populaires, les réseaux sociaux et les tribunes d’intellectuelles (G. Sebaux, 2016, p.10) a été utilisé largement par la droite populiste. Par exemple, l’utilisation de Facebook et de tweeter lui ont permis de se tisser un réseau de sympathisants auprès d’un public jeune. Quant aux gigantesques manifestations du PEGIDA à Dresde, elles ont eu le mérite de rassembler une frange non considérable d’allemands qui manquait de tribune pour exprimer leur crainte. L’Église catholique se doit d’en faire de même pour contrer la droite populiste. Ainsi elle doit quitter de temps en temps son confort ecclésiastique pour arpenter les rues aux cris de slogans et de banderoles pour soutenir des valeurs défendues par sa doctrine sociale. Cela ne devrait être interprété comme l’expression d’un manque de confiance en Dieu au profit d’un bond dans l’inconnu, mais comme la prise de conscience d’une Église dont l’âme est dans les cieux et les pieds sur terre. Une telle posture peut être couplée à une utilisation efficiente des réseaux sociaux qui sont beaucoup prisés par la jeunesse. Les thématiques de solidarité, d’amour, de fraternité et même de populisme doivent occuper une place prépondérante dans les forums d’échange chrétien. Un tel engagement mettrait à l’abri l’Église contre toutes critiques de silence comme ce fut le cas dans le 3e Reich.

Il faudrait aussi participer aux débats audiovisuels sans tomber dans l’émotion, dans les contraintes d’audience et dans l’immédiateté pour traiter des termes sensibles de la société afin d’y apporter des réponses convaincantes et dissiper toutes ambiguïtés susceptibles d’être exploitées par la droite populiste. En affichant ainsi publiquement sa position, l’Église rassurera l’opinion chrétienne et publique. Pour y arriver, elle doit agir avec clarté.

3.2- Agir avec clarté face à la droite populiste

L’Église catholique est une institution universelle. Sa doctrine sociale influence les Hommes, les familles et la société. Pour être plus opérante face à la droite populiste, les principes de cette doctrine doivent être à la portée des ouailles. L’apôtre Paul, s’adressant aux chrétiens de Corinthe, compara son enseignement à du lait, car il estimait que ses interlocuteurs n’étaient pas encore solides pour supporter la nourriture non liquide[14]. Comme l’apôtre Paul, l’Église devrait rendre moins hermétique son enseignement en la disséquant au maximum avant de la distiller aux croyants. Son enseignement devrait être pratique à l’épreuve des convulsions de notre société déjà que la notion de populisme est glissante. Cette bataille commencera bien sûr par les paroisses où la droite populiste commence fortement à glaner des sympathisants. C’est pourquoi, il faudrait encadrer les mouvements de jeunesse catholique pour qu’ils ne soient pas un grenier de recrutement facile pour la droite extrémiste.

Cela implique d’une part que l’Église devrait se garder de soutenir d’autres partis politiques comme solution pour freiner la montée populiste. Elle doit construire sa défense en s’appuyant sur ses propres valeurs pour ne pas tomber dans les compromissions. De plus, le dialogue interreligieux permettra à l’Église catholique de renouer les liens entre les frères et sœurs de foi différente. Cette initiative doit s’inscrire dans une approche de paix et se faire de manière éclatée à travers des conclaves, des panels et des symposiums. Il est urgent d’agir car le populisme se propage rapidement. L’Église, en prenant de l’avance dans les régions non encore acquises au populisme, le freinera durablement.

Conclusion

La droite populiste est un mouvement en vogue en Europe. Il fait l’apologie une politique anti-migrants, anti-européens et développe une phobie de l’islam et de l’étranger. Incarné par le parti AfD et le mouvement PEGIDA, il connait ces dernières années une montée fulgurante en Allemagne. L’objectif que nous nous sommes assignés dans le présent article est d’appréhender le regard de l’Eglise catholique sur le populisme en Allemagne. La solide implantation de celle-ci ne laisse pas indifférent l’Église catholique allemande qui se montre sans faux fuyant hostile à une telle mouvance politique qui prône des valeurs contraires à sa doctrine sociale. C’est d’ailleurs la raison qui la conduit, en fondant son regard sur la Bible et sur sa doctrine sociale, à défendre ses valeurs. Aussi doit-elle amplifier son action en réinvestissant l’espace public à travers l’utilisation des réseaux sociaux et en agissant plus clairement à travers des messages accessibles et des actions de paix. En outre, il est important que tous les chrétiens soient informés sur le modus operandi de la droite populiste et aussi sur certaines variantes du populisme directement alimentées par les références directes aux valeurs religieuses.

BIBLIOGRAPHIE

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    1. L’Union chrétienne démocrate d’Allemagne (en allemand Christlich Demokratischde Union Deutschlands) est la première force politique d’Allemagne. Il est notamment le parti politique de la chancelière en exercice Angela Merkel. Depuis le 07 décembre 2018, Annegret Kramp Karrenbauer assure la présidence de la CDU.
    2. Le parti Social-democrate d’Allemagne (en allemand Sozialdemokratische Partei Deutschlands), fondé en 1891, constitue un allié traditionnel de la CDU. De ses rangs sont sortis les chanceliers Friedrich Ebert, Willy Brandt, Gerard Schröder et le président fédéral Franck Steinmeier.
    3. Les populares (en français : populaires) formaient une tendance politique populiste qui marqua la République romaine, notamment au IIe siècle av. J.-C., en s’appuyant sur les revendications des couches les plus pauvres de la société romaine et des non-citoyens. Ce ne fut pas un parti politique au sens moderne, mais un clivage majeur dans les luttes politiques et sociales romaines, permettant aux acteurs politiques de se situer face aux tendances conservatistes.Cf. C. Dickès : Optimates vs Populares : https:// storiavoce.com/optimates-vs-populares, page ouverte le 19.06.2022.
    4. Marine Le Pen est une femme politique française. Elle est élue présidente du Front national lors du congrès dudit parti en 2011en Allemagne
    5. Hugo Chávez fut le président de la Bolivie de 1999 jusqu’à sa mort en 2013. Il s’est fait connaître par son nationalisme et ses réformes politiques connus sous le nom de réforme bolivarienne.
    6. Les Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident en allemand Patriotische Europäer gegen die Islamisierung (PEGIDA) est un mouvement allemand de droite populiste lancé le 20 octobre 2014. Il est connu pour ses positions anti-islam et anti-immigration.
    7. Deutéronome :7,6. « Car tu es un peuple saint pour l’Eternel, ton Dieu ; l’Eternel, ton Dieu, t’a choisi, pour que tu fusses un peuple qui lui appartînt entre tous les peuples qui sont sur la face de la terre.»
    8. Actes : 15,14. « Simon a raconté comment Dieu a d’abord jeté les regards sur les nations pour choisir du milieu d’elles un peuple qui portât son nom. »
    9. Levitique 19, 33-34.
    10. Cf. Message du Pape François pour la journée mondiale de prière pour la paix en 2018.
    11. «Überlegungen, an den Grenzen auf wehrlose Flüchtlinge zu schießen, sind inakzeptabel und menschenfeindlich. Parteien, die so etwas äußern, sind keine Alternative für Deutschland. Mir macht insgesamt Sorgen, dass der Rechtspopulismus bei uns immer weiter um sich greift. Es wird der Eindruck erweckt, als würde es angesichts des Zustroms der Flüchtlinge einfache Antworten geben. Aber einfache Antworten sind keine Lösung.»
    12. Gal 3, 28.
    13. Mattieu 7 :12
    14. 1 Cor.3 :2. « Je vous ai donné du lait, non de la nourriture solide, car vous ne pouviez pas la supporter ; et vous ne le pouvez pas même à présent, parce que vous êtes encore charnels. »